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«Ces matinales seront couronnées par un mémorandum qui constituera notre contribution à la réflexion sur le nouveau modèle de développement»

«Ces matinales seront couronnées par un mémorandum qui constituera notre contribution à la réflexion sur le nouveau modèle de développement»
Ph. SAOURI

Il me plaît de vous accueillir aujourd’hui au nom du Groupe Le Matin à cette matinale, la première d’une série de dix qui s’étaleront jusqu’en juin prochain, toutes consacrées au débat sur le nouveau modèle de développement voulu par S.M. le Roi, que Dieu l’assiste.
Le choix du sujet et du moment n’est pas fortuit. De par notre position de groupe média, notre souhait est de susciter le débat autour du modèle de développement, de recueillir les avis, les attentes et les propositions afin de préparer un mémorandum qui constituera notre contribution à la réflexion sur ce processus et qui sera communiqué à M. Benmoussa, président de la commission.
Tout au long des cinq mois à venir, nous réunirons des experts, des chercheurs, des académiciens, des acteurs de la société civile et associative, des chefs d’entreprises, des hauts fonctionnaires et des politiques, pour un échange franc et constructif, sans tabou ni parti pris, sur les sujets qui tiennent à cœur aux Marocaines et aux Marocains. D’ores et déjà, nous en avons identifié quatre :
Le premier qui sera traité aujourd’hui porte sur les valeurs, citoyenneté et confiance, piliers du nouveau modèle de développement. Le deuxième traitera des attentes, aspirations et priorités du nouveau modèle de développement. Les deux suivants seront articulés autour de deux thèmes considérés comme l’épine dorsale des revendications de la société marocaine : la santé et l’éducation. Les thèmes suivants seront déterminés à partir des résultats de ces quatre matinales déjà programmées. Revenons à notre thème d’aujourd’hui. Nous estimons que les valeurs de citoyenneté et de confiance sont le préalable à tout projet de société où le vivre ensemble doit en être le socle. La révolution d’internet et des réseaux sociaux a créé un nouvel environnement où les valeurs sont désacralisées, où l’incivisme est en même temps pratiqué par les uns et dénoncé par les autres. L’on se pose la question : est-ce que la situation n’a pas changé, seuls les nouveaux espaces d’échanges l’ont amplifiée ? Est-ce un phénomène purement marocain ou au contraire universel ?
Vivons-nous une crise de valeurs ? Nos jeunes – et moins jeunes – ont-ils perdu leurs repères ? Quel rôle et quelle responsabilité des parents, de l’école, de l’État, des médias, notamment publics, des partis politiques et de la société civile, dans ce qui nous arrive et dans ce qu’il y a lieu faire ?
Je partage avec vous les résultats d’une étude publiée en décembre 2019, réalisée par l’Institut marocain d’analyse des politiques en partenariat avec la Fondation Heinrich Boll, qui a interrogé un échantillon de Marocains de plus de 18 ans :
• 67,8% des personnes interrogées ne font confiance ni au gouvernement ni aux partis politiques,
• 57,5% ne croient plus au Parlement,
• 41% ne font pas confiance à la justice marocaine,
• 48% ne font pas confiance à l’école publique,
• À peine 24% font confiance au secteur public de la santé,
• 42% ne font pas confiance à leurs propres concitoyens,
• Les Marocains font confiance à 3 entités : la famille à 95,2%, la police à 78% et l’armée à 83,3%.
C’est donc pour décoder tous ces messages, comprendre la situation et ses enjeux, proposer des pistes de réflexion et d’action que d’éminents intervenants ont accepté de nous honorer et de nourrir le débat grâce à leur engagement et leur connaissance profonde du domaine et du terrain. 

Karim Tahri :  l’éducation scolaire doit être au service de l’éducation citoyenne

«Les valeurs représentent un élément essentiel pour bâtir le nouveau modèle de développement. Aujourd’hui au Maroc, nous constatons des changements au niveau des comportements. Les liens entre les personnes ont changé, notre société a changé et donc les valeurs seront amenées à changer, entre celles qui émergent et d’autres qui disparaissent. La question qui se pose face à cette réalité est de savoir comment l’individu, qui fait partie d’un collectif, pourrait parvenir à réguler ces principes pour répondre aux défis du changement. À mon avis, cette crise de valeurs qui revient au cœur du débat est liée à un élément fondamental qui est celui de la transmission. En effet, dans la société marocaine, les valeurs étaient transmises principalement par les parents, les enseignants et le fqih. Aujourd’hui, les relations ont changé, que ce soit au sein de la famille, à l’école ou avec la religion. Par ailleurs, il ne faut pas omettre le rôle important de l’État qui intervient à plusieurs niveaux et notamment le cadre réglementaire. Mais là où l’État peut apporter énormément, et il est là dans son rôle, c’est l’éducation scolaire en la mettant au service de l’éducation citoyenne. Pour redonner sens aux valeurs, nous avons également besoin de leaders engagés pour donner l’exemple aux jeunes et porter le changement. Aujourd’hui, nous avons besoin de milliers de petits cavaliers qui vont travailler ensemble pour un Maroc meilleur et qui représentent des figures de leadership. À notre niveau, nous essayons d’organiser des caravanes citoyennes qui sillonnent le Royaume et qui ciblent les jeunes. L’objectif numéro 1 de Tizi est de redonner espoir à ces populations et leur inculquer les bases du leadership et de la citoyenneté.» 

Fatima Benkhadra Sbihi : pour aspirer à la démocratie il faut des personnes éduquées

«Dans le vaste débat national qui accompagne l’élaboration du nouveau modèle de développement, cette matinale traite d’un sujet d’une grande importance et majeur. Les valeurs constituent en effet la base de la réflexion sur un projet en construction destiné à renforcer la citoyenneté et la confiance des Marocains. Les attentes des citoyens sont immenses et immense est la mission de la commission spéciale en charge de l’élaboration de ce projet. Il s’agit d’un moment historique et d’un rendez-vous à ne pas rater et pour lequel nous avons déjà du mal à susciter l’espoir, notamment chez les jeunes. Notre association, depuis près d’un quart de siècle, œuvre pour développer ces valeurs de citoyenneté et de civisme à travers l’éducation. C’est notre devise : pas de développement sans éducation, et plus on aspire à la démocratie et à incruster les valeurs, plus on a besoin de personnes éduquées pour porter la responsabilité de la vie en démocratie et de l’exercice des libertés. À cet effet, Afak a déployé beaucoup de moyens pour pouvoir toucher le maximum de personnes, dont notre charte de civisme que nous avons destinée aux entreprises pour sensibiliser aux comportements citoyens. De plus, et dans la perspective de ce nouveau modèle de développement, Afak compte focaliser ses efforts sur des valeurs à mettre en évidence pour contribuer à la mise en œuvre des grandes orientations de développement en s’adressant aux différentes tranches de la société, car nous sommes convaincus que chacun est acteur du changement. Inculquer les valeurs est une action à entreprendre dès le jeune âge, c’est un travail de longue haleine. Je cite ici une parole de feu Harrouchi, devenue une base de travail pour nous : “On n’éradique pas l’incivisme comme on éradique la rougeole”.» 

Ahmed Ghayat : La valeur «confiance» doit être à la base du nouveau modèle de développement

La confiance doit être à la base du nouveau modèle de développement. Cette confiance doit tout d’abord être placée dans cette commission et les hommes qui la composent, a souligné le président de l’association «Marocains pluriels», Ahmed Ghayat. Intervenant jeudi à Casablanca à l’occasion de la première Matinale du Groupe Le matin autour du nouveau modèle de développement, l’acteur associatif a souligné que la clé pourrait bien être la promotion de la culture. Dans ce sens, il a affirmé que trois mots clés devront guider les travaux de la commission spéciale pour le modèle de développement (CSMD). Il s’agit du leadership, de la culture et du sport. Il s’est interrogé dans ce sens sur l’absence d’espaces de rencontre, de terrains de sport et de maisons de jeunes. L’acteur associatif a appelé d’ailleurs à éviter les erreurs commises par certains pays européens dans les années 1960.
Toujours dans le volet relatif aux valeurs, M. Ghayat a affirmé que les principaux canaux de transmission de valeurs aujourd’hui sont les réseaux sociaux, où les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Pour lui, deux endroits constituent aujourd’hui un espace d’expression des jeunes : les réseaux sociaux et les stades de football. À la fin de son intervention, le président de l’association «Marocains pluriels» a affirmé qu’aujourd’hui le Maroc connaît l’émergence forte de trois valeurs. Il s’agit de l’amour, de l’empathie et de la parité. Cette dernière valeur est de plus en plus présente chez les jeunes, a-t-il souligné en donnant l’exemple des associations où les jeunes exigent l’égalité des sexes. 

Chakib Guessous : Mieux comprendre les jeunes afin de les accompagner

La crise de confiance au sein de la société marocaine est bien réelle. Selon le sociologue et écrivain, Chakib Guessous, cette crise a été démontrée par plusieurs enquêtes mettant en avant le manque de confiance en certaines institutions telles que le Parlement ou les partis politiques. Intervenant jeudi dernier à Casablanca à l’occasion de la première Matinale du Groupe Le Matin autour du modèle de développement, le sociologue a souligné que le nouveau modèle doit inclure cette dimension relative à la confiance, car il en va de l’avenir du Maroc. Rappelant le grand changement que connaît le système des valeurs, notamment après l’avènement d’Internet, M. Guessous a souligné que les valeurs, par définition, ne sont pas quelque chose de figé et ne sont pas tout à fait perdues, comme le prétendent certains. «Les valeurs des jeunes sont peut-être différentes de celles des générations qui les ont précédées», a-t-il affirmé. Donnant l’exemple de la valeur de la solidarité, le sociologue a fait savoir que cette valeur devait se faire au sein du Douar même, selon la règle de «la priorité aux proches». Cette valeur est désormais universelle et plus organisée pour les jeunes aujourd’hui, a-t-il rappelé. Insistant sur la centralité des jeunes dans toute nouvelle stratégie à adopter par le Maroc, le sociologue a appelé à mieux les comprendre afin de pouvoir les accompagner. Ces jeunes prennent aujourd’hui leurs repères et s’identifient à d’autres jeunes dans d’autres pays dans le monde. On peut donc parler d’une universalisation des valeurs, a-t-il souligné. C’est dans ce sens que M. Guessous insiste sur l’importance de comprendre les jeunes d’aujourd’hui, mais également les générations qui vont suivre. 

Jamal El Moussaoui : Les valeurs influencent les comportements individuels et collectifs

Jamal El Moussaoui, cadre au sein de l’Instance nationale de la probité de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), a défendu, lors du débat organisé par le Groupe Le Matin dans le cadre des «Matinales», la place des valeurs dans le nouveau modèle de développement que le Maroc est en train de construire. Les valeurs influencent les comportements individuels et collectifs au sein de la société et servent d’éléments d’explication de ces comportements, a-t-il analysé. «Elles représentent l’ADN et un héritage que nous avons reçus de nos ancêtres et qu’on va transmettre aux générations de demain. Si la transmission est faite de la bonne manière, notre avenir sera meilleur», a-t-il ajouté. Dans ce sens, il a souligné le rôle à jouer par les médias et les autres acteurs pour transmettre le côté positif de ces valeurs qui sont respectées et traduites par des comportements individuels ou collectifs dans la société. «Si cette transmission est mal faite, nous serons perdus et nous allons avancer sans repère et aller vers l’inconnu», a-t-il prévenu. Par ailleurs, il a appelé à définir d’abord «ce qu’on veut dire par le citoyen, auquel nous allons confier notre pays dans l’avenir. Dans ce cadre, le nouveau modèle de développement auquel on aspire doit prendre en considération les changements que connaît la société», a-t-il déclaré. Il considère ainsi que la société est en pleine mutation. «On est obligé de suivre ce qui se passe dans le monde en raison de la grande ouverture sur le monde. Il faut s’adapter à ces changements et s’intégrer dans le monde d’aujourd’hui», a-t-il poursuivi. Selon M. Moussaoui, cette intégration passe d’abord par l’épanouissement à offrir aux citoyens. Chose que garantit la Constitution qui consacre le droit des Marocains aux soins, à l’enseignement, à l’habitat décent, à l’eau potable, etc. 

Bouchra Boulouiz : Il faut libérer les énergies, stimuler la créativité et promouvoir la liberté individuelle

Intervenant dans le cadre du débat sur «Valeurs, citoyenneté, confiance : déterminants du nouveau modèle de développement», organisé par le Groupe Le Matin, l’écrivaine et essayiste Bouchra Boulouiz a insisté sur l’impact du triptyque technologie, science et industrie. Tout en affirmant qu’il y a une crise des valeurs, corollaire d’une crise des institutions, elle a souligné que cette situation a des similitudes avec ce qui est arrivé au 19e siècle en Europe. Une période marquée par des mutations d’un modèle féodal et archaïque vers un modèle industrialisé où la technologie, la science et l’industrie se sont imposées. Ce qui a, estime-t-elle, un impact sur les valeurs traditionnelles des Marocains. Par ailleurs, elle considère que l’accompagnement de cette révolution technologique doit se faire par l’État, «qui ne le fait pas», a-t-elle regretté. Elle a ainsi appelé à ce que des actions soient entreprises afin de retrouver confiance dans l’État et ses institutions. Concernant la question de la temporalité, l’écrivaine souligne l’importance de l’efficacité en appelant à appliquer les décisions prises sans plus attendre «les élections ou le changement de gouvernement pour le faire… On perd un temps fou à cause de cela», a-t-elle déploré. Cependant, elle considère que l’harmonie des valeurs se fait d’elle-même quand les préalables sont bien installés. Pour cela, «il faut libérer les énergies, stimuler la créativité et promouvoir la liberté individuelle», a-t-elle suggéré. Selon elle, tradition et modernisme sont des automatismes dans lesquels chacun met ce qu’il veut. «Nous, on est entre les deux. Or, en réalité, il faut avoir notre propre perception et lier les deux», a-t-elle précisé. n

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