Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Aïn Chock.
Au Maroc, comme ailleurs, la priorité qui émerge ces derniers temps porte essentiellement sur les mesures à prendre pour assurer une relance économique après une léthargie qui prévaut depuis environ trois mois. À noter toutefois, qu’au-delà des effets et des défis posés à court terme, il est attendu que la crise que vivent les différentes régions du monde ne manquera pas d’avoir des effets sur les relations économiques internationales. À ce sujet, nous rappelons que le Maroc est un pays ouvert sur le reste du monde, ce qui s’illustre, d’une part, à travers le cumul de ses exportations et importations qui représente les deux tiers de son PIB et, d’autre part, à travers la multitude d’accords de libre-échange qui le lient à plus d’une cinquantaine de pays. Aussi, une veille sur les éventuels impacts du repli de certaines économies ou de la reconfiguration des priorités de certaines communautés économiques s’impose avec force à notre pays.
Devant ces multitudes d’incertitudes, une vérité demeure de mise pour le Maroc, à savoir la pertinence de continuer sur la voie qu’il a tracée comme priorité stratégique ces dernières années, celle relative à son ancrage à l’économie africaine. Cette orientation est d’autant plus judicieuse et porteuse de perspectives de croissance et de développement pour toute l’Afrique, vu le potentiel qu’elle recèle (l’Afrique n’enregistre aujourd’hui qu’un indice global d’intégration de 0,327 sur un maximum possible de 1).Dans ce sens, une bonne nouvelle confortant la voie prônée par le Maroc vient de tomber à travers un important rapport élaboré par de prestigieuses organisations (Union africaine, Le groupe Banque africaine de développement, BAD, et La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique). Il s’agit de l’étude relative à l’indice de l’intégration régionale en Afrique (édition 2019), qui évalue l’état de l’intégration régionale et les efforts déployés par les pays qui sont membres des huit communautés économiques régionales africaines pour la renforcer. Cette étude, qui en est à sa deuxième édition, après celle de 2016, analyse l’intégration de 54 économies africaines avec le reste des économies continentales. Cette analyse se fait à travers l’évaluation des cinq indicateurs suivants : l’intégration commerciale, l’intégration productive, l’intégration macro-économique, l’intégration des infrastructures et la libre circulation des personnes. L’approche consiste à évaluer, d’une part, le degré de prédisposition d’un pays à travers sa politique économique à ouvrir la voie vers plus d’intégration avec le reste de l’Afrique et, d’autre part, les actions qu’il mène au niveau de ses politiques financières, commerciales, partenariales et infrastructurelles pour s’arrimer aux autres économies du continent.La bonne nouvelle est que le Maroc est classé quatrième sur 54 pays africains au niveau de l’indice d’intégration générale et que son intégration est qualifiée de hautement performante au niveau de trois sur les cinq indicateurs. Bien plus, au niveau de l’indice de l’intégration macro-économique, le Maroc est classé de loin le premier du continent. Il s’agit d’une distinction qui revient d’une part à la stabilité du taux d’inflation au Maroc (qui oscille depuis plus de dix ans entre 1 et 2%) et surtout au différentiel qui le sépare de la moyenne des taux des autres pays du continent. Cette stabilité est jugée, en effet, comme un facteur encourageant l’accroissement des investissements transfrontaliers. Le degré d’intégration macroéconomique tient également à la convertibilité régionale de la monnaie, qui consiste à évaluer la facilité avec laquelle les étrangers et les entreprises peuvent réaliser des transactions. Le nouveau régime de change du dirham, plus flexible, entré en vigueur en janvier 2018 est certainement pour quelque chose dans le saut enregistré par le Maroc sur cet axe.Enfin, le troisième facteur intervenant dans la détermination de la performance des pays en matière d’intégration macroéconomique évalue le nombre d’accords bilatéraux d’investissement en vigueur. Or, sur cet aspect, la performance du Maroc est exceptionnelle, aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Au niveau du nombre d’accords, grâce à l’impulsion Royale avec la multitude de visites que Sa Majesté a entreprises dans les diverses régions de l’Afrique, le Maroc a signé depuis 2014 plus de 500 accords de coopération. S’agissant de la dimension qualitative, il est fondamental de constater que la majorité des projets de partenariat engagés par le Maroc avec les pays africains prennent des formats réels en se concrétisant de manière effective dans les délais prévus. À titre d’exemple, sur les 120 projets engagés en Côte d’Ivoire depuis 2014, plus de la moitié ont déjà vu le jour. Concernant les flux financiers, les deux tiers des investissements directs étrangers (IDE) marocains sont à destination de l’Afrique (entre 2008 et 2018, le Maroc a investi environ 3 milliards de dollars en Afrique). Par ailleurs, plus de 1.000 entreprises marocaines sont présentes dans différents pays d’Afrique. À part l’indice portant sur l’intégration macroéconomique, l’étude a révélé la performance très respectable du Maroc sur deux autre indices en matière d’intégration régionale. Il s’agit de l’indice intégration des infrastructures dans lequel le Maroc est classé quatrième et l’indice intégration productive dans lequel il est classé huitième.S’agissant de l’indice l’intégration des infrastructures, celui-ci mesure, d’une part, le développement des infrastructures au niveau national pour une intégration locale qui prédisposerait à une intégration régionale et, d’autre part, la proportion des connexions aériennes intrarégionales. Or, sur ces deux plans, le Maroc se démarque. Ainsi au niveau des infrastructures intégratives locales, il suffit de souligner que notre pays a un taux d’investissement public par rapport au PIB parmi les plus élevés au monde (32%) et que l’essentiel de ces investissements est destiné à l’édification des infrastructures, notamment celles relatives aux connexions nationales et avec l’international. Au niveau des liaisons aériennes intrarégionales, il est à signaler la forte position qu’occupe notre compagnie nationale Royal Air Maroc, au niveau de la connexion des pays africains entre eux et avec une partie du reste du monde.Concernant l’intégration productive, elle évalue le degré de spécialisation d’un pays dans les étapes de la production pour lesquelles il jouit d’un avantage comparatif et peut bénéficier d’économies d’échelle. Concrètement, cet indicateur est déterminé à partir de la part des exportations et importations intrarégionales de produits intermédiaires, ainsi que la complémentarité du commerce de marchandises. Bien que le rang occupé par le Maroc soit très honorable (classé huitième), les perspectives d’amélioration sont notables et passeraient par plus d’intégration productive entre les pays de la région maghrébine et par l’effectivité des accords de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui sera l’une des plus grandes zones de libre-échange dans le monde avec un marché commun de 1,2 milliard de consommateurs.Le Maroc est par contre pénalisé par deux indices, dont une partie de la contreperformance dépend de facteurs exogènes. Il s’agit de l’intégration commerciale et la liberté de circulation des personnes. Concernant l’intégration commerciale, le blocage qui caractérise le plein fonctionnement de la communauté économique régionale naturelle pour le Maroc, qui est l’Union du Maghreb arabe (UMA), le pénalise autant que les autres pays de l’Union maghrébine. En effet, le marché inter pays du Maghreb reste pour l’instant l’un des moins dynamiques d’Afrique, avec un commerce intra régional oscillant autour de 4% des échanges des États membres. Par ailleurs, la fermeture des frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc explique pour beaucoup les faibles scores réalisés pour les deux pays en matière de liberté de circulation des personnes. D’une manière générale, l’opérationnalisation de L’UMA est porteuse d’un élan de croissance pour tous les pays de l’union, mais également permettrait d’améliorer leurs scores en matière d’intégration économique générale en Afrique.En attendant, le Maroc est appelé à poursuivre son chemin dans le sens du renforcement de son intégration économique avec son milieu naturel qui est l’Afrique dans son intégralité. À noter que de grandes perspectives se profilent pour le Maroc dans ce domaine dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine qu’il a intégrée en 2019 et dont des questions demeurent en instance, telles que les règles d’origine et les échanges d’offres tarifaires, en cours de négociation. Aujourd’hui, les bases financières et institutionnelles sont posées par notre pays et la présence économique et en investissements est assurée. L’imminente opérationnalité de la ZLECA constituera le cadre propice pour une consécration de ce choix stratégique pris par le Maroc et par son Souverain.Bio-express
- Titulaire d’un Doctorat d’État en sciences économiques.
- Doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Aïn Chock – Université Hassan II de Casablanca.
- Coordonnateur du centre de recherche «Entrepreneuriat et performance de la PME».
- Coordonnateur du laboratoire de recherche GECIAS «Gestion des compétences, de l’innovation et des aspects sociaux des organisations et des économies».
- Porteur du projet «Régionalisation avancée et nouveau modèle économique» – Projet agrée et financé par le CNRST.
- Professeur de l’enseignement supérieur en économie et management des ressources humaines.
- Auteur de plusieurs articles dans des revues nationales et internationales dans les domaines du management et de l’économie.