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«La discrimination dans le secteur de la santé est un phénomène largement répandu dans le monde»

Lorsqu’on parle d’approche genre, on évoque rarement les discriminations dont souffrent les femmes dans le domaine de la santé. Pourtant, les abus à l’égard des femmes en santé sont nombreux. Dans cet entretien avec Maryam Bigdeli, Représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Maroc, la responsable revient sur ce genre de discriminations et rappelle les principales actions faites pour lutter contre ce phénomène.

«La discrimination dans le secteur  de la santé est un phénomène largement répandu dans le monde»

Le Matin : Quelles sont les principales discriminations dont souffrent les femmes dans le domaine de la santé dans le monde et au Maroc ?
Maryam Bigdeli :
La plupart des pays de la région de la Méditerranée orientale sont signataires de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Cette Convention les engage à assurer aux femmes un accès équitable aux services de santé, notamment pour leurs besoins en santé sexuelle et reproductive. La Convention prescrit aussi de protéger les femmes et les filles de la violence, de la discrimination faite à leur égard, par exemple dans les textes sur le mariage, le divorce et l’autorité parentale ; dans le droit successoral et patrimonial et des pratiques nocives comme les mutilations sexuelles féminines. Néanmoins, nous continuons à observer des abus à l’égard des femmes. On peut citer, à titre d’exemple, le mariage précoce des jeunes filles. En effet, le pourcentage des femmes mariées avant l’âge de 18 ans est de 16.7% au Maroc selon la dernière enquête population et santé de famille. Les femmes sont négativement affectées par plusieurs déterminants, notamment la pauvreté et l’analphabétisme, la malnutrition ou les grossesses précoces. Dans de nombreux pays, les femmes sont aussi particulièrement affectées par les conflits armés et les insurrections. Selon l’enquête STEWISE réalisée au Maroc en 2018, la femme est plus exposée aux facteurs de risques des maladies chroniques, dont l’obésité (touchant 29% de femmes contre 11% d’hommes). Par ailleurs, l’hyperglycémie et l’hypercholestérolémie, qui sont déterminantes pour l’apparition du diabète et des maladies cardiovasculaires sont plus élevées chez les femmes que chez les hommes (12.6% contre 8.6% pour l’hyperglycémie ; 14% contre 6.9% pour l’hypercholestérolémie). Ces facteurs de risque peuvent être réduits par l’accès aux modes de vie saine comme par exemple l’exercice physique. Mais pour cela, il faut avoir le temps de faire du sport, ce qui nous ramène à la distribution des tâches ménagères ; ou avoir accès à l’espace public pour marcher ou faire du jogging, ce qui nous ramène à la sécurité des femmes et des filles dans les lieux publics. 

Fournir aux femmes et aux filles un accès égal aux soins de santé fait partie des ODD, croyez-vous que le Maroc est sur la bonne voie pour atteindre cet objectif ?
Il est important de rappeler que l’accès équitable à des soins de santé est un droit constitutionnel (article 31 de la constitution de 2011 du Royaume du Maroc). Et il est également important de rappeler que nous parlons d’équité dans l’accès aux soins de santé et non pas d’égalité, dans le sens où il faut prendre en considération les besoins de santé spécifiques des femmes. La cible 3.1 de l’ODD 3 santé vise à diminuer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100.000 naissances vivantes d’ici 2030. Le Maroc a fait des efforts soutenus pour réduire son ratio de mortalité maternelle afin d’atteindre 72.6 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2018. Nous pouvons dire que le Maroc est sur la bonne voie s’il maintient ses efforts de prévention et de lutte contre la mortalité maternelle évitable. Néanmoins, la femme enceinte du milieu rural reste plus que deux fois exposée au décès maternel puisque le ratio de mortalité est de 111.1 contre 44.6 décès pour cent mille naissances vivantes en milieu urbain.

Est-ce que les femmes professionnelles de la santé sont également victimes 
de discriminations ?

La discrimination dans le secteur de la santé est un phénomène largement répandu dans le monde, et qui se présente sous des formes très diverses, dont le fameux «plafond de verre». Selon le rapport sur la démographie médicale et paramédicale à l’horizon 2025 du ministère de la Santé, l’analyse de la structure par sexe montre que 60% des médecins sont du sexe masculin. La tendance s’inverse dans la profession paramédicale puisque sur 10 infirmiers exerçant dans le secteur public, six sont de sexe féminin. Nous pensons qu’il faut encourager les professionnels et les gestionnaires de sexe féminin à se présenter pour des postes de responsabilités, qui restent l’apanage des hommes.

Selon vous, que doivent faire les États pour réduire les inégalités dans 
le domaine de la santé ?

L’action prioritaire des pays doit être d’instaurer la Couverture santé universelle, afin d’assurer l’accès à des soins de santé équitable pour tous et ne laisser personne pour compte. Dans le paquet de services offert à la population, les besoins spécifiques des femmes et des filles doivent être considérés avec attention.  Par ailleurs, il faut agir sur les déterminants de la pauvreté, de l’analphabétisme, et toutes les discriminations liées au genre, qui affectent la santé des femmes. Il est impératif de continuer à récolter des informations qui mettent en évidence la situation de santé des femmes et des filles, non seulement leur santé sexuelle et reproductive mais les autres aspects de leur santé physique et mentale. Il faut mener des études qui nous éclairent sur les déterminants et les comportements qui favorisent la discrimination des femmes face à la santé, afin de pouvoir agir en finesse et en profondeur. m

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