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Confinement : quel impact sur la vie de famille ?

Que l’on soit seul, en couple ou en famille, vivre en confinement n’est pas facile à gérer au quotidien, surtout pendant une période aussi stressante. Occasion de se rapprocher ou au contraire de s’éloigner, cette situation inhabituelle est vécue différemment par chacun d’entre nous.

Confinement : quel impact sur la vie de famille ?

Environ 2,6 milliards personnes dans le monde sont contraintes de rester chez elles pour éviter la propagation du coronavirus. C’est également le cas au Maroc, qui est en état d’urgence sanitaire depuis le 20 mars dernier. Même s’il y a toujours certaines personnes qui continuent d’ignorer les consignes des autorités, on constate que la grande majorité des Marocains se plient aux règles en limitant le contact avec les autres, en espérant que ce cauchemar prendra fin vite. Mais cette situation inhabituelle n’est pas toujours facile à vivre.
Si dans un premier temps, on pourrait croire qu’il s’agit d’une belle occasion de se retrouver en famille pour passer plus de bons moments ensemble et avoir de nouveaux souvenirs différents, on s’aperçoit rapidement que cela n’est pas toujours aussi agréable que l’on pensait. En effet, nous n’avons pas l’habitude de vivre «les uns sur les autres» 24 h/24 et c’est encore plus compliqué durant des périodes comme celles que nous vivons actuellement. Entre stress, dépression, télétravail, tâches ménagères, s’occuper des enfants et de leur scolarité, on peut facilement craquer. «Cela fait à peine dix jours que je suis en mode télétravail, et j’avoue que je n’en peux plus. Je ne sais plus comment gérer mon temps. Je dois m’occuper de mon bébé de deux ans, faire les devoirs avec mon ainé de 8 ans et lui expliquer les nouvelles leçons, en plus de mes obligations professionnelles et les tâches ménagères. Et le comble, c’est mon mari qui n’arrête pas de se plaindre à longueur de journée. Je n’arrive vraiment plus à supporter cette situation qui risque malheureusement de durer», confie Marwa. Elle n’est pas la seule à trouver des difficultés à surmonter cette situation. La vie de couple et la vie de famille est mise à rude épreuve durant cette période. Femmes, hommes et enfants sont tous désemparés, d’autant plus que tout le monde ignore ce que nous réserve le futur. Dans des pays tels que la Chine où le confinement a duré pendant plusieurs semaines, on a remarqué que le taux de séparations et de divorces a augmenté significativement. Les Marocains sont donc appelés à faire preuve de beaucoup de patience pour surmonter ensemble cette épreuve difficile.

Que faire à la maison ?
Outre le stress de la gestion des relations familiales en période de confinement, certains se plaignent d’ennui. Passer de longues journées enfermé à la maison n’est pas chose facile, surtout lorsqu’on vit seul. «J’ai tout fait pour éviter l’ennui, mais cela est dur. Je suis en mode télétravail depuis lundi dernier. Quand je termine mes devoirs professionnels, je regarde la télé, je passe des heures à surfer sur la Toile, je fais du sport, je fais beaucoup de sieste, je me prépare à manger, j’ai même fait le ménage, chose que je ne fais presque jamais, mais le temps ne passe pas», se désole Karim, qui habite seul dans son appartement à Casablanca.
Pour éviter de s’ennuyer à la maison et surtout pour ne pas céder à la panique, certains internautes ont commencé à lancer des challenges sportifs, culinaires ou artistiques. «Cela nous permet non seulement de passer le temps, mais aussi de nous sentir plus unis face à cette vilaine maladie», affirme Soukaïna, jeune maman. Grâce aux nouvelles technologies de communication, les Marocains peuvent également à tout moment appeler leurs amis ou membres de la famille en mode vidéo, et passer des soirées à papoter et à s’amuser pour décompresser un peu et oublier l’épidémie et le confinement.

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Explications de Bernard Corbel, psychologue

«Les dérapages d’autorité envers le partenaire ou envers les enfants pourraient avoir des conséquences psychologiques particulièrement traumatisantes»

Le Matin : Quel peut être l’impact du confinement sur la vie de couple et aussi sur la vie de famille, d’autant plus que cette période est très stressante pour tout le monde ?
Bernard Corbel :
Il importe avant tout de se prémunir contre des effets délétères possibles du confinement comme le stress. À certains égards, le confinement se rapproche d’une condition carcérale. Nous sommes habitués à faire des sorties, et c’est perçu comme un moment de détente indispensable dans la vie. C’est comme une récré à l’école, nous ne nous en rendons pas compte, mais les sorties sont des occasions puissantes de gratification. Plus de sorties, plus de gratification, plus d’équilibrage. Les enfants de leur côté ont particulièrement besoin de bouger, courir, jouer, se chamailler et ils risquent de se trouver dans une situation terrible en famille. En confinement, le leader de la famille, stressé, pourrait bien faire du mal à ses proches. Les dérapages d’autorité envers le partenaire ou envers les enfants pourraient avoir des conséquences psychologiques particulièrement traumatisantes. Les besoins sexuels, particulièrement masculins, ont tôt fait de s’exprimer sur le mode de la relation de pouvoir. Pour les deux, la frustration sexuelle pourrait devenir l’objet d’une tension palpable.
Messieurs (Mesdames) qui avez un caractère de «Dominator» de face ou rampants, sachez que vous risquez de détruire l’équilibre psychologique des personnes qui vivent auprès de vous. Il est possible que vous n’en ayez pas conscience, car ces mauvaises tendances peuvent s’exprimer par des accès que la mémoire ne garde pas bien. Au passage, en vous  laissant aller à vos pulsions destructrices en cette période, vous ne ferez qu’empirer vos tendances. Je vous conseille vivement de faire appel à un psychologue avec comme charge une demande d’aide «à ne pas faire du mal autour de vous». Toute personne se retrouvant dans cette situation de trauma, dû à des phénomène d’autorité ou de harcèlement en situation de confinement, devrait pouvoir faire appel à une aide psychologique d’urgence en ligne. Je préconise qu’un tel dispositif soit soutenu par des moyens étatiques et une communication de masse (genre numéro spécial type SOS Amitié).
En dehors du contexte des phénomènes de pouvoir, à l’intérieur de la famille confinée, il y a risque aussi de mettre à jour bien des rancœurs, des souffrances jusque-là cachées à l’intérieur des couples. Souvent, ce qui était supportable parce que, justement, on n’était pas H24 ensemble, ne le devient plus. Remontent alors à la surface toutes les aigreurs accumulées. Il est possible ou probable que beaucoup de couples n’en sortiront pas indemnes à la fin de la période. Je conseille à nos lecteurs de visionner le film «Stanford Experiment» (en cette période ils devraient peut-être en trouver le temps) qui étudie la condition carcérale sur un groupe et les effets d’une relation de domination. Passionnant.

Comment les parents, essentiellement les mamans, peuvent-ils optimiser leur temps pour gérer les différentes tâches ménagères, l’enseignement des enfants, le télétravail... ?
On peut dire que dans cette situation de confinement, les premières victimes sont les mamans. Toute l’organisation de la vie confinée va leur retomber sur les épaules. Elles en sont les premières victimes et dans bien des cas ce sont ces femmes qui ont, de plus, une responsabilité professionnelle. Elles se retrouvent avec la double contrainte de faire vivre la famille et de travailler, mais pour le coup d’une manière tragique. Les mamans qui ont un travail ou un télétravail, avec des enfants à charge, ne vont pas tarder à être dépassées. Ce qui est à craindre c’est que leurs époux ne réalisent pas le cauchemar dans lequel elles se trouvent : assurer les approvisionnements, donner des cours,  assister le télétravail des enfants, animer les journées avec des jeux pédagogiques, par exemple, tout faire pour que leurs chérubins conservent un bon moral, les choyer, les câliner mais aussi tenter de les contrôler par rapport à leurs ardeurs excessives, mais encore faire la cuisine, laver le linge, nettoyer, ranger et ranger encore... J’en connais plus d’une qui n’arriveront plus à faire face à leur travail professionnel si elles en ont un. Et les aides dont elles peuvent bénéficier ne sont pas très nombreuses, seuls les époux peuvent les leur apporter ! Même s’ils croient qu’ils ont déjà fourni un travail important à l’extérieur pour nourrir la famille, il faut bien qu’ils sachent que l’ensemble des tâches ménagères et éducatives dans cette situation de confinement prend des proportions considérables et qui dépassent allègrement un temps de travail professionnel... Alors s’ils veulent que leurs femmes puissent travailler de surcroît, il faut qu’il leur aménagent un temps suffisant pour cela. Il n’y a qu’eux à pouvoir le faire en s’occupant à ce moment-là des enfants et de la maison... La chose à faire d’urgence est un planning consensuel de journée et de semaine et de se répartir les tâches à l’intérieur. Ce planning doit être écrit, au propre et posé au mur dans un endroit visible par tous.

Et les personnes vivant seules, comment peuvent-elles gérer cette situation et occuper leur temps libre ?
Les personnes qui vivent seules, si elles n’ont pas des difficultés psychologiques, ont des chances d’être parmi celles qui vivront le mieux le confinement. Elles sont déjà souvent habituées à l’introspection, à la méditation, à la réflexion et aux lectures. Pour elles, ce sera l’occasion d’un développement personnel ! Ce sont des personnes qui en profiteront pour lire, revalider leurs centres d’intérêt (après une semaine pour se réorganiser au niveau de leur travail), elles vont pouvoir bénéficier de cette circonstance certes un peu carcérale, mais beaucoup moins toxique que pour les autres... Les personnes qui vivent seules mais qui sont sujettes à des troubles d’anxiété, d’hyperactivité et de variation d’humeur risquent de voir leurs troubles s’accentuer. Mieux vaudrait consulter le médecin traitant, s’il existe, ou se prémunir en allant en consulter un.
Les personnes seules devraient éviter de regarder la télévision toute la journée, enchaîner des séries ou encore rester connectées H24 sur les réseaux sociaux... En peu de temps, elles risquent d’être complètement déconnectées de la réalité et en proie à des symptômes psychiques. Elles doivent aussi profiter de la circonstance pour communiquer davantage avec tous leurs amis et proches, et pour les plus cultivées d’entre elles, prendre en charge d’autres personnes en difficulté en leur offrant leur aide.

Enfin quels conseils pouvez-vous donner à nos lecteurs pour rester positifs ?
Malgré tout ce que j’ai pu dire, en répondant à vos questions, je considère que le positif est à venir. Le positif c’est que c’est une occasion de réviser nos valeurs à l’aulne de la quotidienneté. Déjà, les médias et les réseaux sociaux vendaient la «pleine conscience» comme une expérience issue de la sagesse des pays asiatiques anciens. Eh bien, cette période de confinement nous ramène, certes, avec un peu de force, vers le sens de soi, le sens des proches et celui de la famille. Quel que soit son mode de confinement, chacun d’entre nous pourra dans cette période retrouver ce sens essentiel de la vie et qui nous a été ôté et remplacé par celui de la consommation. La consommation de biens en tous genres est en réalité une attitude purement passive – un consommateur est passif comme un animal qu’on gave – le pur consommateur «consomme», mais n’inscrit rien à l’intérieur de lui-même ! Cette période de confinement, dont on ne connaît pas la durée, pourrait bien nous amener à redécouvrir l’introspection, le sens de la hiérarchie de ses propres attentes, le sens profond de soi-même et le sens de ses interactions avec les autres. Avec un peu de patience, cette même période pourrait nous faire redécouvrir les valeurs de l’empathie et les valeurs du vivre-ensemble.
De même, cette période pourrait nous faire  redécouvrir qu’il est nécessaire de laisser du temps à chacun pour qu’il puisse être lui-même au lieu de l’exciter sans cesse  à une production, une tension permanente ici ou vers le futur, plus ou moins anxiogène et qui est en réalité une fuite à l’égard du soi. Si on découvre qu’il faut se donner du temps à soi-même pour capitaliser sur ses propres expériences et pour considérer son bien à soi, en soi, alors cette période de confinement aura apporté beaucoup. Elle nous oblige à nous arrêter dans notre folle course à l’avenir et à la consommation. Sur le plan profondément humain, c’est quelque chose d’essentiel qui nous échappait, mais qui nous revient comme un cadeau du ciel.

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