Rétablir la confiance entre l’administration fiscale et le contribuable. C’est le principe directeur des mesures d’amnistie fiscale que renferme le Budget 2020. À partir de janvier prochain, les personnes physiques et morales auront la possibilité de procéder à une régularisation spontanée de leur situation fiscale en contrepartie d’un package d’avantages, dont l’anonymat. Ceux ayant des avoirs à l’étranger auront, eux aussi, l’opportunité de régulariser leur situation en remplissant les mêmes conditions du dispositif de la contribution libératoire initiée en 2014 et qui aura permis la déclaration de quelque 28 milliards de dirhams d’avoirs à l’étranger.
Une pratique qui date
Contexte socio-économique oblige, le Maroc a toujours recouru au dispositif de l’amnistie fiscale pour rétablir la confiance entre l’Administration et les contribuables et renflouer les caisses de l’État. Pour Mohamed Hdid, président de la Commission fiscalité et régime de change à la CGEM, le climat de confiance et les mises au point entre le Trésor et le contribuable existent depuis longtemps. «Les amnisties fiscales existaient déjà dans les années 90 et 98. Puis, le Royaume a également procédé à des mises à niveau comptables fin des années 90. Chaque contribution répondait à un contexte particulier. Mais il y avait des suites logiques entre les différentes décisions prises dans ce sens», rappelle Hdid.Abdelmajid Faiz, président de la Commission juridique et fiscale de l’Ordre des experts-comptables, qui figurait parmi les 5 panélistes, abonde dans le même sens. Pour lui aussi, «de par l’histoire, les amnisties décidées par le gouvernement répondaient à des contextes particuliers».«Grande réussite» de la contribution libératoire de 2014»
La première amnistie qui a concerné les avoirs à l’étranger remonte même à 1962, a rappelé Driss Bencheikh. Le secrétaire général de l’Office des changes a insisté sur «la grande réussite» de la contribution libératoire de 2014 qui aura permis de récolter 19.000 déclarations, soit 28 milliards de dirhams déclarés. Ce qui traduit, selon lui, le niveau de confiance des contribuables concernés pour l’Administration. Cette confiance revient aussi chez Driss Maghraoui, directeur exécutif en charge des professionnels chez Attijariwafa bank : «Je pense que le mot amnistie renferme en soi une connotation négative. C’est pourquoi je préfère plutôt parler de rétablissement de la confiance entre le contribuable et l’Administration». D’ailleurs, argue-t-il, «si l’on se penche sur la dernière opération en date (amnistie de 2014, ndlr), je dirais que c’est la confiance qui en a garanti le succès».L’économiste Mehdi El Fakir, lui, estime que par rapport à toute démarche économique, le levier fiscal est omniprésent, car c’est une source pour l’État afin de financer sa politique et maintenir son effort financier. «L’amnistie est justement un levier pour financer toute démarche économique. Bien sûr, chaque amnistie répondait à un contexte particulier mais aucune n’aura permis de relancer réellement l’économie parce que juste après les mêmes pratiques ressurgissent», fait-il remarquer.Avoirs extérieurs, l’opération de la dernière chance
Pour Mohamed Hdid, le contexte actuel est marqué par une crise de confiance. Celle-ci se traduit, selon lui, par le fait que les contribuables ont du mal à investir et acquérir des biens immobiliers de crainte qu’on leur pose la question : d’où tenez-vous tout cela ? «Je pense que l’amnistie décidée dans la loi de Finances 2020 est venue rassurer les contribuables en leur disant : faites vos procédures de déclaration et ne craignez rien !», développe l’expert-comptable. Hdid affirme, par ailleurs, que pratiquement toutes les mesures d’amnistie contenues dans le Budget 2020 concernent les citoyens marocains directement, l’entreprise n’étant ciblée que par une seule portant sur les procédures rectificatives. «Une manière de leur dire : réveillez-vous, regardons l’avenir et faisons table rase du passé !», résume l’expert.Pour lui comme pour les autres panélistes, le digital a permis à l’administration de renforcer ses moyens de contrôle. «C’est ainsi que s’est installé chez le contribuable le sentiment que l’administration fiscale voit tout. Les citoyens craignent donc que celle-ci commence à disposer d’informations sur ceux qui ont de l’argent chez eux. Résultat : beaucoup de citoyens ont aujourd’hui peur d’acheter même s’ils disposent de compromis de vente depuis plusieurs mois», développe-t-il. Évoquant le contexte des amnisties de 2020, le Secrétaire général de l’Office des changes avance que la contribution libératoire, prévue l’année prochaine, est une «dernière chance» pour les citoyens disposant d’actifs à l’étranger afin de pouvoir échapper à toute pénalité. Car, rappelle-t-il, à partir de 2021, le processus d’échanges d’informations entre le Royaume et les banques étrangères devra entrer en vigueur. L’administration fiscale aura donc un accès à des bases de données comprenant des informations sur les avoirs des Marocains à l’étranger. Impossible à ce moment de se dérober !----------------------------------------------------------------
Mohammed Haïtami : «L’apurement du passif et du passé est nécessaire pour démarrer sur de nouvelles bases, dans la sérénité et la confiance»
«Nous allons débattre aujourd’hui d’un sujet qui interpelle la société marocaine dans son ensemble : L’amnistie fiscale. Il interpelle les citoyens et entreprises, en d’autres termes les contribuables. Il interpelle le monde politique puisqu’il s’agit de choix effectués par le gouvernement et entérinés par les deux Chambres du Parlement. Il interpelle également le mouvement associatif, notamment les consommateurs et les acteurs sociaux comme le patronat et les syndicats. Il provoque forcément un débat sociétal sur des sujets allant au-delà de l’amnistie elle-même, comme l’égalité devant l’impôt, le vivre ensemble, le consentement à l’impôt et la solidarité entre citoyens, appelés à faire l’effort en fonction des facultés contributives de chacun. Nous avons choisi pour thème de cette matinale : Les amnisties fiscales : vers la fin de l’impunité.
Au sein de nos rédactions, nous avons un parti pris et nous l’assumons. Nous estimons que l’amnistie ou les amnisties proposées viennent à point nommé et constituent une opportunité qu’il convient de saisir. Sans anticiper sur les interventions de nos éminents spécialistes, il nous apparaît que les conditions et les causes ayant présidé à ces amnisties tiennent à trois raisons :1. La technologie : plus précisément le digital, le big data, le croisement des données d’origines diverses. La DGI a fait sa mue et dispose désormais d’outils performants pour débusquer les erreurs ainsi que les omissions involontaires ou non. Cette capacité a été démontrée à l’occasion de révisions ayant touché des activités comme les professions libérales. C’est une nouvelle donne. L’apurement du passif et du passé est nécessaire pour démarrer sur de nouvelles bases, dans la sérénité et la confiance.
2. Les engagements internationaux du Maroc :
Sous la conduite éclairée de S.M. le Roi que Dieu l’assiste, le Maroc a fait le choix de l’ouverture et il s’inscrit dans les règles de la légalité internationale. La lutte contre le terrorisme, contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale, obligent à une traçabilité des mouvements de fonds et à la traque des opérations financières illégales domestiques ou internationales. L’adhésion du Maroc à l’OCDE et sa signature des protocoles d’échanges des données financières détenues par les banques des pays signataires rend le contrôle beaucoup plus aisé et instantané. La suite est connue de tous.3. La convergence et l’harmonie avec d’autres mesures, lesquelles mesures prises isolément n’auraient pas l’effet escompté. Je m’explique :
En matière d’incidents de paiement (chèques impayés) on dénombre à fin 2018 un cumul de 98 milliards de dirhams d’impayés, causés par 3 millions de personnes, dont 645.000 causés par des personnes morales. Par ailleurs, Bank Al-Maghrib va ouvrir au public (commerçants et particuliers) la consultation en ligne avant de se faire payer par chèque ou traite. Il fallait donner une chance à toutes ces personnes pour régulariser leur situation. Comment encourager cette frange de la population (presque 20% de la population adulte) à régulariser sa situation ? L’État renonce à une partie de la pénalité. En revanche, les droits des créanciers sont sauvegardés. Rappelons que l’absolution est subordonnée au règlement intégral de la créance impayée. Amnisties, la fin de l’impunité ? Je laisse le soin à nos invités de répondre à cette interrogation et à toutes celles que nos invités et les internautes qui nous suivent à distance pourraient formuler. Avant de céder la parole, je voudrais vous informer que nous préparons un calendrier riche de matinales. Pas moins de 12 conférences du Cycle de Conférences du Groupe le Matin sont prévues en 2020. Elles seront autour du nouveau modèle de développement et traiteront des différentes thématiques majeures concernées par ce plan. Nous communiquerons plus en détail sur ces conférences.»