Le Matin : Depuis votre arrivée à la tête de la FRMF, vous avez réussi plusieurs chantiers, mais vous avez échoué dans d’autres. Dans ce sens, on peut dire que vous avez ignoré le fait de consolider le capital confiance dont jouit le football national, ce qui a fini par susciter certains doutes. On entend par-ci et par-là que vous êtes derrière tel ou tel club ou contre d’autres. Que faites-vous pour consolider la confiance dans le football national ?
Concrètement, vous avez opté pour un travail structurant, afin de doter les clubs des moyens qui garantiront leur pérennité. Pourquoi alors certains continuent-ils à semer le doute quant à vos actions ?
Pour en revenir au travail sur le terrain, quand on a rouvert les portes du complexe Hassan II à Fès et que l’on a travaillé pendant un an et demi avec un grand sérieux pour y parvenir, est-ce que j’ai fait ça parce que je suis actionnaire majoritaire dans le Maghreb de Fès et le Wydad de Fès ?Nous continuons toujours à ouvrir les plis relatifs à l’appel d’offres pour la réalisation de l’Académie du Raja de Casablanca, qui sera inaugurée dans quelques semaines seulement. Je demande à ceux qui doutent du travail que nous faisons de me dire ce qu’ils ont apporté au Raja ou au WAC avant de me pointer du doigt. Durant la période de la présidence de Mohamed Boudrika au Raja, on a tenu deux réunions avec le wali du Grand Casablanca, en plein jour, pour la construction du centre du Raja. On a assumé la responsabilité et on a décrié le retard constaté dans la livraison du lot de terre accordé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu le glorifie. On a reproché le retard observé dans la construction, alors que le terrain était disponible, car on était tous concernés, sachant que le RCA traversait une crise financière aiguë. On avait alors conclu que l’histoire et le vécu du club nécessitaient des sacrifices de la part de tous. On parlait d’une somme de 120 millions de dirhams, il fallait donc trouver des sources de financement. Ce centre, qui fera la fierté du pays et de la jeunesse, est-ce qu’il me sera accordé personnellement ? Pourquoi n’ai-je pas construit ce centre à Berkane ? Je tiens à répondre à ceux qui m’accusent de partialité : en parallèle avec ce qui a été fait pour le Raja, on a octroyé un centre de haut niveau au Wydad à Bouskoura. À Rabat, le FUS a ouvert en premier les portes de son centre de formation, alors que les travaux se poursuivent au centre sportif de l’AS FAR.Je travaille quotidiennement sur ces chantiers, alors que d’autres préfèrent avancer des choses qui vont dans le sens inverse. Je le fais, car pour moi c’est une conviction. Ces clubs sont les locomotives du football marocain et il faut les épauler. Le Raja, le WAC, l’AS FAR, le MAS, le SCCM ou le KAC incarnent le patrimoine immatériel du football marocain, et si je ne ne préserve pas ce patrimoine immatériel, à quoi m’aurait servi la présidence de la FRMF ? Comment puis-je, en tant que premier responsable du football marocain, détruire les piliers du système ? Cela veut dire que je me tire une balle dans le pied ! Il existe un groupe de personnes qui n’ont rien à voir avec les supporters, ni avec les dirigeants du football marocain et qui n’ont jamais consenti de sacrifices. Ce que nous réalisons aujourd’hui est le fruit d’un travail de longue haleine, entamé par nos prédécesseurs que nous remercions vivement. Les personnes dont je parle ne voient que leurs propres intérêts dans le sport, ils se positionnent donc dans le système, sans lui rendre aucun service digne d’intérêt.L’affaire WAC-Espérance de Tunis a défrayé la chronique. Certains avancent que c’est vous qui aviez soufflé au président Naciri l’idée de ne pas terminer la rencontre, est-ce réellement le cas ?
Écoutez bien ! j’ai reçu l’invitation pour aller assister à la finale retour à Radès. L’invitation ne m’a pas été adressée par le WAC, mais par deux responsables de football tunisien, à savoir le président de la FTF et Tarek Bouchamaoui. Et pour être franc avec vous, j’ai préféré ne pas me déplacer pour ne pas être partie prenante dans le différend entre les deux clubs. J’ai suivi le match à la télévision, chez moi. Je suis intervenu quand j’ai vu le président Ahmad Ahmad décerner le trophée à l’Espérance. Je l’ai appelé pour lui dire que ce qui s’est passé à Radès était inacceptable. Et je lui ai également dit que si la CAF ne prenait pas la décision de soumettre cette affaire à son Comité exécutif, il faudrait me considérer comme un membre démissionnaire. À la suite de mon intervention, la CAF a publié sur son site Internet un communiqué, la nuit même de cette finale, où elle assurait que le Comité exécutif allait se réunir pour statuer sur ce match. Quand le WAC, le Raja ou un autre club marocain jouent, je vous assure que si ces clubs avaient besoin de moi en tant que chargé de matériel, j’assumerais avec fierté cette mission. Pour revenir à cette affaire du WAC et de l’Espérance, j’ai pris mon ftour de la rupture de jeûne à l’aéroport en présence du président du WAC. Ceux qui avancent que je n’ai pas bien défendu le WAC célébraient la fête de l’Aïd avec leurs familles, alors que moi j’étais à Paris. J’ai laissé mes parents fêter l’Aïd seuls à la maison. C’est moi qui ai présenté la plaidoirie du Wydad devant le Comité exécutif de la CAF. Quand l’Espérance a pris la décision d’aller au TAS, j’ai dit à Saïd Naciri que j’étais prêt à me charger personnellement de ce dossier devant le TAS, parce que j’ai déjà une expérience avec ce tribunal contre Issa Hayatou. Je lui ai également dit que s’ils prenaient la décision d’y aller avec leur avocat, je mettrais à sa disposition l’avocat de la FRMF et son savoir-faire dans ce genre de dossiers. Voilà ce qui s’est passé. Dites-moi ce que je devais faire d’autre et que je n’ai pas fait ?À travers votre implication quotidienne pour la résolution de plusieurs litiges concernant les clubs, la Fédération ou encore les sélections nationales, nous avons l’impression que vous intervenez dans tous les dossiers. Ce n’est pas pour insinuer que vous dépassez vos prérogatives, mais pour vous demander plutôt si vous ne remarquez pas qu’il y a des manquements de la part d’autres acteurs, ce qui vous pousse à intervenir. Puisque ce sujet fait polémique, quand est-ce que commencent les prérogatives de la FRMF et de son président, et quelles sont aussi les limites de la Ligue nationale de football professionnel (LNFP) et de son président ?
D’abord, permettez-moi de vous expliquer quelques fondements. Dans une structure institutionnelle, ma culture est de toujours confier les tâches institutionnelles à ceux qui les cernent, même ici au ministère, en d’autres mots : la délégation des pouvoirs. Ce n’est pas du tout ce que vous supposez en me disant que j’interviens dans tous les dossiers. Toutefois, dans cette Fédération dont j’ai hérité, ai-je trouvé des lauréats de «Harvard» et des Ponts et Chaussées que j’ai recalés ? Ai-je trouvé de grosses pointures que j’ai renvoyées ? J’ai essayé de prendre le maximum de cette structure : vous avez 90 personnes, chacun avec ses compétences, vous tentez d’en tirer le maximum. Dans cette structure, quand on entend développer le travail institutionnel, on doit le faire par des réformes. La première de ces réformes a été de doter la FRMF d’un siège, pour qu’elle puisse assumer ses fonctions, car on était logés dans un bureau au sixième étage, où il y avait des piliers et qui plus est accessible à quelque 13 administrations… On ne pouvait même pas savoir qui était présent ou pas ! On a donc travaillé sur le siège et on a réussi à l’acquérir en un temps minimum : un an. On a acquis le siège à travers l’Agence de développement du Nord, contre la somme de 30 millions, soit ce qu’il avait coûté à l’agence il y a 20 ans. Aujourd’hui, il est estimé à plus de 60 millions de dirhams. Grâce à ce travail, pour la première fois, le bilan de la FRMF inclut, dans les actifs, un siège qui a permis à la Fédération Royale marocaine de football de gagner 30 millions de dirhams, soit 3 milliards de centimes, en 3 ans. Cela constitue indiscutablement un acquis ! On a fonctionné avec la logique du privé, un investissement avec management et un plan business. On a donc communiqué que le siège était adapté au travail de la FRMF. Quand des étrangers visitent ce siège, cela engendre de la fierté chez nous autres Marocains, sauf chez ceux de mauvaise foi. Ils auraient bien aimé le mettre en ruine.Ensuite, quels étaient le mode de gestion et la culture du football marocain par le passé ? C’était une gestion verbale, basée sur l’oral : tel ou tel m’a appelé, le président de tel club m’a confié… Tout ça engendrait du flou, certains se chamaillaient pour un courrier existant ou pas, d’autres en raison des litiges, d’autres encore à cause des licences… On a donc opté pour l’informatisation du siège de la FRMF. Aujourd’hui, quand on envoie un courrier à la FRMF, il est automatiquement enregistré au bureau d’ordre et dans le système informatique, et on peut donc suivre toutes les correspondances à chaque instant. Cette informatisation, développée pendant des années au ministère, a été partagée avec la Fédération sans contrepartie. Après cela, le rendement de la FRMF a connu une nette amélioration. On a ensuite recruté quelques profils disposant d’une expérience confirmée, notamment dans le domaine de la gestion financière, qui est d’une grande importance. M. Talbi est ainsi l’ancien directeur financier de la DEPP (la Direction des entreprises publiques et de la privatisation), initiateur du plan comptable marocain. Il a amené avec lui trois hauts responsables du ministère de l’Économie, qui s’occupent désormais du contrôle de gestion de la FRMF. Pour consolider davantage cette gestion, on a installé un audit permanent, KPMG (réseau de cabinets indépendants du conseil et de l’expertise comptable, ndlr). Cela veut dire qu’une commande lancée par la FRMF et ayant suivi le circuit adapté ne peut en aucun cas être validée sans l’accord de KPMG. La gestion du football marocain compte deux volets : l’administratif puis le sportif. Aujourd’hui, je suis fier d’appartenir à la FRMF et j’affirme qu’elle travaille selon les méthodes les plus modernes. On a procédé à un seul changement au niveau des ressources humaines, à savoir le cas des personnes qui ont dépassé l’âge de la retraite de plus de 10 ans. Je n’ai rien contre elles en tant que personnes, bien que certains tentent d’interpréter la chose comme ça, mais la loi ne me permet pas de les maintenir en poste, d’autant plus que l’on doit donner une chance aux jeunes capacités.Dans le volet sportif, je cite l’inauguration du Centre national Mohammed VI du football, où les entraîneurs et les responsables de la formation travaillent, mais aussi un bloc administratif englobant tous ceux qui travaillent dans la direction technique nationale. Ils ont des bureaux sur place, où ils travaillent quotidiennement, chose qui n’existait pas avant. Ce que nous avons fait pour l’arbitrage, un long parcours qui a été bouclé par l’introduction du VAR. Cette technologie, à elle seule, nous a pris une année de travail. Lors de ma première rencontre avec Gianni Infantino à Marrakech, il y a 14 mois, j’ai consacré une réunion avec lui et ses consultants et spécialistes en arbitrage à l’introduction du VAR au Maroc. Aujourd’hui, il a été appliqué au Maroc, premier pays africain à avoir instauré cette technologie. Même la CAF, qui organise actuellement les quarts de finale de ses compétitions continentales, n’a pas appliqué le VAR. Après tout cela, est-ce que l’on se devait toujours de faire davantage ? Je vous jure que c’est le mieux que nous pouvions faire, c’est le maximum de ce qu’on pouvait consentir comme efforts. Je pense en toute sincérité que j’ai travaillé avec abnégation et avec sérieux, quotidiennement, sans empiéter sur les prérogatives de personne. Je vais vous donner un magnifique exemple de la règle consistant à ne pas se mêler des fonctions des autres : quand on disputait la Coupe d’Afrique des nations 2019 en Égypte, le ministre de la Jeunesse et des sports de l’époque m’avait présenté une personne comme étant le président de la commission d’appel de la FRMF. Il a travaillé pendant 2 ans à la FRMF et je ne le connaissais même pas. Où est donc le fait de dépasser mes prérogatives ?Est-ce que le rapport de PwC reflète fidèlement les problèmes de gestion au sein de la CAF ?
Le débat soulevé par le rapport du PwC a été très bon. Seulement, il y a eu une méconnaissance du dossier. Les gens n’ont pas pris le temps de le lire, pourtant il est devenu public. Quelqu’un qui veut analyser un rapport d’audit doit d’abord le lire et avoir les outils nécessaires pour l’analyser, parce qu’on n’est pas face à un roman littéraire. Il faut savoir que c’est la CAF qui a demandé cet audit sur décision du comité exécutif. Au niveau administratif, la CAF souffre de beaucoup d’anomalies. Pourquoi ? Parce que la CAF a été gérée au niveau administratif pendant 30 ans loin des standards de gestion internationaux. Quand vous prenez la structure humaine de la CAF, il n’y a pas de véritables compétences. Il n’y a pas une répartition équitable entre les différents services… Ce mode de gestion qui date de l’époque d’Issa Hayatou a donné lieu à une administration obsolète qui ne répond pas aux critères de la bonne gouvernance. Pourquoi le côté administratif est-il si important dans ce genre d’institution ? Parce qu’il a une répercussion sur le volet sportif. Je ne veux pas entrer dans les différentes commissions qui nécessitent non pas un, mais plusieurs audits. Après avoir pris connaissance de la réalité du volet administratif, on a décidé lors d’une réunion de comité exécutif de faire un audit général. Cet audit a été fait. Sa publication a coïncidé avec le succès retentissant qu’a connu la Coupe d’Afrique des nations de futsal. Les ennemis de notre nation ont commencé à verser leur venin sur moi en disant que j’avais utilisé les fonds de la FIFA pour financer les funérailles du père de Mohamed Ihatarren et je ne sais quoi d’autre. Que ces propos soient tenus par Mussa Bility, suspendu 10 ans par la FIFA parce qu’il a volé de l’argent et qui a créé un site financé par nos voisins ou par de soi-disant consultants qui n’ont rien à voir avec le football dans certains pays que vous connaissez, c’est tout à fait normal. Mais ce qui fait mal, c’est que les mercenaires de chez nous ont voulu utiliser ce dossier, croyant que celui qui est visé, c’est ma personne. Est-ce que le positionnement du Maroc au sein de la CAF a une portée personnelle ? Est-ce que je vais faire carrière à la CAF ? Les gens ne résonnent-ils pas avec un minimum de logique ? Le positionnement du Maroc au sein de la CAF a des dimensions footballistiques importantes, mais peut aller au-delà de l’aspect purement sportif pour revêtir un aspect politique et stratégique. Quand une question concerne notre pays, on doit faire fi des divergences personnelles. Maintenant, si vous me demandez mon avis personnel, je vous répondrais que le modèle actuel des compétitions africaines devrait être révisé. On ne peut pas avoir des compétitions déficitaires. L’Europe et même l’Asie nous ont largement largués. Quand on veut avancer, on doit avoir le courage d’établir un diagnostic. Le monde suit les compétitions africaines. Il n’existe aucune compétition au monde dont les matchs se jouent à 13 h, à une température de 40 degrés et sur des pelouses délabrées. Le défi est de dépasser toutes ces contraintes.Entretien réalisé par Aziz El Kabba et Riyad Ghazi
