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«Près de 100 millions d’euros seront versés par anticipation au budget de l’État ces trois prochains mois»

L’Agence française de développement (AFD) a annoncé, depuis le début de la crise sanitaire, une batterie de mesures d’accompagnement pour les États africains. Pour le Maroc, elle s’est mobilisée dans des plans d’aide à court, moyen et long termes. Objectif : répondre à l’urgence sanitaire et aider à une relance économique. Le point avec Mihoub Mezouaghi, directeur de l’AFD au Maroc.

«Près de 100 millions d’euros seront versés par anticipation au budget de l’État ces trois prochains mois»
Mihoub Mezouaghi : «Les économies africaines seront confrontées à des difficultés pour financer leur économie. Les quelques marges de manœuvre budgétaires et monétaires dégagées ces dernières années seront rapidement épuisées et très insuffisantes pour engager une relance économique.»
Le Matin : L’AFD vient de lancer une initiative pour lutter contre la crise sanitaire en Afrique. Quels en sont les contours ?

Mihoub Mezouaghi : Le Président de la République a récemment rappelé que nous devons une solidarité à l’Afrique dans ce contexte de crise Covid-19. L’AFD a, en ce sens, lancé le 9 avril une initiative «Covid-19 – Santé en commun» pour proposer une première réponse ciblée à la crise et complémentaire à celle des bailleurs multilatéraux et européens. Cette initiative prévoit de mobiliser 1,2 milliard d’euros afin d’apporter un appui à des systèmes sanitaires fragiles et aux initiatives nationales, et ainsi contribuer à amortir les impacts économiques et sociaux. Compte tenu de l’urgence de la situation, nous avons adapté nos modalités d’intervention pour que l’intégralité de ces financements soit disponible d’ici l’été. Pour ce faire, cette initiative sera mise en œuvre de manière partenariale avec les États, mais aussi les banques publiques de développement, les organisations de la société civile, le secteur privé et les acteurs de la santé mondiale. L’accent sera notamment mis sur le renforcement des réseaux régionaux de surveillance épidémiologique, les contributions aux politiques nationales de réponse au Covid-19 et la mobilisation de l’expertise sanitaire et scientifique française. Les pays prioritaires seront les pays les plus vulnérables du continent.

 

Comment évaluez-vous l’évolution de la pandémie au Maroc et en Afrique ?  

Force est de constater que la pandémie n’a pas atteint, à ce jour, un niveau insoutenable depuis le premier cas observé sur le continent, en Égypte, le 14 février. Il est vrai que les capacités de détection restent faibles, pourtant même dans les principaux foyers du Covid-19 (Afrique du Sud, Égypte, Algérie et Maroc), les établissements sanitaires ne présentent pas pour le moment de signes de saturation. Le temps des enseignements viendra dans quelques mois, mais il est possible que l’on retienne que le Maroc – comme d’autres pays du continent – a pris des mesures préventives de confinement suffisamment tôt pour freiner la courbe de propagation du Covid-19. Il est aussi possible que l’on retienne que le continent africain, comme une partie du continent asiatique, a tiré parti de son expérience de lutte contre des pandémies, par exemple celle provoquée par Ebola en 2014. Il est enfin possible que l’on retienne que le système de santé, bien que présentant des vulnérabilités structurelles, s’est rapidement organisé pour traiter les premiers cas observés et prendre des dispositions pour prévenir une contagion de plus forte ampleur. Nous devons le souhaiter, il est objectivement trop tôt pour tirer ces enseignements. Et si l’engagement dans la lutte contre le Covid-19 est la première urgence pour contenir la crise sanitaire, on sait déjà avec certitude l’intensité de la crise économique qui n’épargnera pas le continent africain.

 

Quelle est l’ampleur de cette crise économique ?

 Elle est d’abord inédite, car elle s’est installée de manière simultanée dans l’ensemble du monde. Elle est ensuite d’une ampleur que nous n’avons pas connue depuis sans doute près d’un siècle. Les dernières estimations du FMI du 14 avril prévoient une récession de 3% de l’économie mondiale et de 1,6% de l’économie africaine en 2020. L’Afrique connaîtrait ainsi une rupture d’un cycle de croissance soutenue qui aura duré deux décennies. La récession économique de pays européens pourrait être bien 

plus prononcée. L’Afrique subit un double choc : celui de la demande extérieure qui entraînera un fort déficit de la balance des paiements et celui de la demande domestique qui pèsera lourdement sur les finances publiques. En d’autres termes, les économies africaines seront confrontées à des difficultés pour financer leur économie. Les quelques marges de manœuvre budgétaires et monétaires, dégagées ces dernières années, seront rapidement épuisées et très insuffisantes pour engager une relance économique. Et les pays les plus dépendants des matières premières et les plus endettés seront les plus affectés. Il s’agira d’un réel test de la résilience économique et déjà un défi majeur pour définir les leviers d’une relance vigoureuse dans les meilleurs délais.

 

La récession économique n’épargnera donc pas le Maroc...

Cela dépendra dans une large mesure de la durée du confinement du Maroc et de ses principaux partenaires. Mais la situation est délicate dès lors que les moteurs de la croissance de l’économie marocaine sont neutralisés : l’activité touristique est suspendue, les secteurs exportateurs – et notamment industriels – sont confrontés à une contraction brutale de leurs marchés, les transferts des MRE seront en fort repli et les entreprises sont globalement tétanisées à la fois par une consommation en forte baisse et des difficultés de trésorerie soudaines. À cela s’ajoute une année qui sera marquée par une baisse de 50% du niveau de pluviométrie par rapport à l’année dernière. Les prévisions les plus récentes prévoient un taux de croissance de 1% – contre 2,7% en 2019 – et sont probablement très optimistes. Tout dépendra aussi de l’efficacité de la réponse contracyclique portée principalement par la politique budgétaire. Elle est, pour le moins, crédible en ciblant les composantes de la demande domestique ayant la propension à consommer la plus élevée (les ménages à faible revenu) et la propension à investir la plus élevée (les entreprises). Il n’y avait sans doute pas d’autres moyens pour amortir le choc de la demande. Mais l’équation devient complexe lorsqu’il s’agit de ne pas hypothéquer la crédibilité acquise en matière de gestion des équilibres macro-économiques et de préserver des marges de manœuvre qui seront précieuses pour accélérer la relance économique le moment venu. L’écueil serait de mobiliser l’essentiel des ressources à court terme.

 

Quelle est la contribution de l’AFD dans ce contexte ? 

La contribution de l’AFD est à sa juste mesure. Elle est d’abord sans retenue compte tenu de l’intensité des relations bilatérales et elle veut être articulée autour de deux temporalités. D’abord celle du court terme pour apporter une contribution au programme d’urgence et de stabilisation économique et sociale défini par les autorités marocaines. De manière plus concrète, 100 millions d’euros viennent d’être mis au début du mois d’avril à la disposition du Royaume à travers un programme de financement des communes, car la solution à la crise est aussi au niveau local. Près de 100 millions d’euros seront versés par anticipation au budget de l’État au cours des trois prochains mois ; et deux lignes de crédit auprès de deux banques publiques – Finéa et Crédit Agricole du Maroc – ont été activées pour libérer au total 130 millions d’euros au cours du mois d’avril en faveur des TPME. Ensuite, celle du moyen et long termes, à partir de laquelle doit, dès à présent, se construire une sortie de crise par le haut. Entre 400 et 550 millions d’euros pourraient être mobilisés au cours du second semestre, notamment pour soutenir les nouvelles politiques structurelles, surtout dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’agriculture, et les principales réformes institutionnelles – et en premier lieu celles clés de la régionalisation avancée et de la protection sociale – visant une plus forte convergence économique et sociale des territoires. Par ailleurs, l’AFD mobilisera sa nouvelle filiale Expertise France pour adosser ces financements à une assistance technique dans la mise en œuvre de ces politiques publiques ainsi que sa filiale Proparco qui élèvera son niveau d’investissement auprès du secteur privé et notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Proparco a au début du mois d’avril opéré un investissement en faveur de Saham Pharma, acteur majeur de la production de médicaments et d’équipements médicaux.

 

L’après-Covid-19 changera-t-il le débat au Maroc sur le nouveau modèle de développement ?

Très certainement. En fait, votre débat sur le nouveau modèle de développement est justement celui de l’après-Covid et cela signifie tout simplement que vous avez engagé un débat national que bien d’autres pays ouvriront au cours des prochains mois. Nous vivons une crise qui est, en même temps, sanitaire, économique et écologique et au-delà politique. On peut en craindre les conséquences. Mais on peut aussi y voir une formidable opportunité pour accélérer des transformations structurelles et sociétales. Il est, en ce sens, évident que la demande citoyenne sera davantage celle d’une plus forte protection, sociale et environnementale. Il est aussi avéré que cette pandémie a un rapport avec la fragilisation de la biodiversité et le changement climatique. Et il est enfin souhaitable que la relance de l’économie internationale s’inscrive davantage dans des trajectoires d’économie décarbonée. 

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