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Les Matinales Groupe Le Matin

Younes Idrissi Kaitouni, 
directeur régional des Impôts-Casablanca

«L’État a fourni énormément d’efforts pour apurer et régler les délais de paiement. Pour la TVA également, nous sommes fiers aujourd’hui de dire que cette problématique est derrière nous, les délais de paiement règlementaires sont respectés et nous avons même essayé d’amender le décret d’application du renvoi de la TVA pour permettre aux experts-comptables de certifier les dossiers. Aujourd’hui, la réflexion est concentrée sur la manière de ramener ces clients qui ne payent pas à devenir de bons payeurs et des entreprises exemplaires. (…) Je suis alerté par les 80 milliards de dirhams qui sont en circulation et ne sont pas rentrés dans les caisses de l’État. Donc, vu sous cet angle, l’État est parfaitement solidaire avec les TPE et PME. Ce que nous remarquons, par ailleurs, c’est qu’aujourd’hui quasiment aucune PME n’applique des intérêts moratoires lorsqu’elle ne se fait pas payer. Il y a donc une loi que personne n’applique ! Mais l’État, lui, l’applique. (…) Aujourd’hui, il faut réfléchir à des mesures dissuasives, à condition qu’elles soient applicables. Si le client ne paye pas à temps, c’est qu’il est gagnant puisque ça lui coûte moins cher que la banque ! C’est donc un calcul véritablement financier : est-ce que les classements mauvais Vs bons payeurs vont servir à quelque chose dans ce cas-là ? Je me pose la question ! Mais ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, il faut des solutions pratiques, réalistes et réalisables et il faut que le crédit fournisseur ne soit ni un levier de financement ni rentable pour l’entreprise. C’est à cette équation qu’il faut réfléchir et apporter des réponses pragmatiques, concrètes et facilement applicables.» 

Zakaria Fahim, président BDO Maroc, représentant 
de l’ordre des experts-comptables

«Avec l’observatoire des délais de paiement, jumelé à celui de la PME, nous avons une cartographie plus ou moins détaillée des bons et mauvais payeurs, ce qui permet de tracer des perspectives et d’avoir des informations chiffrées notamment pour interpeller nos amis de l’administration ou le gouvernement. L’enjeu est d’autant plus important pour les PME qui sont le cœur du réacteur et représentent 80 à 90% du tissu économique, 60% de la valeur ajoutée et 60% des emplois. Il faut donc protéger ce “soldat Rayan” qui est la PME. Quand on observe la data, et que l’on dit que l’entreprise paye mieux son partenaire étranger, la PME se positionne dans le rôle du “laissé pour compte”. Aujourd’hui, il faut se poser la question : pourquoi les grands groupes payent-ils mieux un partenaire étranger qu’une PME ? À la CGEM, nous sommes très vigilants par rapport à ce sujet et prêts à accompagner toutes les bonnes dispositions pour nous faciliter la compréhension et nous permettre de faire de la pédagogie. La CGEM est d’ailleurs partenaire du projet lancé par Inforosk relatif à la plateforme qui va inciter les entreprises à donner de la data sur leurs délais de paiement, sans toucher à la relation commerciale. Je pense que c’est déjà une très bonne action qu’il va falloir mettre en œuvre parce que la data est au cœur du réacteur. Ces données vont permettre d’identifier les bons élèves qui seront par exemple bien notés par les banquiers et les partenaires. D’ailleurs, à l’Observatoire, nous sommes en train de discuter l’idée de remettre des prix des délais de paiement.» 

Amine Diouri, directeur Études & Communication chez Inforisk

«Ce qui a changé radicalement ces dernières années, c’est surtout la prise en compte de cette question des délais de paiement. Il y a encore 4-5 ans, quand je parlais des délais de paiement, c’était un sujet annexe. Plus maintenant, car ces retards de paiement ont un impact sur la trésorerie des entreprises et sont source de difficultés empêchant les entreprises de recruter, d’investir, d’exporter… Et je pense que les délais de paiement interentreprises privées est le point crucial aujourd’hui pour une raison très simple et c’est mathématique : jusqu’à une période récente avant que l’État ne commence à améliorer très nettement ses délais de paiement public-privé, le crédit public-privé représentait 50 milliards de DH. Aujourd’hui, l’encours a beaucoup diminué. Le vrai problème maintenant est le crédit interentreprises privées qui dépasse 420 milliards de DH, soit plus d’un tiers du PIB du pays. Malheureusement, aujourd’hui il n’y a pas de dispositif qui permet de régler cette problématique d’un point de vue légal. Certes, il y a deux lois qui ont été votées en 2011 et 2016, mais on a bien vu que la loi 49-15 (2016) a mis du temps avant de se mettre en place. Et même cette loi n’a pas empêché les délais de paiement de continuer à augmenter depuis 2010. Et ce sont surtout les TPME qui ont souffert de cette situation, au profit des grandes entreprises qui font de la trésorerie sur le dos de leurs fournisseurs. Le crédit interentreprises a dépassé l’encours bancaire depuis 2015, c’est dire que la première source d’une grande entreprise ce n’est plus la banque, mais ses partenaires. (…). 
L’essentiel du crédit interentreprises est concentré entre les mains des grandes entreprises, des grands donneurs d’ordre, avec 50%, contre 30% chez les PME et 20% pour les TPE. (…) Concrètement, il sera impossible de faire le rééquilibrage du rapport de force entre les grandes et les petites entreprises. Il faut que l’État intervienne. Dire à la petite entreprise de se protéger elle-même, c’est complètement irréaliste.» 

Mehdi Arifi, directeur général Maghreb Assurance-crédit Coface

«À la Coface, nous suivons le comportement des délais de paiement dans plusieurs pays. Il y a des économies où l’on a constaté une véritable dégradation des délais de paiement dans les années 2010-2011, mais au Maroc, cette situation a été relevée en 2016-2017. Par rapport aux autres pays observés, les délais de paiement au Maroc restent parmi les plus longs et se classe dans le top 5 des mauvais payeurs mondiaux. Un classement qui desserve le Maroc notamment si in le compare aux principaux partenaires européens (Espagne : -45 jours/France : 37 jours/Allemagne : -30 jours). Le risque pour le Maroc est à craindre pour son image de marque, sa notation à l’international et en termes d’attrait des investisseurs. (…) Je note que pour la loi 49/15 il existe des limites à son applicabilité en termes de délais. On le voit concrètement d’ailleurs dans le secteur agricole où cette loi n’est pas applicable en l’état. Nous pouvons créer un modèle où l’on a des mesures qui peuvent accompagner et mettre en avant les bons payeurs, à l’instar de certains pays qui font certifier les bons payeurs. Ce label “Bon payeur” permettra en l’occurrence à ces entreprises un meilleur accès au financement, être éligibles par exemple au crédit fournisseur, au marché en intégrant le scoring des meilleurs payeurs dans le dossier des appels d’offres… Nous pourrons penser à des solutions similaires tout en les adaptent pour créer un modèle marocain spécifique.» 

Hakim Marrakchi, président directeur général de Maghreb Industrie

«Sortir de l’impasse des délais de paiement est une problématique multiple qui provient de plusieurs facteurs. D’abord, pour les entreprises marocaines, c’est plus souvent une question de rapport de force. Notre écosystème est, disons-le, un peu particulier dans ce sens où nous avons beaucoup de grandes entreprises qui sont les principaux contributeurs au Budget de l’État, parallèlement à ça, ces entreprises dominent l’activité économique et pèsent sur celle de leurs fournisseurs, souvent beaucoup plus petits. Dans nos relations avec l’étranger, nous avons également un problème majeur : si je ne paye pas mon fournisseur étranger, le retour du bâton est plutôt violent (bloquer la livraison, changer les conditions du délai de paiement). Les entreprises aujourd’hui ont tendance à se financier sur le dos de leurs fournisseurs parce que le coût est faible, ce qui explique, entre autres, un autre problème qui est celui de la compétitivité de nos entreprises. Il y a également le problème des procédures judiciaires qui sont très longues et, enfin, il y a un problème lié à la gestion, c’est-à-dire qu’en entreprise, même au niveau mondial, on a tendance à privilégier la finance. L’industrie fait que la compétence est plutôt déployée dans le volet financier et donc nous avons de moins de bons gestionnaires dans le monde du commerce et de l’industrie et du coup l’on gère moins bien des éléments comme les stocks ou encore les investissements. Ce déficit en compétences, nous le payons à la fin en ayant un problème de compétitivité et une capacité moindre à faire face à nos échéances.» 

Hamid Benlafdil, vice-président général 
de la Fédération du commerce et services (FCS) de la CGEM

«Les entreprises au Maroc deviennent les bailleurs de fonds et ont dépassé les banquiers dans le financement. Je pense que c’est un message d’alerte assez important parce que ce n’est pas leur métier et en même temps les banques ne font plus leur métier. Si les 80 milliards de DH de TVA sur les 420 milliards de crédits inter-entreprises étaient rentrés, l’État aurait remboursé davantage et mieux. La financiarisation de l’économie au niveau mondial a fait que l’on s’intéresse plus au bilan d’une entreprise et comment elle gère sa trésorerie plutôt que comment elle gère ses fonds propres. Et vu qu’elle tire les compétences vers la sphère financière, cela appauvrit les sphères industrielle et commerciale. Mais dans d’autres pays, les délais de paiement sont respectés et beaucoup plus courts. Au Maroc, nous avons une moyenne assez proche d’un secteur à l’autre. Dans les technologies de l’information, nous sommes à 86 jours, dans la distribution à 96 et dans la construction à 100 jours. Dans l’agro-industrie, c’est 90 jours et dans l’énergie 87. Ce sont des délais qui bien évidemment ne correspondent pas à la réalité que nous vivons. Je pense qu’il y a deux phénomènes sur lesquels il faut s’attarder. Le 1er, c’est le poids des grandes entreprises. Si elles gardent la trésorerie pour payer leurs fournisseurs, un phénomène de cascade va faire que la toute petite entreprise subira le retard pris en amont par les grandes structures. Le second, c’est le phénomène de la spéculation. Quand on encourage collectivement la spéculation foncière, une grosse partie de la trésorerie va dans le foncier. Et nous savons tous que tout ce qui va dans la spéculation foncière n’est pas injecté dans l’économie. Il faut noter que les délais de paiement inter-entreprises ont augmenté depuis la mise en place de la loi et qu’aucune entreprise n’applique les intérêts moratoires. Alors de deux choses l’une, soit la loi est mauvaise, soit nous sommes incapables de l’appliquer !» n

 

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