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Le Matin : Le ministère de l’Éducation nationale a décidé de réadopter le modèle pédagogique de l’enseignement à distance pour cette rentrée scolaire. Que pensez-vous de cette décision ? Et quel impact peut avoir, selon vous, une prolongation de l’isolation des enfants du monde extérieur et notamment de l’école, sur leur psychologie ?
Houda Hjiej : L’expérience des quatre mois de confinement nous a permis de voir combien a été difficile pour les parents et les jeunes (enfants et adolescents) le fait d’être scolarisé à distance. Plusieurs facteurs expliquent ce vécu éprouvant.
Pour les enfants, deux types de difficultés ont été remarqués. Il s’agit de la privation de l’espace social et interactif que l’école leur offrait et la difficulté d’adaptation aux apprentissages scolaires à travers un écran qui ne peut en aucun cas se substituer à l’interaction directe avec l’enseignant et au feedback généré par la présence des paires.
On demande à l’enfant de substituer à l’objet réel qui est l’enseignant, un objet immatériel qui est l’image de celui-ci et de pouvoir s’appuyer sur cette relation virtuelle pour faire des acquisitions.
Cette capacité dépend de plusieurs facteurs dont l’âge de l’enfant, le degré d’autonomie, l’acquisition par l’enfant ou pas d’une sécurité interne suffisante pour intégrer un apprentissage nouveau lui venant du monde extérieur.
Du côté des parents, la difficulté a été double aussi ; comment se consacrer à son propre travail tout en assurant aux enfants le soutien nécessaire pour développer les mécanismes d’adaptation propres à toute situation nouvelle. La deuxième difficulté était de vivre en direct avec leurs enfants le processus d’apprentissage ; qui implique que «l’enfant apprenant» est de ce fait celui qui «ne sait pas» ; et que l’adulte qui l’accompagne est censé trouver en lui la force de transmettre sans se laisser submerger par ses affects.
Cette charge émotionnelle des parents a été source de pression sur les enfants grands et petits ce qui a rendu la situation encore plus compliquée.
Pour quelle tranche d’âge cela est le plus difficile à gérer, les enfants de bas âge, les jeunes enfants ou les adolescents ?
Pour chaque tranche d’âge, nous avons pu constater des difficultés spécifiques. Pour les tout-petits, ce qui a été difficile, c’est de les occuper tout le temps alors que les parents étaient eux-mêmes en télétravail ; à cet âge, beaucoup d’enfants n’ont pas encore acquis la capacité pour s’occuper seuls.
Pour les grands enfants, deux problématiques se sont posées : Est-ce que l’enfant a suffisamment d’autonomie pour se gérer tout seul ou presque au niveau des apprentissages ? Et comment gérer l’outil informatique qui devenait à la fois une plateforme de communication sociale, une manette de jeux et un espace de classe virtuel ?
Enfin pour les adolescents, le confinement a exacerbé les difficultés relationnelles avec les parents du fait de la trop grande proximité, de la pression parentale à laquelle il était impossible de s’extraire et du stress généré par le contexte scolaire en des années décisives pour l’avenir des jeunes
Pourquoi les cours présentiels sont-ils importants ?
L’apprentissage chez l’enfant nécessite un cadre stable qui lui garantit des repères dans le temps et l’espace. Le rôle de l’enseignant est justement d’être le garant de ce cadre pour permettre la transmission, au-delà du savoir intellectuel, des règles qui régissent la vie en communauté.
D’autre part, l’enseignant contrairement aux parents accepterait plus le «non-savoir» de l’enfant et les difficultés qu’il peut avoir à faire des acquisitions ; ce qui mettra moins de pression sur l’enfant.
La scolarisation en présentiel est l’occasion pour les enfants de vivre des expériences sociales à travers les échanges interactifs réels avec des adultes qui ne sont pas leurs parents et avec les paires ; ce que l’espace virtuel ne peut offrir.
De nombreux enfants ne supportent plus de rester à la maison et souhaitent revenir à l’école. Quels conseils pouvez-vous donner aux parents pour gérer cette situation ?
En effet, des enfants de bas âge réclament à leurs parents de revenir à l’école, ce qui témoigne de l’importance que joue cette institution dans la vie de l’enfant.
On comprend que plusieurs parents hésitent à prendre cette décision compte tenu du risque de contagion ; cependant, l’impact psychologique de la privation de l’école reste un enjeu majeur ; et que différentes études ont montré que chez les enfants de moins de 10 ans la contagiosité est peu importante.
Nous devons apprendre à vivre avec le virus et avoir confiance en nos enfants et nos institutions pour faire le nécessaire en termes de mesures sanitaires pour protéger aussi bien les enfants que les enseignants. Les parents doivent aussi faire un grand travail de sensibilisation auprès des enfants concernant le port du masque, le lavage des mains et la distanciation entre eux. N’oublions pas dans ce projet de retour à l’école la situation des enfants à besoin spécifiques ; pour qui le confinement a été une épreuve difficile, difficile également pour leurs parents. L’intégration en milieu scolaire est encore plus indiquée dans leur situation avec toutes les précautions nécessaires.
