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Poésie et spiritualité

Nous connaissons au moins deux grands poètes qui ont joué un rôle majeur à l’époque de la Révélation. Il s’agit de Hassân ibn Thâbith, dont le Prophète (PLS) disait qu’il était soutenu par l’Esprit Saint, et Ka’b ibn Zuhayr dont l’histoire a retenu qu’il l’avait entouré de son manteau après que le poète ait déclamé, dans la grande tradition littéraire arabe, des vers qui en faisaient l’éloge (panégyrique). C’est en se basant sur tous ces éléments que va se développer une tradition poétique soufie qui se ressource à la fois dans ces orientations coraniques et prophétiques et dans la grande tradition littéraire de la poésie arabe.

Poésie et spiritualité
Ph. shutterstock

Par Faouzi Skali

 

Quelle est le statut de la poésie en terre d’Islam ? La tradition littéraire arabe est à l’origine principalement orale et la poésie y joue un rôle majeur, comme celle de Imru’ al Qays,  Amr ibn Kalthûm et plus généralement des auteurs des fameuses mu’allaqât (les poésies «suspendues», parce que considérées parmi les plus belles) qui pouvait couvrir plusieurs formes littéraires.
Parallèlement à ces formes classiques, il existait également, au moment de la Révélation, une forme de poésie dans la péninsule arabe qui était liée à une pratique magique ou divinatoire (kahâna) ou encore spécifiquement utilisée à des fins de satire (hijâ’) ou de propagande (fakhr) politiques, considérées comme de véritables instruments de combat.
Le Coran se situe, en tant que révélation divine, en dehors de ce champ poétique : «Nous (Allâh) ne lui ont pas enseigné la poésie, ce n’est pas son fait, ce n’est qu’un Coran et une remémoration explicite» (Cor 36/69). Une Sourate du Coran intitulée «Les poètes» (ashu ‘arâ’) va cependant indiquer une différence essentielle entre deux formes de poètes et donc de poésies : «Les poètes sont suivis par les égarés, ne vois-tu pas qu’ils se perdent dans toutes vallées et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas, sauf ceux qui ont la foi, qui font le bien et qui invoquent Allâh très souvent...» ( Cor. 26/224-226).
Le Prophète Muhammed (PLS) va de même valoriser d’une façon particulière cette poésie spirituelle indiquant, dans un sens positif, qu’il y a dans une certaine façon de s’exprimer, une force magique ou encore selon un autre  hadîth : «Certaines poésies sont sagesse». Le Prophète (PLS) lui-même était connu pour l’éloquence, la concision et la clarté de son expression : «Il m’a été donné la synthèse de la parole», dit un hadîth. Nous connaissons au moins deux grands poètes qui ont joué un rôle majeur à l’époque de la Révélation. Il s’agit de Hassân ibn Thâbith, dont le Prophète (PLS) disait qu’il était soutenu par l’Esprit Saint, et Ka’b ibn Zuhayr, dont l’histoire a retenu qu’il l’avait entouré de son manteau après que le poète ait déclamé, dans la grande tradition littéraire arabe, des vers qui en faisaient l’éloge (panégyrique).
C’est en se basant sur tous ces éléments que va se développer une tradition  poétique soufie qui se ressource à la fois dans ces orientations coraniques et prophétiques mais aussi dans la grande tradition littéraire de la poésie arabe, et en particulier celles de l’amour courtois platonique, dit «udhrî» (d’une tribu portant le même nom, connue pour avoir développé cette approche amoureuse) et du «nasîb» (poésie centrée sur l’absence de la bien-aimée) et même de la «khamriya» (poésie bachique faisant l’éloge du vin), en réinterprétant l’ensemble de ces genres dans un sens spirituel et symbolique.
Un genre particulier de poésie, inspiré de la réception du manteau prophétique par Ka’b ibn Zuhayr, va s’exprimer tout au long de l’histoire littéraire de l’Islam et s’intituler la «burda» (le manteau). Le plus connu d’entre tous est celui de l’Imâm al Busayrî (m. 1294) qui est une référence universelle en la matière et a connu un grand nombre de traductions et de commentaires. L’une des traductions commentées les plus récentes est de M. Hassan Boutaleb, dont voici un court extrait : «... Tu peux lui attribuer toute la noblesse que tu veux, et honorer son rang et sa grandeur autant qu’il te plaira. La précellence de l’Envoyé de Dieu est si immense que même la langue la plus éloquente ne saurait l’exprimer et encore moins le décrire [...] Il est comme le soleil qui, de loin, apparaît petit, et qui fait vaciller les yeux et aveugle quand on le regarde de face. Comment peuvent apprécier sa réalité en ce monde, les gens qui, endormis, se contentent de le rêver ? Tout ce que l’on sait de lui c’est que c’est un homme et la plus parfaite de toutes les créatures de Dieu...»
Il est à noter que dans ce grand poème qui est chanté dans toutes les circonstances religieuses, al Busayrî tisse, comme son grand prédécesseur Ka’b ibn Zuhayr, entre les fils des deux traditions poétiques, panégyrique et celle de la grande littérature arabe classique.
Voilà comment al Busayrî raconte les circonstances de la rédaction de son poème : «Après avoir rendu visite à un notable de la ville, sur le chemin du retour, je croisais un sage au bel aspect et d’âge mûr près de ma demeure qui m’interpella ainsi : “Serait-ce toi qui as vu l’Envoyé de Dieu (PLS) cette nuit en rêve ?” Je répondis : “Non, je n’ai pas vu le Prophète (PLS) cette nuit !” Les paroles de ce sage m’émurent et remplirent mon cœur d’amour et de désir ardent pour le Prophète (PLS). Je rentrai me coucher. Je vis alors en songe l’Envoyé de Dieu (PLS) en présence de ses Compagnons. On aurait dit le soleil au milieu des étoiles. Je me réveillais le cœur palpitant et comblé d’amour et de joie. L’amour pour cette lumière n’abandonna plus jamais mon cœur... Plus tard, je fus atteint d’un mal terrible qui paralysa la moitié de mon corps et m’empêchait de bouger. Me vint alors l’idée de composer une œuvre qui traitait des mérites du Prophète (PLS) à travers laquelle j’invoquais Dieu de me guérir. Après l’avoir composée et m’être endormi, voilà que m’apparut en songe le Prophète (PLS). Je lui récitai mon œuvre en entier, et il caressa de sa noble main bénie les parties paralysées du corps de l’humble et ingrat serviteur que je suis. À mon réveil, j’étais complètement rétabli et n’éprouvais plus aucune douleur. Au sortir de chez moi le lendemain matin, je rencontrais le Shaykh Abû al Rajâ’, un ami, qui, à ma grande surprise me dit : “Donne-moi la qasîda que tu as composée en l’honneur du Prophète (PLS) !” Certain de n’en avoir parlé à personne, je lui rétorquai : “De quelle qasîda parles tu ? J’en ai tellement composées à sa gloire, laquelle veux-tu ?” Il me dit : “Celle qui commence par amin tadhakkurî... (t’en souvient-il ?)”. Stupéfait, je lui demandai : “Ô Abû al Rajâ, de qui tiens-tu cela ? Je ne l’ai encore récitée à personne”. Il me dit alors : “Je t’ai entendu la déclamer devant l’Envoyé de Dieu (PLS). Il en était si ravi que son corps s’était animé d’un mouvement semblable à celui de rameaux portant des fruits lorsque la brise les caresse”. Je la lui donnai, et la nouvelle se répandit rapidement parmi la population» (trad. M. Hassan Boutaleb). 

 

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