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«La R&D doit devenir un devoir d’État, une priorité pour l’université, et une mission indispensable pour le chercheur»

«La R&D doit devenir un devoir d’État, une priorité pour l’université,  et une mission indispensable pour le chercheur»
Aziz A. Boucetta.

Carrière & Management : Tout d’abord, parlez-nous de ce qui a motivé cette étude ?
Aziz A. Boucetta : L’idée m’est venue après avoir vu et appris l’effort déployé par le Maroc pour faire face à la pandémie qui menaçait de le submerger, dans une conjoncture internationale de repli général sur soi. Le Royaume s’est alors mis en ordre de bataille pour fabriquer des masques, des respirateurs et, depuis peu, des tests de dépistage. Mais l’idée germait déjà avant la survenue du Covid-19, quand les chiffres des départs des jeunes étudiants, chercheurs, médecins commençaient à se préciser, effarants, effrayants. Quelle est donc cette raison qui conduit ces gens à quitter leur pays ? La réponse est simple : le manque de science, de reconnaissance et un avenir peu ou pas assuré.
Et puis le Covid est arrivé, et le Maroc a su montrer de réelles dispositions à se lancer dans des activités de R&D et les choses sont alors apparues au grand jour : les moyens sont là, et peuvent être mobilisés, de même que les organismes de recherche paraissent plus sensibles à l’importance, voire l’urgence d’une telle activité.

Les constats relevés par l’étude sont très éloquents. Quels sont, à votre avis, les leviers à activer pour redresser la situation ?
En un mot, l’humain. Sous ses différentes casquettes. La recherche nécessite des acteurs directs et indirects. Les premiers sont les chercheurs, et les chercheurs sont dans les universités, les instituts et centres, mais ils ne sont pas valorisés, pas encouragés, et surtout évoluent dans un environnement peu propice à la recherche. Cet environnement doit être revu et révisé par les acteurs indirects, en l’occurrence les décideurs, privés et publics.
Il manque au Maroc un organe centralisateur qui connaîtrait des problématiques essentielles à l’activité de R&D : valoriser l’humain par la formation et l’intéressement. Cela passe par la révision du statut du doctorant et du post-doctorant et cela passe également par la distinction entre les activités pédagogiques et celles ayant trait 
à la recherche.
Le privé doit à son tour trouver son intérêt dans la recherche, sa part actuelle dans ce domaine étant de 22% seulement, alors même qu’ailleurs il intervient dans de bien plus importantes proportions, allant jusqu’à 70% de la R&D nationale.

La R&D au Maroc, c’est 0,8% du PIB, contre 2,3% en moyenne pour les pays de l’OCDE. Le gap est significatif ! Comment réagir alors ?
Ainsi que je l’ai mentionné, la R&D est une activité principalement privée. Pour reprendre le chiffre que vous citez, sur les 2,3% du PIB dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le privé intervient à 69%, contre 22% chez nous. Il est donc évident que le secteur privé doit s’investir, et investir dans l’activité de recherche. Comment ? En le «déchargeant» de l’activité de recherche fondamentale, nécessaire et importante certes, mais peu porteuse financièrement. Cette partie doit être reprise en charge par l’État, et encore… car, elle est onéreuse, et doit être ciblée et orientée vers des secteurs porteurs.
Pour que le privé s’implique dans cette activité, il doit recevoir des incitations publiques, essentiellement fiscales, comme le crédit impôt, principal levier pour l’entreprise. Une fois cela acté, le secteur privé doit également occuper une place de choix dans l’organisme central qui devrait être créé prochainement. Nous avons bien vu que c’est grâce à la souplesse et à l’agilité des entreprises qu’elles ont su et pu adapter leur outil de production et fabriquer des masques en masse, puis des respirateurs, puis des tests au niveau de MAScIR, lui-même adossé 
au groupe OCP.
Enfin, le 0,8% que vous évoquez est en lui-même surévalué ; en effet, on y inclut les charges salariales, sociales, primes, frais de voyage… au final, seule une partie infime du montant correspondant à 0,8% est véritablement destinée à la recherche, et très exactement 1,7% !

Malgré cela, la crise sanitaire a révélé un bon potentiel. Comment capitaliser sur cette dynamique et consolider l’écosystème R&D au Maroc ?
Votre question nous conduit à parler des avantages comparatifs dont dispose le Maroc dans le domaine de la R&D. En dehors des États-Unis et de la Chine, et dans une moindre mesure l’Inde, le Royaume-Uni et l’Allemagne, aucun pays ne peut toucher à toutes les niches de recherche. Trop coûteux et trop incertain. Les pays comme le Maroc doivent donc identifier les secteurs prioritaires, ou ceux où ils disposent d’une avance ou d’un avantage comparativement aux autres. Ces secteurs, au Maroc, sont la santé, l’industrie pharmaceutique, l’agriculture, qui permet au Maroc d’avoir une position avantageuse et avantagée, avec des plantes comme l’arganier ou le kif, lesquels offrent des opportunités d’investissement et de création de richesses dans leurs applications pharmaceutiques et curatives.
Le Maroc est également en avance sur les recherches concernant l’apiculture, l’apithérapie… Et en matière d’industrie pharmaceutique, et malgré le dernier rapport du Conseil de la concurrence, les unités industrielles de ce secteur sont en avantage dans plusieurs créneaux, dont la recherche galénique. Mais là encore, la volonté politique doit être au rendez-vous, par la décision d’investir des créneaux jusque-là délaissés (les usages pharmaceutiques et industriels du chanvre du Rif), par la décision d’ancrer véritablement et réellement le concept de préférence nationale pour les produits mis au point et fabriqués au Maroc dans le domaine pharmaceutique. Et bien, entendu, nous avons parlé de l’avantage de créer un crédit d’impôt pour les entreprises qui investissent dans la recherche.

Le partenariat public/privé (PPP), promu depuis une dizaine d’années pour booster l’innovation, tarde à se concrétiser. Pourquoi à votre avis et quelles solutions ?
La loi sur le PPP est passée, et ses décrets d’application en grande partie aussi. Mais il reste à convaincre les entreprises de s’engager dans l’activité de R&D. Pour l’instant, en dehors du groupe OCP, avec l’Université 
Mohammed VI Polytechnique, et dans une moindre mesure HPS, rares sont les entreprises qui ont développé une véritable activité R&D. Il y a, bien évidemment, le cas de MAScIR également. Nous avons aussi l’Université d’Al Akhawayne, dont le mode de gestion s’inscrit dans la logique du privé et qui, dans son École d’ingénierie, travaille considérablement avec le secteur privé.
Mais pour imprimer un rythme véritable aux PPP, il importe que l’État s’engage dans une véritable réflexion, puis action, dans ce créneau. Et pour cela, seule la volonté politique doit primer, aux fins de laisser les experts et spécialistes dessiner les contours de la future R&D mutualisée entre privé et public. Les chercheurs se connaissent, se comprennent et se complètent, mais une muraille statutaire se dresse encore et toujours entre eux.
Dernière chose, les PPP passent au travers de montages financiers, comme dans les pays anglo-saxons, où des startups sont créées en commun par le public et le privé, avec intéressement des chercheurs auxquels on remet souvent leur part en numéraire, afin qu’ils soient partie prenante financière dans leurs propres recherches.
Vous avez identifié trois acteurs pour concevoir la R&D de demain : État-Université-Enseignant-chercheur. Comment créer une synergie entre ces acteurs pour accélérer les actions ?

Encore une fois, il s’agit d’abord et avant tout de l’humain, mais vous avez oublié de mentionner le privé, qui est ou devrait être le véritable moteur de la R&D. Il ne faut plus parler d’enseignant-chercheur, mais d’enseignant et de chercheur, car ce sont deux activités différentes, qui peuvent, certes, se confondre, mais qui, idéalement, doivent rester distinctes.
La recherche est une activité à plein temps. Y ajouter l’enseignement la viderait de sa substance car la pédagogie, bien menée, est une activité à plein temps. Un chercheur doit se consacrer à sa recherche, comme en terres anglo-saxonnes : identifier son projet, en dessiner les contours et les limites, trouver des financements et des collaborateurs ou des experts dans le domaine choisi, avoir une idée des débouchés et applications futures des résultats de la recherche. Il peut intégrer des étudiants dans ses laboratoires, mais ce ne sont plus vraiment des étudiants mais des jeunes chercheurs doctorants.
Enfin, l’État doit changer sa manière de procéder, en assurant une réelle évaluation des travaux de recherche, en aval, et non en amont. Aujourd’hui, pour tout investissement ou achat, le chercheur doit convaincre des responsables avant tout gestionnaires, des contrôleurs financiers à mille lieues de l’activité de R&D. évaluer en fin de parcours est la solution préconisée par tous.
En somme, c’est une synergie véritable à mettre en œuvre et, pour ce faire, ce sont les logiciels de tout le monde qui doivent être changés : ceux de l’État en investissant, en facilitant et en modifiant ses modes de contrôles de gestion, l’université en se dotant des moyens administratifs, puis financiers, et enfin techniques pour attirer et maintenir des chercheurs dans ses rangs, et l’enseignant-chercheur, qui doit décider s’il est enseignant ou chercheur, celui-ci étant plus à même de distinguer celles et ceux qui, parmi ses étudiant(e)s, sont aptes à exercer une véritable activité de recherche. En quelques mots, la R&D doit devenir un devoir d’État, une priorité pour l’université, et une mission indispensable pour le chercheur. 

Covid-19, accélérateur de la recherche scientifique

Conscient de l’importance majeure de la recherche pour faire face à la crise que nous traversons actuellement, le département de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique a annoncé, le 9 avril dernier, l’adoption d’un programme de soutien à la recherche scientifique multidisciplinaire dans les domaines liés au Covid-19, pour lequel une enveloppe budgétaire de 10 millions de DH a été allouée. Ce programme vise à mobiliser sur le long terme des équipes de chercheurs marocains pour créer un environnement de recherche multidisciplinaire capable de trouver des solutions et de contribuer à la gestion de crises pandémiques et vise, sur le court terme, à réaliser des projets de recherche dans les divers domaines liés à la pandémie du coronavirus. Ces projets de recherche devaient porter sur l’aspect technologique, à travers la conception et la production d’équipements médicaux, l’aspect économique par l’analyse de l’impact de l’épidémie sur divers secteurs de l’économie nationale.
La première phase du programme s’est soldée par le financement de 53 projets, dont 60% concernent les domaines scientifique, médical et technologique, lesquels ont obtenu 69% du financement, 25% portent sur les sciences économiques et politiques, ayant bénéficié de 19% du financement, et 15% sont consacrés aux sciences humaines et sociales, ayant obtenus une quote-part de financement égale à 12%. Une deuxième phase a été lancée par la suite, permettant le financement de 88 projets de recherche scientifique, dont 70% concernent les domaines scientifique, médical et technologique, 20% concernent les sciences économiques et politiques et 10% sont consacrés aux sciences humaines et sociales.

Propos recueillis par Souad Badri

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