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«L’initiative, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, visant à aider 15 pays africains dans leur lutte contre le Covid-19, est remarquable»

La célébration de la Fête du 14 Juillet est l’occasion aussi de célébrer le partenariat d’exception unissant le Maroc et la France et d’en prospecter les perspectives dans ce contexte de post-Covid-19. Et qui mieux que Madame Hélène le Gal, ambassadrice de France au Maroc, peut expliquer la profondeur et la solidité des relations entre Rabat et Paris et leurs multiples imbrications. Dans une interview exclusive accordée au «Matin», la diplomate française revient sur «le maillage extrêmement serré des liens» entre les deux pays. Elle évoque, par ailleurs, les actions menées par la France et le Maroc pour atténuer l’impact de la pandémie du coronavirus en Afrique, leurs efforts pour la sécurité et la stabilité au Maghreb et dans le Sahel, ainsi que les opportunités que la crise sanitaire mondiale liée au Covid-19 représente pour la coopération franco-marocaine. «Cette crise doit nous conduire à capitaliser sur l’excellence de notre partenariat économique et à approfondir davantage encore les complémentarités industrielles, entrepreneuriales et stratégiques existant entre nos deux pays, en lien avec le partenariat plus large du Maroc avec l’Union européenne», explique-t-elle.

«L’initiative, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, visant à aider 15 pays africains dans leur lutte contre le Covid-19, est remarquable»
Madame Hélène le Gal.

Le Matin : La célébration de la Fête du 14 Juillet au Maroc a toujours été l’occasion de rappeler la solidité des liens unissant le Maroc et la France et de passer en revue les réalisations de l’année écoulée. Quel bilan faites-vous de ces relations et quelles en sont les perspectives ?
Hélène Le Gal : Le Maroc est un partenaire très singulier pour la France du fait de nos liens culturels, historiques et humains. Je crois que la crise du Covid-19 est venue rappeler l’intensité de ces liens et que ceux-ci en sortiront encore plus forts. Le nombre impressionnant de Français et de Marocains résidant en France qui se trouvaient au Maroc à la fermeture des frontières est venu rappeler à quel point nos deux pays sont imbriqués. Notre relation très dense, dans tous les domaines, s’est notamment illustrée en décembre dernier, à l’occasion de la Rencontre franco-marocaine de Haut niveau, et le déplacement à cette occasion du Chef du gouvernement, M. El Othmani, à Paris, accompagné d’une dizaine de ministres. Les deux ministres des Affaires étrangères entretiennent également un dialogue étroit et régulier puisque le ministre Le Drian s’est rendu au Maroc à trois reprises en l’espace de quelques mois. Nous avons également eu la visite de la ministre des Armées, Florence Parly, en février 2020, première visite d’un ministre de la Défense depuis huit ans, et celle de de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. Des discussions pour un nouveau pacte économique entre la France et le Maroc ont été lancées à cette occasion. Notre partenariat bilatéral d’exception s’illustre également dans nos actions de solidarité à l’égard du Maroc pendant la crise sanitaire. Dans le domaine économique, par exemple, plusieurs filiales de groupes français et entreprises à capitaux français au Maroc ont abondé le Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus «Covid-19», pour un montant total, à ce stade, d’environ 500 millions de DH. L’Agence française de développement (AFD) apporte également un soutien financier au Royaume du Maroc. D’une part, elle a décaissé de manière anticipée près de 300 millions d’euros en faveur de l’État, de banques et d’opérateurs publics. D’autre part, pour préparer la sortie de crise, l’Agence accélère le financement à hauteur de 400 à 500 millions d’euros de nouvelles politiques publiques visant, notamment, une protection sociale renforcée des citoyens et une relance durable de l’économie marocaine.

Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ne sont pas préparés à la lutte contre la pandémie du Covid-19, quel système de solidarité peut être déployé à l’égard de ces pays ?
L’Afrique a été relativement préservée par rapport à d’autres continents. Cependant, ces deux dernières semaines, le nombre de cas augmente plus rapidement et a conduit à la remise en quarantaine de certaines zones. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alerté sur cette croissance rapide : il a fallu 98 jours pour que l’on atteigne le pic de 100.000 cas sur le continent africain, mais qu’il n’a fallu que 19 jours pour que ce chiffre passe à 200.000. L’action rapide et précoce des pays africains a contribué à maintenir la pandémie sous contrôle, mais une vigilance est nécessaire pour contenir sa propagation sur le continent. La solidarité avec les pays d’Afrique subsaharienne reste donc tout à fait nécessaire. Face aux défis multiples posés par la pandémie du Covid-19 au continent africain, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a engagé un plaidoyer, au G7 et au G20, pour que l’Afrique bénéficie d’une mobilisation internationale forte, rapide et adaptée aux priorités du continent. Ceci a abouti à un premier pas qui est le moratoire du service de la dette pour un an. Le Président de la République a été invité à participer à la réunion du bureau de l’Union africaine du 3 avril 2020 consacrée à la riposte de l’Afrique à la pandémie de Covid-19 et ce travail en commun a abouti à une stratégie, rendue publique le 15 avril dernier dans un appel conjoint lancé par 18 dirigeants africains et européens, qui repose sur quatre piliers :
 • Le soutien aux systèmes de santé africains.
 • La réponse au choc économique induit par la pandémie.
• Le soutien humanitaire aux populations les plus vulnérables.
 • L’appui au rôle de l’expertise scientifique africaine dans la gestion de la crise, et l’accès équitable aux tests, traitements et vaccins lorsqu’ils seront disponibles.
Pour la France, cela se traduit par un engagement accru de l’AFD à travers l’initiative «Covid-19 – santé en commun» de 1,2 milliard d’euros. Les coopérations Sud-Sud sont, dans ce contexte, particulièrement importantes et, à ce propos, je voudrais saluer la solidarité du Maroc envers les pays d’Afrique subsaharienne. L’initiative, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en direction de 15 pays africains, est remarquable et le Président de la République a eu l’occasion de le souligner auprès de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Parmi les zones d’instabilité en Afrique, la Libye préoccupe l’ensemble de la communauté internationale. Tout récemment, le Conseil de la Ligue arabe a réaffirmé son soutien à l’accord de Skhirate comme référence de base pour toute solution, loin du langage des armes. Partagez-vous cette approche ?
Il n’y a pas de solution militaire en Libye : la voie des armes est une impasse. C’est pourquoi la France appelle les deux parties à s’engager durablement dans la voie d’un cessez-le-feu crédible et à mettre fin aux ingérences étrangères qui font courir un risque d’escalade régionale chaque jour plus grand. C’est à cette condition que le dialogue politique interlibyen pourra reprendre dans des conditions sereines, et ouvrir la voie à la négociation d’une solution politique durable. Les paramètres en sont connus : ils doivent s’appuyer sur l’accord politique de Skhirate et sur les conclusions de la conférence de Berlin.

Le monde, après la crise sanitaire engendrée par la pandémie, sera forcément différent de celui d’avant et les relations entre les pays en seront fortement influencées. Quels défis comportent ces changements pour la France dans ses rapports économiques et commerciaux avec ses partenaires traditionnels comme le Maroc ?
Cette crise est survenue à un moment particulier pour nos deux pays, alors que le Maroc poursuit sa réflexion sur son modèle de développement avec le travail de la Commission spéciale nommée à cet effet et que la France avait commencé à concrétiser les annonces de son Pacte productif. Elle doit nous conduire à capitaliser sur l’excellence de notre partenariat économique et à approfondir davantage encore les complémentarités industrielles, entrepreneuriales et stratégiques existant entre nos deux pays, en lien avec le partenariat plus large du Maroc avec l’Union européenne. Cette crise joue en effet d’une certaine façon comme un accélérateur des recompositions déjà à l’œuvre, notamment en termes de resserrement des chaînes de valeur mondiales, et le Maroc, du fait des nombreux atouts dont il dispose et de la très grande agilité dont il a fait montre ces derniers mois pour adapter son outil industriel aux besoins nés de cette crise, est très bien placé pour pouvoir bénéficier de ce mouvement de fond qui devrait favoriser les circuits courts et les relations de voisinage. C’est dans ce cadre que doivent s’inscrire nos réflexions pour décliner le partenariat économique renouvelé qu’avaient appelé de leurs vœux les ministres MM. Elalamy, Benchaâboun et Le Maire lors de la visite au Maroc de ce dernier le 31 janvier dernier.

Quelles opportunités cela représente-t-il éventuellement pour les deux pays et où faudrait-il renforcer la coopération franco-marocaine ?
Quatre axes ont ainsi été identifiés au mois de janvier dernier pour approfondir la coopération franco-marocaine, qui restent plus que jamais d’actualité aujourd’hui et qui correspondent d’ailleurs à des priorités stratégiques de nos deux pays : la décarbonation de l’économie, le développement des PME, le développement technologique et de l’innovation et l’ouverture vers l’Afrique. Par ailleurs, avec le Groupe AFD, l’accent sera mis sur deux enjeux clés post-Covid. D’une part, notre coopération financière et technique sera dynamisée dans ce que certains nomment «l’économie de la vie», notamment à travers l’appui aux politiques structurelles dans les secteurs de la santé, de la protection sociale, de l’eau et de l’agriculture. D’autre part, elle sera davantage orientée vers l’impératif d’une décarbonation de nos économies et en ce sens le Groupe AFD instruit avec nos partenaires marocains des projets, notamment en matière d’efficacité énergétique dans les logements, d’aménagement de villes durables ou encore de préservation de la biodiversité. Sa filiale Proparco continue à investir dans le secteur privé, et en priorité dans ces deux axes prioritaires.

 Vous avez déclaré dans une récente sortie que si le Maroc avait un seul choix de coopération avec l’Europe, ce serait sans hésitation celui de saisir l’opportunité offerte par le projet européen «Green Deal» afin de capitaliser sur les engagements sur le climat, portés par S.M. le Roi. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette proposition ?
La crise actuelle est d’une nature très particulière, mais elle rappelle la nécessite de se préparer à d’autres crises à venir, liées au dérèglement climatique, afin d’en atténuer l’ampleur en réduisant dès maintenant nos émissions de gaz à effet de serre. C’est l’occasion d’accélérer la transition vers une économie décarbonée, de promouvoir, dans chaque secteur, des solutions moins émissives, mais aussi plus résilientes aux impacts du changement climatique. Nous n’avons pas attendu la crise pour y travailler : la décarbonation de l’économie est en effet le premier axe du partenariat économique renouvelé entre nos deux pays que j’évoquais un peu plus tôt. Depuis, la crise a poussé les gouvernements à mettre en place des mesures exceptionnelles, pour certaines inimaginables il y a quelques mois. Ces mesures de soutien public, d’une ampleur inédite, sont autant d’occasions d’orienter nos modèles économiques dans un sens plus soutenable. Dès avant la crise, l’Union européenne s’était lancée dans une feuille de route qui en fera, en 2050, le premier continent neutre en carbone. Ce plan est le fruit d’une intense réflexion menée à l’échelle européenne, dans laquelle la France a joué depuis longtemps un rôle moteur. Il sera décliné, dans chaque secteur, par des mesures très concrètes, qui viendront redéfinir ce que seront les chaînes de valeur de l’économie française et européenne. Il est crucial pour notre relation économique future que le Maroc, qui possède en matière climatique des objectifs ambitieux, soit associé à cette réflexion de la manière la plus étroite possible. En effet, il existe une véritable complicité entre nos pays en matière de diplomatie environnementale (que l’on se souvienne de la séquence des COP 21 et 22) et le Maroc est bien positionné pour être un partenaire majeur de l’UE dans son «pacte vert».

L’une des idées qui a fait son chemin en France, notamment suite au Covid-19, est le retour à une souveraineté économique en matière de santé, de ne plus dépendre de pays lointains, etc. Pensez-vous que le Maroc peut s’inscrire dans cette nouvelle approche et faire partie du dispositif des complémentarités avec la France, voire l’Europe ?
La crise liée au Covid-19 a montré la vulnérabilité de nombreuses économies – dont celles de l’Union européenne et celle du Maroc – lorsque les approvisionnements sont trop concentrés sur quelques pays, d’où la nécessité de travailler à la relocalisation d’un ensemble de productions stratégiques. C’est évidemment vrai pour la santé, mais pas seulement : l’énergie, les télécommunications, la défense et la sécurité, notamment, sont concernées. Il faut toutefois se garder des simplifications abusives : on ne peut pas recréer, dans chaque pays, des filières de production totalement intégrées, de l’amont à l’aval. C’est pourquoi il est nécessaire de prioriser, de définir des secteurs stratégiques, mais aussi de définir l’échelle pertinente pour reconstruire notre souveraineté européenne. Car celle-ci n’est pas toujours strictement nationale : dans de nombreux secteurs, notre souveraineté économique doit être vue comme une souveraineté partagée, à l’échelle européenne, naturellement, mais aussi à l’échelle régionale, et dans ce cadre, le Maroc occupe une place toute particulière, au premier rang des pays partenaires de la France.

En parlant justement de la pandémie du Covid-19, quel regard portez-vous sur la gestion de cette crise sanitaire par les autorités marocaines et quels enseignements peut-on en tirer ?
 Face à l’épidémie du Covid-19, le Maroc a été très réactif en mettant en place une stratégie précoce faite d’une politique de confinement et d’une mise en quarantaine des patients. Cette stratégie s’est avérée efficace pour limiter la diffusion de la pandémie. Elle s’est appuyée sur une politique sécuritaire forte et une politique sociale innovante d’aide aux ménages les plus précaires, ce qui a valu au Maroc d’être cité en exemple au niveau international. Le système de santé marocain n’a jamais été submergé par la pandémie. L’interdiction des transports interurbains a transformé la pandémie nationale en une série de petits foyers localisés, qu’ils soient industriels ou familiaux. Le dépistage ciblé et la prise en charge précoce des cas identifiés par isolement, soit à l’hôpital, soit à l’hôtel, se sont révélés judicieux et efficaces, puisqu’ils ont permis de réduire la vitesse de diffusion de la maladie et surtout d’en limiter la létalité.

 La France est engagée depuis de longues années dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux au Sahel, dans le cadre du G5. Pensez-vous que Rabat peut jouer un rôle dans ce combat ?
La stratégie sahélienne de la France consiste à créer les conditions pour permettre aux États partenaires du G5 Sahel d’acquérir la capacité d’assurer leur sécurité de façon autonome. Elle repose sur une approche globale qui englobe les piliers politique, sécuritaire et de développement. Dans le domaine sécuritaire, les efforts militaires sont portés par Barkhane et la Force conjointe du G5 Sahel, avec un investissement permanent et des résultats remarquables de la part des soldats sur le terrain, qui ont a permis d’entraver les capacités des Groupes armés terroristes. Ceux-ci continuent cependant de se nourrir de la pauvreté, de la faiblesse des structures éducatives et de la marginalisation de certaines populations. Le Maroc occupe toute sa place dans ce combat par son approche multidimensionnelle de la lutte contre le terrorisme, parfaitement complémentaire 
de l’action que mène la France. 
Il contribue notamment au renforcement des capacités militaires des États de la région par la formation des cadres militaires du G5 Sahel. Il se distingue également par la formation d’imams qui offre une alternative au radicalisme religieux et participe aux efforts de stabilisation 
dans la zone.

 Une dernière question, vous avez été en poste dans plusieurs pays, quelle différence fait le Maroc par rapport à ces pays ?
Chaque pays a sa singularité et, partout, la différence vient des rencontres que l’on peut faire. Le Maroc est fascinant par son histoire plurimillénaire, la richesse et la diversité de sa culture. Mais ce qui est le plus frappant, pour la représentante de la France que je suis, c’est le jeu de miroir permanent qui existe entre nos deux pays, et le maillage extrêmement serré de leurs liens, qui couvrent tous les domaines. Dans un autre pays où j’ai été en poste, le Canada, existe l’expression «tricoté-serré» pour désigner des relations familiales particulièrement soudées. Je la trouve très adaptée à la relation 
franco-marocaine. 

Propos recueillis  par Abdelwahed Rmiche

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