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Un océan sans rivage

Laylat d’al-qadr, c’est une nuit où l’Esprit (identifié généralement à l’Archange Gabriel) et les anges descendent parmi les êtres humains , qui prient et invoquent Dieu, pour les saluer et leur assurer paix et protection, jusqu’à l’apparition de l’aube (fajr). Pour les musulmans, c’est une nuit de ferveur particulière car cette «ouverture de la porte du ciel» implique une proximité spirituelle particulière et la possibilité pour les prières et les aspirations de chacun d’être exaucées et réalisées. Dans son interprétation spirituelle Ibn ‘Ajîba considère que le fait que la date de cette nuit n’est pas définie revient à se maintenir dans un état d’éveil et considérer que chaque instant peut être une nuit du destin ou, chaque personne rencontrée, un saint potentiel.

Un océan sans rivage

PAR FAOUZI SKALI

Le soufi marocain Ibn ‘Ajîba (m. 1809), originaire de la région de Tétouan, qui était  aussi un grand théologien de l’Université de la Qarâwiyyîn, a légué, parmi ses œuvres, une exégèse (tafsîr) du Coran selon deux types de niveau d’interprétation, textuel et spirituel. Ce dernier niveau est appelé «tafsîr bi al ishâra» 

(interprétation «allusive» ou herméneutique spirituelle). Elle s’inscrit dans une longue tradition d’interprétation du Coran, comme celle, des siècles plus tôt, d’al Qushayrî (m. 1074).

L’intitulé de cet exégèse est «al bahr al madîd fî tafsîr al qur’ân al majîd», «L’océan qui s’étend dans l’interprétation du glorieux Coran». Ce titre fait lui-même allusion au fait que toutes les interprétations, aussi étendues et profondes qu’elles soient, ne peuvent épuiser l’océan sans rivage, infini, de sens porté par le texte coranique. C’est ce qui est indiqué dans le verset suivant : «Dis si l’océan était de l’encre pour les paroles de mon Seigneur, l’océan se serait épuisé avant que ne s’épuisent les paroles de mon Seigneur, même si nous amenions un océan d’étendue semblable...» (Cor. 18/109).

Selon cette approche, Ibn ‘Ajîba va procéder à une interprétation de la Sourate 97 du Coran, appelée al qadr, «Le Destin» : «Nous l’avons certes, fait descendre pendant la nuit d’al-qadr. Et qui te dira ce qu’est la nuit d’al-qadr ? La nuit d’al-qadr est meilleure que mille mois. Durant celle-ci descendent les Anges ainsi que l’Esprit, par permission de leur Seigneur pour tout ordre. Elle est paix et salut jusqu’à l’apparition de l’aube.» Dans cette Sourate référence est faite sans le nommer au Coran, comme cela est confirmé par le verset suivant : «Par le Livre explicite. Nous l’avons fait descendre en une nuit bénie, Nous sommes en vérité Celui qui avertit, durant laquelle est décidé tout ordre sage» (Cor. 44/2-4). Le sens du mot «Destin» est indiqué par la fin du verset pré-cité «... durant laquelle est décidé tout ordre sage».

Ibn ‘Ajîba nous rappelle tout d’abord les différentes explications procédant des Compagnons du Prophète (PSL) de cette Sourate. Celle-ci concerne la descente, rapporte-t-on, du Coran jusqu’au ciel le plus proche pour ensuite être révélé au Prophète Muhammed (PLS) en l’an 610, dans la grotte de hirâ’. Cette descente implique que le Coran a un modèle céleste, la «Table bien gardée» (al lawh al mahfûd) qui est au-delà du temps et de l’espace et qui en arrivant jusqu’au ciel du monde va s’inscrire dans cette dimension et être révélé ensuite, progressivement (nujûman)  et selon différentes circonstances, sur une durée prophétique de 23 ans.

Cette nuit est désignée en tant que telle aussi par le fait que le destin du monde va changer à jamais par le fait de cette révélation. Pour indiquer la densité de ce sens, elle est donc décrite comme valant mieux (sans restriction de ce «mieux») que «mille mois». Selon Ibn ‘Abbâs – un compagnon du Prophète (PLS), considéré comme l’un des plus éminents exégètes du Coran (suite à une prière du Prophète, PLS) –, cette nuit, dont on ignore la date précise, aurait eu lieu le 27 du mois du Ramadan, s’appuyant en cela sur le fait que le mot «elle», qui en fait référence vers la fin de la Sourate, est précisément le 27e mot dans celle-ci.

D’autres traditions évoquent le fait qu’elle se situe dans l’une des nuits impaires des dix dernières nuits du mois du Ramadan. Pour d’autres encore, elle peut se situer dans n’importante quelle nuit de l’année. Par ailleurs, c’est une nuit où l’Esprit (identifié généralement à l’Archange Gabriel) et les anges descendent parmi les êtres humains, qui prient et invoquent Dieu, pour les saluer et leur assurer paix et protection, jusqu’à l’apparition de l’aube (fajr). Pour les musulmans, c’est une nuit de ferveur particulière car cette «ouverture de la porte du ciel» implique une proximité spirituelle particulière et la possibilité pour les prières et les aspirations de chacun d’être exaucées et réalisées.

Dans son interprétation spirituelle, Ibn ‘Ajîba considère que le fait que la date de cette nuit n’est pas définie revient, comme pour d’autres dimensions non définies également, tels que le destin réservé à chacun ou l’attribution de la qualité de «sainteté» et certains moments ou prières propices, à se maintenir dans un état d’éveil et considérer que chaque instant peut être une nuit du destin ou, chaque personne rencontrée, un saint potentiel. Et donc par là même avoir une attitude d’humilité, de non-jugement et de respect d’autrui,  en tâchant d’être dans une  disponibilité intérieure qui permet d’accueillir, lorsqu’elle survient, l’effluve spirituelle de cet instant. C’est ce que, nous dit-il, nous ont rapporté dans un langage poétique certains grands spirituels :

«Toutes les nuits sont pour moi des nuits du destin

Comme chaque moment de “rencontre” (spirituelle) est un Vendredi 

Et un rituel de pèlerinage en chaque station,

Être debout à Sa porte [celle de Dieu] équivaut pour moi à mille pèlerinages».

Ou encore :

«Chaque instant de mon Aimé

Vaut pour moi mille pèlerinages».

Tout en magnifiant chacun des grands rituels et célébrations  des temps de l’Islam, Ibn ‘Ajîba insiste sur le fait que ce qui reste cependant le plus important est d’en comprendre et d’en vivre le sens et l’esprit. 

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