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La posture managériale à l’épreuve du changement

Dites-moi comment vous vous comportez avec vos équipes, je vous dirai quelle performance vous pouvez espérer. La posture managériale est sans aucun doute un facteur déterminant de la performance de l’entreprise. Mais, dans un contexte de plus en plus complexe, cette posture est souvent mise à rude épreuve. Les cadres dirigeants doivent adapter leurs comportements à un environnement devenu complexe et incertain et surtout développer leur intuition managériale.

La posture managériale à l’épreuve du changement
La posture managériale a besoin de recul instantané pour apprécier les situations et éviter le conditionnement par l’environnement. Ph. Shutterstock
Entre les changements de l’environnement des entreprises et les multiples mutations technologiques et organisationnelles sont nés de nouveaux modèles et concepts de management qui sont adaptés aux différents contextes avec un seul objectif : gérer au mieux les équipes et réaliser la performance de l’entreprise. Mais, au-delà des compétences managériales, il y a l’élément fondamental lié aux comportement et attitudes du manager par rapport à telle ou telle situation et aussi vis-à-vis des femmes et des hommes qui forment ses équipes. Cette notion, c’est ce que les experts appellent «la posture managériale». 

Leader, décideur, animateur, conciliant, arbitre… la posture managériale va permettre par des pratiques cohérentes de souder l’équipe, de créer de la confiance et de susciter une dynamique au service de la performance. Plus ou moins intuitive, la posture managériale est souvent mise à rude épreuve : stress, crise, tension interprofessionnelle, conduite de changement, digitalisation accélérée… Le manager est plus que jamais tenu à gérer des situations complexes qui nécessitent réflexion, assurance, confiance en soi et en les autres et, surtout, rapidité et efficacité. Ce sont ces différentes postures managériales que nous allons explorer avec Farid Yandouz, expert en Transformation & Conduite du changement. 

 

Agir à chaud et à froid : la posture managériale à l’épreuve 

En affirmant que c’est bien les interactions qui font valoir et qui mettent à l’épreuve la posture managériale, il est important d’aborder la question de la posture à «chaud» et celle à «froid». Si je vous demandais de décider quel comportement vous allez adopter par rapport à l’attitude d’un de vos collaborateurs en présence d’autres acteurs, tout en vous situant dans un état hypothétique, auriez-vous la même posture si le cas se présentait en réalité, surtout sans préavis ? Pour vous permettre de bien préparer votre décision et la manière dont vous allez l’annoncer, je vous décrirai la situation dans les détails… je vous ferai part de la qualité des acteurs présents tout en vous informant des paramètres clés autour du degré de votre stress, de l’urgence dans laquelle se trouve ledit collaborateur, ainsi que la charge de travail de toute l’équipe qui sera impactée par votre façon d’agir. En concevant dans votre imaginaire cette situation, vous sortirez certainement votre arsenal de bonnes pratiques et vos apprentissages durant votre expérience professionnelle, afin de façonner une manière d’agir pour répondre immédiatement à l’attitude de votre collaborateur, et puis la manière avec laquelle vous allez vous comporter avec lui par la suite. 

Nous appellerons cette conception de votre comportement une «action/réaction à froid», par opposition à une «action/réaction à chaud» qui signifie que vous agissez sur le champ sans avoir prévu à l’avance la situation dans laquelle vous vous trouvez. La réaction à froid est aussi, parfois, imaginée quand on est dans un effort introspectif sur ce qu’il fallait améliorer dans notre posture, soit dans une optique d’amélioration continue. Un tel exercice est à l’ordre du jour surtout quand les choses se sont mal passées et une question s’impose : Qu’est ce qu’on aurait bien pu faire de différent pour que ça n’aille pas si mal ? 

Les réactions à froid et à chaud paraissent semblables à la théorie et à la pratique du comportement humain. Le mieux que je puisse recommander est d’avoir un recul pour réagir à travers un mindset similaire à celui que vous auriez eu dans une situation à «froid», alors que vous vous trouvez réellement dans une situation à «chaud». C’est ce que j’appelle le «recul instantané» qui serait une capacité à ne pas être dans la précipitation et dans la réactivité absolue à tout ce que nous recevons en tant que stimuli de la part de notre entourage. 

 

Évitez les conclusions hâtives pour interpréter les postures exceptionnelles 

Avant de se précipiter vers des conclusions hâtives vis-à-vis des postures exceptionnelles, il y a certains préjugés qu’il faudrait éviter en prenant le temps de les analyser. Certains de ces préjugés concernant les personnes ayant de postures exceptionnelles : 

• Il s’agit surtout de personnes extraverties. Ceci est souvent faux comme il y a souvent des personnes timides et/ou introverties qui arrivent, en situation à «chaud», de se détacher de leurs pensées limitatrices d’une façon ponctuelle et qui peuvent faire la différence. Une fois qu’elles ne sont plus sous les feux des projecteurs, leur état devient 

normal.

• Il s’agit de personnes qui ne se préparent pas. Ceci est souvent faux. Il est toujours possible d’improviser et d’apprendre de son improvisation, mais je reste convaincu que les réflexes spectaculaires sont le fruit de préparation. Winston Churchill a formulé une expression qui est restée gravée dans les mémoires : «Un discours improvisé a été réécrit trois fois». Des discours d’une trentaine de minutes lui prenaient jusqu’à 5 heures de préparation. 

• Il s’agit de personnes ayant des attitudes innées plus qu’acquises. Ceci est souvent faux. Ces personnes apprennent de leurs propres expériences, et des expériences des autres. Elles incorporent des apprentissages à partir de leurs échecs et demandent des feedbacks d’une manière inattendue de la part de leur entourage. Elles sont aussi convaincues que rien n’est gagné à l’avance, mais que tout s’apprend et se prépare rigoureusement. 

Ce sont là quelques exceptions qui dépendent du contexte, mais qui devront vous pousser à réfléchir sur les raisons qui sont derrière les postures que vous jugez exceptionnelles tout en vous détachant des préjugés, des pièges d’interprétation, des stéréotypes et des raisons simplistes. Ces derniers ne vous poussent pas uniquement à passer à côté de l’essentiel pour comprendre les postures exceptionnelles, mais vous induisent en erreur par rapport à votre propre posture. 

 

Posture/stimulus : éviter toute influence

Il est clair qu’une bonne compréhension des situations et des émotions engendrées est importante pour faire aboutir toute action dans un environnement organisationnel. Ce qui reste impressionnant est comment cette capacité se trouve «neutralisé» par les biais cognitifs qui peuvent être soit hérités d’anciennes situations, soit résulter de stimulus des situations auxquelles nous faisons face. Les stimuli qui peuvent induire la posture, les décisions et les jugements en erreur sont multiples et ont fait l’objet de beaucoup d’analyses et d’expériences scientifiques à l’instar des celles de Richard Thaler, Prix Nobel d’Économie en 2017, qui met en valeur souvent le rôle de l’influence du stimulus (qu’il appelle les nudges) de l’environnement et des acteurs sur les individus et leurs comportements. Une des sources des biais/nudges est la capacité des êtres humains à créer des raccourcis. Il s’agit d’une aptitude qui est, d’apparence, efficace et qui permet de nous permettre d’étiqueter des situations données, puis de reproduire des comportements/attitudes que nous nous trouvons dans des situations similaires. Une fois le premier travail d’analyse est fait pour tirer des conclusions ou des actions par rapport à une situation et vis-à-vis des acteurs de cette situation, nous développons un raccourci pour pouvoir le réutiliser les prochaines fois que nous aurons affaire à des situations similaires. Les raccourcis sont très efficaces et traduisent notre capacité à apprendre et à maîtriser plus rapidement les situations. Utiliser des raccourcis voudra aussi dire que vous allez progresser plus rapidement, et vous n’allez pas perdre du temps. Ceci dit, aller plus vite ne veut pas dire aller plus loin. Les raccourcis nous induisent en erreur dans plusieurs cas à l’instar des «comportements moutonniers» très contagieux et qui sont une conséquence des effets de la preuve sociale qui désactivent le raisonnement individuel au profit du sentiment d’appartenance et de la crainte du rejet du groupe. 

 

Équilibrer patience et proactivité 

La posture managériale a besoin de recul instantané pour apprécier les situations et éviter le conditionnement par l’environnement. Une des questions majeures qui se posent quand on aborde cette réflexion est le nécessaire équilibre entre patience et proactivité dans la posture managériale. Prenons un exemple pour mieux illustrer ces propos : Quand vous vous adressez à quelqu’un avec un discours réformateur ou une proposition de changement, et il le rejette sans consensus, quelle est votre réaction ? Est-ce que vous persévérez ou vous laissez tomber ? La réponse est clairement dépendante de votre conviction, de votre pouvoir dans l’organisation ainsi que de la force de vos arguments, mais surtout conditionnée par l’intensité des enjeux en terme d’intérêts. Ceci dit, le «timing» et le temps consacrés à argumenter pour convaincre votre interlocuteur doivent être très décisifs pour vous afin de décider de persévérer ou non dans votre démarche de persuasion. Contrairement à ce que nous pourrions imaginer, la composante temps est une des pièces maîtresses de ce type de situation. La raison ne réside pas uniquement dans le manque à gagner ou les opportunités que vous risqueriez de perdre alors que vous passez votre temps à convaincre, mais aussi, et surtout, qu’avec le temps tout risque de changer spontanément sans injonction de votre part. Ceci n’est pas antinomique avec votre pro-activité. La proactivité doit être couplée avec la sagesse et la planification cadencée, et non avec la précipitation coûte que coûte. Ceci s’applique aux situations de négociation et de persuasion, mais aussi à d’autres contextes de prise de décision ou de conduite de changement.

Temporiser vos réactions s’avère donc être une nécessité incontournable. Pour cela, il faut insister sur une qualité dans le comportement humain : la franchise pour aller droit au but et dire les choses telles qu’elles sont. Mais, attention, la franchise dénuée d’empathie n’est qu’agression dans plusieurs cas de figure. Vous pouvez bien trancher rapidement en interprétant un comportement de votre interlocuteur et en communiquant dans ce sens, mais vous n’arriverez pas à développer l’engagement de ce dernier pour changer et pour aller plus loin dans la collaboration avec lui. Cette réflexion devra vous interpeller non pas pour cesser d’être franc, mais plus pour vous permettre d’allier la franchise avec d’autres qualités, à savoir l’empathie, l’écoute et la sensibilité vis-à-vis du contexte. C’est bien autour de cette réflexion que l’expression «laisser le temps au temps» n’est ni une échappatoire de la prise de décision ni un manque de leadership ou d’esprit d’initiative. Laisser le temps au temps est un moyen de gagner en maturité face à la complexité de certaines situations que la rigueur n’arrive pas à résoudre systématiquement. S’engager à chaud dans le feu de l’action sans connaissance de l’environnement et des circonstances qui font les attitudes de vos collaborateurs ne va que biaiser la démarche d’engagement et la mener, à tort, vers une issue destructrice de valeurs. 

Il faudrait reconnaître que la notion du temps n’a pas la même valeur selon les cultures. En Orient et au Moyen-Orient, la notion du temps a effectivement plus de valeur en termes de maturité et de sagesse alors qu’en Occident, elle est plus significative d’anticipation et même d’efficacité. Tout l’art de votre influence réside dans la pertinence de votre démarche entre anticipation et maturité. La proactivité, dans ce cas, doit être orientée vers la sagesse alors que l’anticipation doit éviter la précipitation. Il est clair que le fait de laisser le temps au temps ne signifie pas une absence de planification, mais plus une vision de recul par rapport au fait qu’il faudrait du temps pour vaincre les résistances, et surtout une acceptation de l’idée selon laquelle les paradigmes, les conditionnements et les opinions révèlent souvent des ancrages très profonds que la simple rigueur ou argumentation n’arrive pas à surmonter. Cet état d’esprit ne doit pas conduire la posture managériale vers l’inactivité ou la passivité. 

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