L’Institut Royal des études stratégiques (IRES) a consacré son dernier rapport stratégique à la réflexion sur le nouveau modèle de développement. Intitulé «Vers un nouveau modèle de développement», ce document s’inscrit dans le prolongement de l’intérêt porté par l’Institut aux questions de la compétitivité globale depuis 2009 et du capital immatériel à partir de 2014. C’est ainsi que l’IRES a achevé, en juin 2019, la rédaction en français de ce nouveau rapport et, en août 2019, de sa version anglaise. «Des exemplaires de ce rapport, élaboré selon la méta-méthode prospective qui se déroule en trois temps : comprendre, anticiper et proposer, ont été remis, fin février 2020, à la Commission spéciale sur le modèle de développement», souligne l’IRES à l’occasion de la publication de ce document riche non seulement par le volume de son contenu (cinq chapitres réparties sur 258 pages), mais également par la méthode et le nouveau paradigme adoptés ainsi que les propositions suggérées.
En effet, conscient de la complexité de la question du modèle de développement et de la multiplicité des échelles d’analyse, l’IRES a retenu une approche singulière puisque la réflexion de l’Institut n’est pas juste une affaire nationale, mais prend en considération, également, les mutations régionales et internationales à l’œuvre. «Dans ce cadre, c’est la démarche de leapfrog qui a été privilégiée, car l’urgence des défis à relever exige de sauter les étapes classiques et de trouver des chemins de traverse, permettant au Maroc de rejoindre à terme le club des pays développés», explique l’IRES dans son rapport. Quelle est, par ailleurs, la valeur ajoutée de l’adoption d’une stratégie basée sur ce concept ?
À vrai dire, le concept Leapforg signifie «saut de grenouille». Il est utilisé dans de nombreux domaines de l’économie et des affaires et a été développé à l’origine dans le domaine de l’organisation industrielle et de la croissance économique. Il est utilisé dans le contexte de développement durable pour les pays en développement en tant que théorie du développement, qui saute certaines étapes, pour accélérer le développement, et ce en ignorant des technologies et des industries inférieures, moins efficaces, plus coûteuse ou plus polluantes et en se dirigeant directement vers des technologies plus avancées.
Ainsi, dans cette optique, l’IRES estime qu’au lieu de reproduire un modèle daté qui est désormais inopérant, compte tenu des changements drastiques qui ont eu lieu ces trente dernières années, «il est temps pour le Maroc de chercher une nouvelle voie, capable de mettre fin à ses difficultés et de déclencher un nouveau cercle vertueux, d’où l’importance, encore une fois, d’adopter une stratégie de leapfrog», est-il souligné. Selon l’Institut, face aux bouleversements émergents, la stratégie du leapfrog permet de faire l’économie de l’apprentissage des techniques bientôt obsolètes, pour se concentrer sur celles à venir. D’où l’importance d’établir clairement la voie à suivre et le modèle de développement à choisir afin de fixer quelques priorités essentielles, notamment en matière de technologies clés.
De la sorte, le modèle proposé a pris en considération le contexte macro-historique, mondial et national ainsi que quatre ruptures majeures qui sont en train de changer la donne à l’échelle aussi bien nationale que mondiale, lit-on dans le rapport stratégique. Il s’agit du passage de la valeur matérielle aux valeurs immatérielles, la revalorisation de l’humain, la fin de l’économie de prédation (marquée par l’impact majeur et croissant des activités humaines sur la terre et l’atmosphère) et l’émergence rapide de technologies disruptives. Ainsi, le modèle souhaité par l’IRES repose sur quatre piliers. Il doit remettre l’humain au cœur du développement, prendre soin de la nature, contribuer à la planétarisation et s’engager résolument dans «l’exponentialité» (avec des processus, non pas adaptés à la digitalisation, mais repensés pour une réelle optimisation digitale). «Piliers interdépendants qui doivent être soutenus par une nouvelle gouvernance dont les deux principes premiers sont la justice et l’éthique ainsi que la flexibilité et l’adaptation, expliquent les rédacteurs du rapport», recommande l’Institut dans son rapport.