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Retard de paiement : Des victimes sont à blâmer pour leur mauvaise gestion de trésorerie

La gestion de la trésorerie est stratégique pour les entreprises. Elle conditionne leur capacité de survie, de développement et d’honorer leurs obligations envers leurs partenaires tels que les employés, les fournisseurs, l’État, les banques et les actionnaires. Or beaucoup d’entreprises ne respectent pas les fondamentaux d'une bonne gestion, notamment l’élaboration d’un budget de trésorerie. Dans cet entretien, Amine Adlouni, souligne les risques, les principes d’une bonne gestion de trésorerie ainsi que l'enjeu de la relation bancaire qui est un facteur clé pour son optimisation.

Retard de paiement : Des victimes sont à blâmer pour leur mauvaise gestion de trésorerie

Le Matin-Éco : Pour une entreprise, comment améliorer la gestion de la trésorerie au quotidien ? 
Amine Adlouni
: Pour qu’une entreprise, petite ou grande, puisse survivre, elle doit vendre, facturer ses clients, et surtout honorer ses obligations envers ses partenaires, à savoir ses employés, ses fournisseurs, l’état, les organismes sociaux, les banques…, et enfin ses actionnaires. Il faut noter aussi, que les actionnaires, à la fin de chaque exercice, ne s’attendent pas uniquement à un résultat positif, mais aussi à ce que la trésorerie soit excédentaire pour que des dividendes leur soient versés.
Tout cela représente un exercice de jonglage permanent auquel sont soumis les dirigeants et directeurs financiers. Autant dire qu’ils doivent maitriser annuellement des millions de flux en quantité, en montant et à temps.  Pour que ces derniers puissent mener à bien cette mission des plus complexes, ils doivent effectivement gérer leur trésorerie au quotidien.

Alors par où commencer ?
Avant tout, vers la fin de chaque exercice, généralement en septembre, les entreprises élaborent leur budget global de l’année suivante en commençant par constituer le budget des ventes à travers lequel sont identifiés les besoins en ressources nécessaires pour l’atteindre : les ressources humaines, les achats de matières et services, les loyers, les frais de marketing… Et aussi identifier les investissements nécessaires qui seront financés par les fonds propres, la banque ou par un financement mixte. Une fois tous ces charges et investissements couverts, il faudra générer des bénéfices.
C’est à partir de ce budget global que le travail du directeur financier et du responsable contrôle de gestion commence. Ils doivent établir un budget de trésorerie, en prenant en considération les décalages dans le temps entre les décaissements et encaissements, et en gardant à l’esprit les gains et pertes de change, les impôts et taxes comme les acomptes d’IS et la TVA ; puisque les factures des achats et ventes sont généralement comptabilisées en TTC. À cela s’ajoutent aussi les acquisitions d’immobilisations qui sont souvent réglées la même année, mais comptablement sont amorties sur plusieurs exercices.
Malheureusement, selon notre constat, beaucoup d’entreprises, même des grandes, ne réalisent pas l’importance de ce budget de trésorerie, puisqu’elles ne l’élaborent pas ou ne le suivent pas. De même, la majeure partie de ces entreprises disposent d’un manuel de procédures ne comportant pas au niveau de la procédure budgétaire le volet relatif au budget de trésorerie.

Qu’en est-il des entreprises qui disposent d’un budget de trésorerie ? 
Une fois ce budget de trésorerie établi, il faudra le respecter coûte que coûte en identifiant en amont tous les risques et en pratiquant un contrôle budgétaire assidu, c'est-à-dire contrôler quotidiennement ou mensuellement si les budgets sont dépassés, ou ne sont pas atteints. Certes, les grandes entreprises et PME sont victimes des retards de paiement qui les handicapent, mais il ne faut pas se voiler la face, certaines sont à blâmer puisqu’elles gèrent très mal leur trésorerie.
Pour que la trésorerie soit positive, il est essentiel que le fonds de roulement soit supérieur au besoin en fonds de roulement : en résonnant cash, le fonds de roulement est constitué globalement par le capital versé par les actionnaires, les réserves et reports à nouveau lorsque les actionnaires ne réclament pas leurs dividendes, et les emprunts auprès des établissements de crédit pour financer les investissements. Une fois les investissements – ou immobilisations – financés par ces capitaux, et qu'il existe encore du cash, cela représente le fonds de roulement. Ce dernier doit couvrir le besoin en fond de roulement, c’est-à-dire le décalage entre les encaissements des créances clients et les décaissements relatifs au règlement des dettes, sachant qu’en raisonnant cash, si un stock existe il est considéré comme de la trésorerie dormante donc comme une créance dans notre équation.
De ce fait, lorsque le fonds de roulement couvre le besoin en fond de roulement, la trésorerie est positive. Ainsi, c’est le challenge du dirigeant, en s’appuyant sur ses collaborateurs, de faire en sorte que cette équation soit toujours positive. Néanmoins, comme on dit, un bon trésorier est celui dont la trésorerie est proche de zéro; cela signifie qu’en cas d’excédent, l’entreprise devrait investir en plaçant sa trésorerie en dépôt à terme, en OPCVM, en actions…, selon le risque qu’elle souhaite prendre ou selon la vision du groupe.

Et dans le cas contraire ?
En cas de crise de trésorerie, l’entreprise devrait très vite opter pour la solution la moins onéreuse et moins douloureuse possible : soit négocier avec le client un règlement immédiat en dévalorisant les créances, solder son stock en contrepartie d’un encaissement immédiat, ou encore demander une ligne de crédit bancaire, assimilable à un découvert, qu’il faudra rembourser à très court terme puisque ces crédits sont sanctionnés par un taux d’intérêt élevé… 
Dans ce cas de figure l’entreprise doit être certaine qu’un encaissement est imminent, demander une avance à l’un des associés en contrepartie du versement d’un intérêt au moins égal au taux directeur de Bank Al-Maghrib, réaliser un lease-back : céder une immobilisation à la banque puis la louer, ou augmenter son capital. Aussi, pour bien gérer sa trésorerie, l’entreprise devrait s’outiller en utilisant des ERP (Progiciel de gestion intégré, ndlr) pour les grandes, et des logiciels performants pour les PME. Elles pourraient aussi se faire accompagner par des cabinets et experts en la matière.

La relation bancaire est un facteur clé pour maîtriser la gestion de la trésorerie et optimiser les financements. Comment bien choisir sa banque et construire avec elle une collaboration efficace ?
La banque est effectivement le partenaire privilégié de l’entreprise puisqu’à travers un engagement initial elle l’accompagne pour le meilleur et pour le pire, et à très long terme.
De ce fait, il faut bien choisir ce partenaire en fonction de ce que l’entreprise attend de lui, à savoir la fidélité, l’accompagnement durant les moments difficiles, la facilité de l’octroi de lignes de crédit lors de crises passagères, le déblocage d’emprunts intéressants lors de la croissance, et une vision commune lors de prises de risques. En contrepartie, l’entreprise nourrit la banque à travers les frais de gestion, les intérêts versés et les placements en cas d’excédent de trésorerie.
Chaque entreprise peut trouver son intérêt en traitant avec une telle ou autre banque, tout dépend de son besoin : certaines banques sont plus efficaces lorsque l’entreprise réalise plusieurs transactions à l’étranger, ou proposent des couvertures de change moins onéreuses que d’autres. 
D’autres banques sont plus souples dans l’octroi de crédits bancaires à court terme ou d’emprunts à long terme en répondant positivement et rapidement, et en proposant un taux d’intérêt compétitif.
Il faut savoir que la plupart des entreprises traitent avec plusieurs banques simultanément, en fonction des opérations : ligne de crédit, emprunt, couverture, placement, importation, exportation… À chaque banque ses forces de propositions et ses limites. De ce fait, il ne faut jamais hésiter à challenger les banques chaque fois que cela est nécessaire.

Que peut-on négocier avec son banquier et surtout comment bien négocier avec lui ?
Plusieurs éléments peuvent être négociés avec son banquier, à commencer par les fameux frais bancaires qui sont prélevés pour toute opération, ces frais paraissent individuellement faibles, mais en les cumulant vous risquez de faire une grosse grimace ! 
Ensuite sont négociés les taux de lignes de crédit sur le court terme pour faire face à un besoin urgent en cash, les taux d’intérêt relatifs aux emprunts lorsqu’il s’agit d’un investissement, sans oublier les hypothèques, les cautions, les garanties, les couvertures de change, les intérêts à recevoir lorsqu’il s’agit d’un placement en dépôt à terme… La liste est longue, pratiquement tous les produits bancaires sont à négocier avec les banques.vPour bien négocier, cela reste similaire à tous les marchés, à savoir challenger les différents concurrents, à savoir toutes les banques, l’entreprise doit présenter ses «muscles», c’est-à-dire des garanties solides, jouer sur le paraitre surtout pour les multinationales qui sont supportées par la maison mère, et présenter un business plan prometteur et crédible.

 Justement, les banques adoptent un système de rating pour l'octroi des prêts et la fixation du taux d'intérêt. Que doivent faire les entreprises pour améliorer leur rating chez leur banque ?
Le dicton dit qu’on ne prête qu’aux riches. C’est le cas des banques, qui utilisent un rating pour évaluer le risque couru, et ainsi définir dans un premier temps si vous êtes solvable. Dans le cas contraire, la banque ne vous suit pas dans votre prise de risque et «jette les cartes». Si vous êtes solvable, le rating permet à la banque de définir le plafond du prêt et le taux d’intérêt minimum à appliquer. Il faut noter que la plupart des banques marocaines ne vous suivront, malheureusement, que si le risque est bien limité. C’est pour cela qu’il faut présenter les meilleurs chiffres au niveau du haut de bilan à savoir un taux d’endettement faible, un capital fort et des résultats passés positifs. Toujours dans le haut du bilan, les banques scrutent le patrimoine de l’entreprise qui, d’une part, signifie qu’elle est en pleine croissance vu la valeur des investissements et, d’autre part, ce patrimoine présente une garantie en cas de non-remboursement du prêt ou emprunt. Au niveau du milieu du bilan, la banque contrôle le fameux besoin en fonds de roulement, pour savoir si vous disposez d’une bonne capacité à écouler votre marchandise, à vous faire payer au bon moment à travers une bonne politique de recouvrement, et si vous ne croulez pas sous les dettes, donc potentiellement solvable. Puis elle vérifie votre trésorerie, et placement s’ils existent.  Au-delà des chiffres, la banque s’intéresse à votre secteur d’activité pour savoir s’il est prometteur aujourd’hui, sachant qu’il peut ne pas l’être demain, en tout cas à travers une projection. Si vous êtes une filiale soutenue par votre société mère qui se porte garante pour vous, il s’agit d’un très gros avantage.  


Attention au dossier de financement !

Selon Amine Adlouni, le dossier de financement doit être le plus complet possible et reprendre l’historique de l’ensemble des principaux chiffres. Ces derniers concernent le capital, l’endettement donc l’indépendance financière, les immobilisations – qui représentent le patrimoine de l’entreprise –, les créances, les dettes, les placements, le chiffre d’affaires, tous les postes de charges et priorisant les charges de personnel ainsi que la projection sur les années à venir. 
«Concernant tous ces chiffres, il faut surtout garder à l’esprit que le fonds de roulement doit toujours être supérieur au besoin en fonds de roulement», insiste le directeur général de CFG Conseil. 
Viennent ensuite les autres éléments extra comptables, à savoir le secteur d’activité, l’adresse de l’entreprise, le nombre d’actionnaires… jusqu’à, parfois, l’âge du gérant pour les sociétés de personne. «En conclusion, une entreprise qui ne gère pas correctement sa trésorerie ne peut pas survivre à long terme ou ne peut pas grandir. Elle ne doit surtout pas hésiter à recruter un excellent trésorier».

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