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«À travers ce voyage, j’ai voulu montrer la différence entre les grandes villes et le monde rural au Maroc»

«À travers ce voyage, j’ai voulu montrer la différence entre les grandes villes et le monde rural au Maroc»

Le Matin : Vous avez fait Casablanca-Ksar Ich à  pied. Vous aviez l’habitude de ce genre de voyage ?
Hicham Aït Almouh
: J’ai fait plusieurs voyages à  vélo au Maroc. J’ai parcouru presque 2.750 km en un mois en Tunisie et Algérie. C’est une passion.

Pourquoi avez-vous choisi le voyage à  pied cette fois ?
Je fais de la course à pied.  J’ai fait des marathons. Je me suis inspiré d’une Norvégienne qui avait fait le tour de l’Iran à vélo pour partir de la capitale économique où  je travaille jusqu’au village Ksar Ich à  l’extrême de l’Oriental, à l’est du Maroc.

Pourquoi le choix de Ksar Ich précisément ?
J’ai voulu montrer la différence entre les grandes villes et le monde rural  au Maroc. Ksar Ich est un village très riche à environ 100 km de la ville de Figuig que j’avais déjà visitée. Il a une histoire datant de plusieurs siècles, mais il est méconnu. Pour faire la comparaison avec la capitale économique, il faut un village pareil et qui me permet de faire une longue distance en une seule ligne, en un mois.

Comment s’est déroulée la préparation du voyage ?
C’était surtout une préparation physique. Je me suis entraîné pendant 12 mois depuis juillet 2018. J’ai eu quelques accidents de parcours que j’ai essayé de soigner avant l’arrivée de la date fatifique : août 2019. Il fallait aussi une préparation psychologique pour courir 900 km sous la chaleur d’août, le climat à  Casablanca étant plus clément que dans les régions de mon périple.

Et pour la préparation financière ?
J’avais surtout besoin d’une poussette sportive pour porter les bagages. J’ai eu la chance d’en trouver une d’occasion en Belgique, grâce à un ami, et finalement sa propriétaire a aimé le projet et  me l’a offerte.

Vous avez passé la période de  Aïd Al Adha seul ?
J’ai passé la veille de l’Aïd dans une mosquée à  Gourrama. Un confrère originaire de cette ville qui habite à Rabat m’a demandé de l’attendre pour passer l’Aïd ensemble, mais il n’est pas venu. J’étais obligé  de trouver une solution. J’ai passé  la nuit dans une vielle mosquée  transformée  en école  d’alphabétisation pour les femmes.

Quelle était la réaction de votre entourage par rapport au voyage ?
La famille marocaine n’encourage pas beaucoup ce genre d’activité. J’ai la chance d’avoir fait beaucoup de voyages à vélo, donc ma famille a l’habitude, mais il a fallu annoncer à ma mère que je n’allais pas passer Aïd Al Adha avec elle. Mes amis ont aussi la même  passion et m’ont encouragé. Un d’entre eux m’a accompagné  dans la première  étape de Casablanca, à  Fdalate, dans la province de Benslimane. D’autres  m’ont rejoint en route. Un ami m’a rejoint à  Khénifra pour me tenir compagnie pendant quelques heures. Amine et Mohamed sont venus de Rabat à  vélo  jusqu’aux environs de Ezzhiliga à environ 170 km de Casablanca. Des amis casablancais  ont parcouru des centaines de kilomètres pour prendre un thé  avec moi à  Er-Rich. Hakim Tazarni est venu de Tinzouline à Zagoura courir avec moi les quatre derniers jours où l’effort physique est intense,  on n’a pas le moral et on est épuisé.

Comment organisiez-vous vos journées ?
J’ai couru plus que les 3/4 de la distance, qui est de 906 km. Je suis habitué à  l’effort physique, mais le plus difficile est  de trouver le ravitaillement,  l’eau et un endroit pour s’abriter du soleil. Je me réveillais à  5 heures du matin pour courir très tôt jusqu’à 9 ou 10 h, puis je m’abritais de la chaleur avant de reprendre au coucher du soleil. Parfois, on ne trouve pas où se cacher, se laver. Heureusement, j’ai ma petite cuisine qui m’accompagne toujours. Comme j’ai l’habitude de voyager avec le vélo, je pouvais me débrouiller. La nuit, je dormais souvent à côté de la route, parfois sans tente. J’ai dormi trois fois dans des mosquées. Deux fois, j’ai loué des petites chambres chez des familles dans des villages où il n’y a pas d’hôtel, car j’avais la flemme de sortir la nuit pour chercher un lieu pour dormir. À Khénifra, j’ai passé une nuit à l’hôtel pour me reposer, me laver et bien manger avant de reprendre le voyage. La tente était un équipement très  précieux  durant ce voyage. 

Vous avez eu des moments de  regret ?
Il y a eu  surtout des moments de doute dans la dernière partie du voyage où il y a de longues distances entre les villages et beaucoup de chaleur. Je devais marcher parfois  35 km sous un soleil de plomb sans pouvoir me cacher, sans nourriture  ni eau. C’était une expérience extrême.

Avez-vous eu des imprévus ?
Beaucoup. Je n’ai pas trouvé de ravitaillement dans  certaines villes, les aléas  du climat. Durant les quatre derniers jours, il y avait un orage. Chose qui peut être  dangereuse  dans un voyage, notamment  si le matériel est mouillé. Mais j’ai toujours su dépasser les difficultés, parce qu’il fallait avancer.

Est-ce qu’il y avait des étapes plus difficiles que d’autres ?
Parmi les étapes qui m’ont marqué, c’est une journée où j’ai parcouru 51 km de Béni Tadjite, connue pour ses mines. J’ai refusé l’invitation de passer la nuit chez un ami pour avancer,  mais jr l’ai regretté. J’ai marché 12 km et j’ai dormi à la belle étoile, mais j’étais dérangé  par le vent et je n’ai pas bien dormi.  Le lendemain j’ai repris la route sans récupération.  J’ai couru 15 km jusqu’au village de Bni Bassia. Entre ce dernier et la ville de Bouanane, il y a 35 km avec un paysage aride et  une chaleur intense. C’était très difficile, car je ne connaissais pas ce trajet. Le parcours Bouanane-Figuig,  est  aussi difficile. Entre Bouanane et le village Aïn Chaïr, il y a 55 km avec comme décor un café fermé et une maison en construction.

Vous n’aviez pas de cartographie pour ces régions ?
Je connaissais la route de Casablanca jusqu’à  Khénifra,  il n’y a pas plus de 20 km entre les villages. Le reste du voyage, il y a des parties où  les cartes ne peuvent pas donner une information fiable.  Il faut s’informer sur place et parfois c’est trop tard.  Il y a des régions méconnues, on ne sait même pas si la route est goudronnée. Au Maroc, le décalage entre les zones rurales et les grandes villes est énorme. Les modes de vie sont différents. Dans certaines régions, les nomades vivent à la manière ancestrale. Ils se déplacent au moins deux fois par an et doivent rester près  d’une  route goudronnée. La communication est parfois  difficile, car plusieurs d’entre eux ne parlent que le dialecte amazigh. La population des bergers est aussi très  
spéciale.

Est ce qu’il  y a des régions que vous voudriez revisiter ?
Tout le trajet. Je suis tombé  amoureux des hauts plateaux dans les environs de Figuig, Bouarfa. C’est une région rude, mais très riche. Figuig est une ville magnifique, ancestrale,  avec des belles constructions, un système d’irrigation, des palmeraies...

Des personnes qui vous ont marqué ?
J’ai gardé le contact avec les personnes rencontrées durant le voyage : le muezzin  qui m’a laissé  dormir dans la mosquée  à  Gourrama, la personne avec qui j’ai passé  l’Aïd, Si Mouha à Aït Hmad Ouhaddou, mon ami Mohamed Hilali qui m’a rejoint à  Tizinghechou pour m’apporter de la nourriture et des habits. J’ai des amis maintenant à  Sidi Bettach et à  Bouarfa, notamment les acteurs associatifs Mohamed Jebbouri et Brahim Horma qui m’ont accueilli.  Aussi, les gens de Figuig qui m’ont suivi sur les réseaux sociaux.

Quels sont vos meilleurs souvenirs du voyage ?
Mon meilleur souvenir est l’arrivée. Les habitants  de  Ksar Ich  ont suivi mon trajet et m’ont  réservé un accueil chaleureux avec les drapeaux et les youyous. J’ai visité Ksar Ich qui est magnifique. Il y a une mosquée qui date de plusieurs siècles, un musée, une auberge encore fermée, des habitudes gastronomiques spécifiques. Le guide Allal Mohamed est disponible sur place. J’ai apprécié la route où il y a beaucoup de nomades, la flore aussi comme le chou fleur du désert.

Comment avez-vous remercié les gens de Ksar Ich ?
Tout le village est comme ma famille actuellement. J’ai suggéré à une association que je connais de visiter la région. J’ai réalisé un reportage de voyage publié sur «La Vie éco» et j’en parle à mes confrères journalistes pour médiatiser la région. J’en parle le plus souvent possible dans mon entourage parce que j’estime qu’en tant que Marocains, nous avons une responsabilité par rapport à nos compatriotes dans les régions lointaines et les montagnes qui vivent  dans des situations difficiles. J’ai partagé le voyage sur les réseaux sociaux pour que les gens aient envie de visiter cette région ou du moins sachent qu’elle existe. Des personnes m’ont contacté  pour savoir comment aller à  Ksar Ich. Avec la crise du Covid-19, l’orientation générale est le tourisme interne, c’est une occasion de visiter cette région. Même s’il fait  chaud, il y a toujours des choses à voir et à  vivre.

Comment aller à  Ksar Ich ?
On peut y aller en voiture ou par avion jusqu’à Bouarfa, puis prendre un moyen de transport vers  Figuig  ou directement à  Ksar ich. Il y a des bus qui font Oujda-Bouarfa, après on s’arrange pour aller à  Ksar Ich.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui voudraient refaire le même voyage à pied ou à  vélo ?
Je n’ai pas eu la possibilité de choisir la saison du voyage à cause des contraintes de mon travail, mais il faut y aller en avril ou mai quand le climat est plus clément. 
On  peut aussi partir durant la saison des  dattes en octobre.

Est-il mieux de voyager seul ou accompagné ?
Seul, on a la liberté  de se déplacer, de choisir son emploi du temps. Quand on voyage avec quelqu’un, il faut accepter de renoncer à une certaine manière de faire. Les deux options sont bonnes, mais je suis habitué à faire le voyage tout seul.

Qu’est-ce que vous avez retenu des expériences vécues durant ce voyage ?
J’ai l’habitue  de voyager à vélo  dans des régions reculées  du Maroc et je connais la générosité des Marocains.  C’est une réalité et non un slogan. Par exemple, dans la journée de l’Aïd, je suis arrivé au  village Aït Hmad Ouhaddou, entre Gourrama et Bni Tadjite,  au moment où on prépare le mouton. J’étais fatigué, car j’avais mal dormi la veille. J’ai voulu me reposer derrière  une maison, alors un retraité originaire de la région m’a invité chez lui. J’ai pu me laver, manger et  dormir avant de repartir le lendemain. Des histoires pareilles se répètent souvent dans ces régions. Le vrai Marocain est généreux de nature. Les gens dans ces villages n’ont pas perdu les habitudes et traditions. Un étranger de passage est spontanément nourri, logé et traité comme un membre de la famille.

Quel sera votre prochain  voyage ? 
Je suis en train d’y réfléchir,  puisque je prendrai mon congé  au mois d’août. J’ai un problème  d’inflammation plantaire qui m’empêche  de courir et je ne peux pas m’entraîner à   cause du confinement. Ce sera un voyage à  vélo  au Maroc. 


Les grandes étapes du voyage

• Casablanca 
• Benslimane
• Ezzhiliga
• Khénifra
• Kerrouchen
• Midelt
• Er-rich
• Bni Tedjite
• Bouanane
• Bouarfa
• Ksar Ich

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