Menu
Search
Vendredi 26 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 26 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Culture

«Abdelkébir Khatibi doit être source de critique renouvelée, d’inspiration pour les chercheurs, les écrivains, les artistes, les acteurs sociaux et politiques et d’émulation»

Le livre «Celui qui vient de l’avenir, Abdelkébir Khatibi» rend un hommage posthume à la mémoire de «l’écrivain, le penseur radical» marocain, feu Abdelkébir Khatibi, décédé il y a 10 ans. C’est un hommage au nom de «l’amitié et de la filiation de l’esprit». Trois générations d’auteurs ont participé à cet ouvrage qui «questionne l’œuvre théorique, philosophique, critique et politique de Feu Khatibi». Questions à l’écrivain Abdelghani Fennane qui a dirigé ce travail collectif.

Le Matin : Pourquoi un ouvrage sur Abdelkébir Khatibi ?
Abdelghani Fennane :
Parce que Abdelkébir Khatibi c’est Abdelkébir Kahtibi, c’est-à-dire un moment exceptionnel dans l’évolution du champ culturel au Maroc, au Maghreb et dans le monde arabe. Ce moment a permis d’ouvrir nos sociétés à de nouvelles questions, telles que le rapport à l’autre, le bilinguisme, la décolonisation du savoir, l’avant-gardisme dans l’écriture… Ce moment correspond aussi à une stratégie de penser et d’écrire qui a mis le dialogue au centre de sa démarche (dialogue avec l’Occident, avec les Juifs, avec les femmes…) alternant lectures, voyages, rencontres, curiosité des autres cultures et une attention particulière à sa société, soit à travers les archives ethnographiques, soit à travers l’observation de ses transformations, puisque Abdelkébir Khatibi est à la base un sociologue. Ce moment exceptionnel ne doit pas être oublié, il doit être source de critique renouvelée, d’inspiration pour les chercheurs, les écrivains, les artistes, les acteurs sociaux et politiques et d’émulation.

Quelle est la valeur ajoutée de ce livre par rapport aux autres travaux sur son œuvre ?
Ce qui est important, c’est d’abord de maintenir la mémoire de Abdelkébir Khatibi vivante, de la transmettre à de nouvelles générations de lecteurs et de chercheurs. Ce point a été très important quant au choix des auteurs qui ont contribué à cet ouvrage. J’ai aussi essayé d’orienter les contributions vers la part pensée, théorie, critique littéraire, critique d’art et rapport à la politique dans son œuvre. Cette part a été souvent négligée, ce qui a réduit Khatibi à l’écrivain maghrébin de langue française, parfois même au sens le plus péjoratif (rappelez-vous  à ce propos ce qu’a dit, injustement,  Bensalem Himmich de lui). Or Khatibi est un penseur-poète. C’est cet aspect que cet ouvrage a voulu aborder et c’est là où il fait exception par rapport à beaucoup de livres et de travaux universitaires qui ont été faits sur lui, si l’on exclut «Imaginaires de l’autre, Khatibi et la mémoire littéraire» (L’Harmattan 1987).

À votre avis,  qu’aurait pensé Abdelkébir Khatibi de l’actualité ?
Je ne peux  pas me permettre de  me mettre à sa place pour dire ce qu’il aurait pensé de «maintenant» ou de ce qui s’est passé depuis un certain temps dans le monde (Printemps arabe, réseaux sociaux, problème écologique…). Mais j’aimerais signaler qu’en 1988, il a rebaptisé le «Bulletin économique et social du Maroc» «Signes du Présent» (ce qui n’avait pas plu d’ailleurs à Habib El Malki). C’est une revue qui n’a pas duré longtemps. Son principe, comme il l’a lui-même défini dans  le «Prologue» de son premier numéro, c’est de s’ouvrir à des questions actuelles, notamment la transformation de la société sous l’impact des nouvelles technologies de la communication. Il a abordé dans un autre opuscule publié par l’IURS (Institut universitaire de la recherche scientifique) la question de la techno-science et dans un parmi ses derniers textes («L’homme-bombe») la question du terrorisme. Je veux dire par ces exemples qu’il a toujours voulu être au diapason de ce qui se passe dans le monde où il vivait et il l’a toujours analysé au prisme des notions qu’il avait créées.

Vous avez publié un ouvrage sur la photographie au Maghreb. Qu’est ce qui vous a inspiré pour ce livre ? Que peut-on y apprendre sur la photographie au Maghreb ?
L’ouvrage «La photographie au Maghreb», Aimance Sud Éditions, 2018, que j’ai dirigé, est le premier en son genre dans le monde. Il comble donc une lacune. Sa préparation a duré plus de trois ans. Il aborde la photographie au Maghreb depuis la photographie ancienne (Joseph Pedra, Gabriel Veyre, Gaëtan de Clérambault, le Sultan My Abdel’Aziz...) jusqu’à la jeune photographie contemporaine maghrébine (Atef Berrejdem, Hicham Gardaf, Lola Khalfa, Zharin Kalo...). Il s’agit d’inaugurer un champ de réflexion et d’impulser la photographie dans les pays au Maghreb. C’est ce qui est en train de se faire et je pense que ce livre y contribue. Cet ouvrage met en relief ce que j’ai appelé «la photo-sensibilité maghrébine» et dit qu’il est temps d’abolir les résistances qui l’empêche d’être reconnue, afin d’introduire des changements dans notre sensibilité artistique et dans les productions symboliques. 

Vous vous interessez aussi la poésie. D’ailleurs vous avez publié «Poèmes en seul majeur»...
La poésie est primordiale dans tout ce que j’écris. Que j’écrive sur la photographie, sur l’œuvre d’un écrivain ou la poésie proprement dite, la respiration, la musique, le transport par le langage des images, une forme d’érotisme… sont très importants pour moi. «Poèmes en seul majeur» (L’Harmattan, 2015) est pour moi l’aboutissement d’une expérience de vie et d’un cheminement dans l’écriture. Il faudrait commencer à lire ce recueil à partir de son titre «Poèmes en seul majeur». Titre indécent (je vous laisse deviner pourquoi) et intraduisible. Je l’ai écrit avec cet esprit d’insolence poétique avec le risque de n’être lu que par une minorité de lecteurs. Mais j’assume mon choix.

Quel est votre état d’esprit actuel ?
Je suis inquiet parce que le Covid-19 a montré que le monde dans lequel nous vivons est trop fragile et qu’outre la pandémie, qui pourrait durer et dégénérer, il pourrait s’effondrer.  Mais en même temps, je ne cède pas à la psychose et à la peur. Je continue à travailler et à vivre. Il faut bien résister, sans s’illusionner.

Votre programme au jour ?
Ma vie n’a pas beaucoup changé avec le confinement, en dehors des cours donnés à distance : la promenade de Roman, mon chien, deux fois par jour, le matin et en fin d’après-midi, les repas, un peu de temps pour la télé, surtout pour les infos (généralement le matin), la lecture (j’écris peu en ce moment), des exercices physiques sur la terrasse quand il fait beau (et il fait généralement beau en ce moment à Marrakech).

Une envie après le confinement ?
Mon envie après le confinement c’est de retrouver mes étudiants. Ils doivent paniquer, je les comprends. Des cours à distance, au Maroc, on n’y est pas encore préparé. Il faut être réaliste. J’ai envie de dire aussi : «Apprendre à vivre». Sinon je bouillonne : j’ai plein de projets pour la vie pratique et pour la création.

Un ouvrage à conseiller ?
Marguerite Duras, «Le Ravissement de Lol V. Stein».

 Un projet ?
Des rencontres entre écrivains et étudiants à la Faculté des lettres de Marrakech. Un projet reporté à cause de la conjoncture que nous sommes en train de traverser. 

À propos de Abdelghani Fennane

Abdelghani Fennane est écrivain et enseignant chercheur à la Faculté des lettres et des sciences humaines, Université Cadi Ayyad de Marrakech.  Parmi ses publications «Poèmes en seul majeur», «Poètes des cinq continents», L’Harmattan, 2015, «La photographie au Maghreb» (sous dir.), Aimance Sud Éditions, 2018, et «Celui qui vient de l’avenir, Abdelkébir Khatibi», Éditions Toubkal, 2020. Abdelghani Fennane est également spécialiste de la photographie.

Propos recueillis par Nadia Ouiddar

Lisez nos e-Papers