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«Le Maroc doit développer des plateformes de recherche durables, car on assistera à l’émergence d’autres épidémies à l’avenir»

Au-delà de la crise sanitaire actuelle, le Maroc risque à l’avenir de se retrouver confronté à d’autres maladies présentant un profil virologique et épidémiologique inédit, souligne le secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des sciences et techniques, Omar Fassi Fehri. Il est donc nécessaire de se préparer à cette éventualité en mettant en place des plateformes durables de recherche scientifique capables d’anticiper les futures épidémies, estime-t-il, précisant que l’Académie Hassan II sera logiquement au cœur d’un tel dispositif.

«Le Maroc doit développer des plateformes de recherche durables, car on assistera à l’émergence d’autres épidémies à l’avenir»
M. Omar Fassi Fehri, intervenant lors d’une conférence en neurobiologie.

Le Matin : L’Académie Hassan II des sciences et techniques a publié dernièrement deux communiqués et une «Déclaration de l’Académie», pour s’exprimer au sujet de la pandémie causée par le Covid-19. Est-ce que cela entre dans le cadre de ses attributions ?
Omar Fassi Fehri
: Tout à fait, cela entre parfaitement dans le cadre des attributions et champ d’action de l’Académie, conformément à ses missions telles qu’elles sont définies par la loi l’ayant créée, notamment celles relatives à la promotion et au développement de la recherche scientifique, au financement de programmes de recherche scientifique et technique définis en fonction des priorités nationales et le suivi en permanence, au profit de la communauté nationale, des progrès de la science et de la technologie. De plus, toujours selon la loi qui l’a créée, l’Académie contribue à la définition des orientations générales fondamentales du développement scientifique et technique, et réalise des études, des analyses et des enquêtes sur le secteur de la recherche, à l’instar de la plupart des Académies des sciences à travers le monde, elle assure un rôle d’expertise et de conseil. Il faut aussi rappeler que dans la bataille menée pour faire face à la pandémie Covid-19, l’Académie apporte son soutien total et sans réserve à toutes les décisions médicales, sanitaires, sociales et économiques prises par les pouvoirs publics sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi, que Dieu Le protège. L’Académie, toujours d’après le Dahir portant loi la créant, peut «entreprendre toute action en vue de renforcer un laboratoire ou toute autre structure de recherche existants ou à créer». Dans le passé, elle l’a fait avec la création de MAScIR, aujourd’hui elle essaie de créer un centre d’excellence en mathématiques avec des compétences marocaines de l’intérieur et de l’étranger.

Justement, l’Académie estime que la gestion de cette crise sanitaire a besoin d’un ensemble de connaissances constamment mises à jour, et qu’il est urgent que les chercheurs marocains s’engagent à travailler de concert pour y parvenir. Comment faire pour y parvenir ?
En effet, l’Académie Hassan II des sciences et techniques estime que la gestion de cette crise sanitaire a désormais besoin d’un ensemble de connaissances et de données scientifiques pour accompagner la stratégie nationale de lutte contre cette pandémie. Dans son communiqué, publié le 14 avril 2020, l’Académie a proposé de constituer un groupe de travail multidisciplinaire dans les domaines des études épidémiologiques. Une analyse des données est également prévue en ayant recours à l’ingénierie digitale et à l’intelligence artificielle. Elle sera en lien avec les conditions de la propagation de l’épidémie liée au Covid-19 et avec les protocoles de prise en charge thérapeutique et les évolutions des maladies.
D’un autre côté, l’Académie va initier des recherches virologiques dans le but de mieux cerner le Covid-19 sur les plans génétiques et immunologiques. L’objectif est d’assurer le suivi des mutations virales éventuelles, ainsi que les mécanismes aboutissant aux pneumopathies et autres complications. À ce propos, le vendredi 15 mai, l’Académie a organisé sur le thème «Perspectives de recherche autour du virus SARS-COV-2 et de la procédure Covid-19», un webinaire qui a vu la participation d’éminentes personnalités scientifiques, et au cours duquel, à partir de l’expérience marocaine à travers le Covid-19, ont été définis des axes de recherche, notamment en épidémiologie, en physiopathologie, en virologie, en immunologie, en biologie moléculaire et en génomique.

L’Académie Hassan II des sciences et techniques souligne aussi qu’au-delà de l’urgence, le Maroc devrait tirer un certain nombre d’enseignements pour l’avenir, et prendre ainsi des décisions prospectives à même de consolider les acquis. À quoi faites-vous allusion exactement ?
Au-delà donc de l’urgence, notre pays risque à l’avenir de se trouver confronté à d’autres maladies présentant un profil virologique et épidémiologique inédit. Pour s’y préparer, l’Académie préconise d’abord de tirer les enseignements qui s’imposent de cette crise sanitaire et de contribuer par la suite aux études et recherches via un système de soutien à la recherche, destiné à faire émerger des groupes de recherche incluant les chercheurs spécialisés autour de thématiques prioritaires et en lien avec l’étude des aspects virologiques, sérologiques, génétiques, cliniques, épidémiologiques et préventifs grâce à des appels à projets que l’Académie financera, sans oublier la nécessité, dans la bataille contre les pandémies, de développer des technologies et d’autres outils, notamment la modélisation mathématique et l’intelligence artificielle.

L’Académie saisit cette occasion et parle de «l’impératif» de soutenir et prioriser la recherche au Maroc par le développement de plateformes de recherche nationale durables, préparées à mener des recherches prospectives capables d’anticiper les futures épidémies en raison d’une gamme d’agents pathogènes possibles. Pensez-vous donc qu’il y aura d’autres pandémies dans l’avenir tout aussi dangereuses auxquelles il faut se préparer ?
Avant de répondre à votre question, j’aimerais rappeler la prédiction faite par un célèbre personnage, Bill Gates. Il avait solennellement tiré la sonnette d’alarme en 2015 en prévenant que «le monde était beaucoup plus menacé par les virus que par les armes nucléaires». Face à la lutte contre la pandémie du virus Covid-19 et afin de permettre à la communauté des médecins et des biologistes de tenir un rôle d’alerte scientifique en temps opportun, au profit du décideur politique, il serait urgent que les chercheurs marocains s’engagent à travailler de concert pour y parvenir. Concernant votre question de savoir s’il y aura d’autres pandémies dans l’avenir auxquelles il faut se préparer, au-delà de la réponse indispensable à chaque épidémie, il est devenu impératif de réfléchir à notre modèle de vie et surtout repenser à notre relation avec la biosphère et les écosystèmes naturels qu’on exploite malheureusement d’une manière irrationnelle. Quant à l’émergence d’autres épidémies, elles se développeront certainement à l’avenir. On en a pour preuve que depuis des années, l’humanité a affronté beaucoup de maladies émergentes et ré-émergentes telles que le VIH, Ebola, le Sars, le H5N1, le H1N1…, qui sont certes moins virulentes, mais leur nombre est en constante augmentation depuis un demi-siècle. Pour y faire face, il serait impératif, comme vous l’avez mentionné dans votre question, de soutenir et prioriser la recherche au Maroc par le développement de plateformes de recherche nationale durables, préparées à mener des recherches prospectives capables d’anticiper les futures épidémies en raison d’une gamme d’agents pathogènes possibles.
À ce propos, l’Académie Hassan II des sciences et techniques a organisé en 2010 sa session plénière solennelle dont le thème scientifique général était «Maladies émergentes et re-émergentes et menaces pandémiques». Au cous de cette session, plusieurs sujets traitant de ce thème ont été abordés, notamment : i) Les risques pandémiques à l’échelle mondiale et régionale, ii) L’évolution des pathologies infectieuses au Maroc, iii) Le rôle des instituts et des réseaux de santé publique dans la veille sanitaire, iv) Les zoonoses, leur impact présent et futur sur la santé de l’homme, v) L’analyse du risque de maladies émergentes et ré-émergentes au Maroc, vi) Le progrès en matière de recherche-développement sur les vaccins et notamment le vaccin de la grippe pandémique et les risques épidémiques et pandémiques. D’ailleurs parmi les conférenciers à cette session, on trouve M. Moncef Slaoui qui à l’époque était vice-président du Groupe GSK en Angleterre.

Dans le cadre du plan d’action de l’Académie Hassan II des sciences et techniques, il est proposé de consacrer un budget de 10 millions de dirhams dédié à la recherche visant à faire face à la pandémie. Est-ce que c’est une action suffisante pour stimuler la recherche dans ce sens ?
Je reconnais que cette action est loin d’être suffisante sur le plan financier, sachant, toutefois, que le département ministériel chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, à travers le Centre national pour la recherche scientifique et technique a mis, également, en place un programme de soutien à la recherche scientifique et technique en lien avec le Covid-19 avec un montant de 10 millions de dirhams. Ce qui représente un soutien total de 20 millions de dirhams dédié à la lutte contre le virus Covid-19. L’Académie encourage la création d’un groupement de recherche multidisciplinaire dans le domaine de la lutte contre les épidémies et pandémies, susceptible de devenir plus tard un centre d’excellence.

L’Académie Hassan II avait déjà proposé, il y a cinq ans, la création d’une Institution nationale de recherche biomédicale (INAREB). Quel rôle aurait pu jouer une telle structure dans la lutte contre la pandémie si cette proposition avait été concrétisée ?
En effet, dans son communiqué publié le 14 avril 2020, l’Académie a réitéré sa proposition faite il y a cinq ans, relative à la création d’une Institution nationale de recherche biomédicale (INAREB) qui puisse fonctionner de manière à éviter les blocages des lourdeurs administratives, et se baser sur l’organisation et l’agrégation d’unités de recherche existantes et relevant des institutions de la santé publique, des universités et des entreprises privées.

Pour revenir à la pandémie que nous subissons, que propose l’Académie pour gagner la bataille de la lutte contre le Covid-19, notamment lors de la période du dé-confinement et pour garantir le succès de ce processus ?
Dans sa déclaration publiée le 4 mai 2020, l’Académie enregistre avec satisfaction l’esprit d’initiatives créatrices et les nombreuses activités d’innovation de nos universités, de nos ingénieurs et de nos entreprises, et appelle l’ensemble des chercheurs marocains à redoubler d’efforts pour hisser la recherche biomédicale, en fédérant  leurs travaux et en faisant participer d’une manière plus forte leurs collègues de la diaspora, et en intégrant, autant que possible, leurs travaux dans la recherche scientifique internationale. Ensuite, elle a tenu à exprimer son admiration pour tout l’appareil de l’État, et notamment aux   personnels   sanitaires, médicaux, paramédicaux et de soutien, civils et militaires, publics et privés. Et pour garantir le succès du processus de dé-confinement, l’Académie Hassan II des sciences et techniques appelle les pouvoirs publics à continuer de soutenir toutes les mesures sanitaires, lors de la période du dé-confinement, notamment par l’instauration d’une stratégie globale, cohérente et durable, comprenant, notamment : 
• une sortie progressive aussi bien dans le temps que dans l’espace,
• l’obligation pour tous les citoyens de rester très vigilants quant au respect des règles de vie individuelle et sociale et de ne pas considérer le dé-confinement comme un retour rapide, total et définitif, aux conditions d’avant la pandémie,
• l’élargissement et l’augmentation des tests diagnostiques, avec isolement des personnes infectées et de leur entourage,
• l’impérieux besoin de continuer à respecter les gestes barrières, la distanciation physique et sociale avec l’obligation du port de masques dans les espaces publics, tant que la circulation du virus continuera. 

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