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La ré-ingénierie pédagogique et la culture du numérique pour former autrement

Acculé par la crise, le monde de la formation au Maroc a dû opérer un changement brusque et substantiel dans ses pratiques et modes de fonctionnement. Cette transformation, que l’on repoussait sans cesse à plus tard, s’est finalement révélée bienheureuse de l’avis de plusieurs acteurs du secteur. Mais qu’en est-il de l’après Covid-19 ? La formation va-t-elle continuer sur cette nouvelle voie et saisir l’opportunité offerte ? Quel sera son nouveau visage ?

La ré-ingénierie pédagogique et la culture du numérique  pour former autrement

Les acteurs de la formation ont été pour la plupart pris de court par la crise sanitaire liée au Covid-19, et le passage du présentiel au distanciel n’a pas été pour eux une promenade de santé. Car, si certains d’entre eux étaient déjà engagés dans une stratégie de digitalisation de la formation, et donc plus prompts à opérer le changement, d’autres ont eu plus de mal à se plier aux nouvelles exigences de cette phase, et encore moins à se préparer aux prochains défis de la formation qui sont principalement d’ordre digital, mais pas uniquement. 

La ré-ingénierie pédagogique, un passage obligé

«Les opérateurs de la formation ont été brusquement obligés de reconsidérer leurs modes opératoires et leurs offres de formation en procédant à des changements agiles pour garantir la continuité pédagogique», a confirmé Mohamed 

El Kharmoudi, directeur des Affaires administratives et générales au ministère de l’Économie, des finances et de la réforme de l’Administration.

Intervenant lors d’un webinaire organisé jeudi dernier par le ministère sur la question de la formation dans le Maroc de l’après Covid-19, le responsable a relevé que les enjeux de la reprise et les stratégies de la relance économique imposent l’adoption d’une approche de développement des compétences liées à la transformation des métiers. À ce titre, a-t-il ajouté, l’ingénierie de la formation devra répondre à ces exigences pour accompagner l’émergence de nouveaux métiers et la reconversion due à la disparition d’autres.

«La capacité à construire aujourd’hui des ingénieries pédagogiques adaptées est la clé de la réussite de demain», a abondé dans le même sens Emmanuelle Hay, chef de projet numérique au Centre national de la fonction publique territoriale (France). Pour elle, ça serait une erreur de vouloir faire du présentiel à distance. «Le distanciel est la capacité de pouvoir 

dispenser des savoirs et des connaissances à travers des ressources qui sont sous de nouvelles formes. C’est aussi la capacité à pouvoir créer de l’interaction et de la dynamique du groupe. Mais c’est aussi la capacité à faire produire en groupe des apprenants qui sont sur un dispositif distanciel».

Pour ce faire, il faut rompre avec les outils pédagogiques classiques comme l’a souligné Rachid Melliani, directeur général de l’École nationale supérieure de l’administration, mettant en avant la nécessité d’opérer une véritable rénovation pédagogique. «Celle-ci doit prendre trois directions : la rénovation des méthodes, la prise d’option sur le numérique et par la suite la massification de notre écosystème national de la formation supérieure», a-t-il précisé.

Présentiel ou distanciel ?

La pédagogie à distance est totalement différente de la pédagogie en présentiel et c’est un aspect sur lequel il faudra se pencher sérieusement pour réussir la formation du futur. «C’est un volet qu’il faudra améliorer à travers l’accompagnement des enseignants dans le développement de leurs compétences en formation à distance. Il faudra également adapter les programmes et les outils pédagogiques et d’évaluation à distance», a observé Mohamed Abdellaoui, vice-président de l’Université Internationale de Rabat (UIR).

Mais penser que la formation de demain sera totalement dispensée en distanciel serait une erreur, s’accordent à dire nos experts. «Cette crise est une opportunité historique pour un pays tel que le nôtre pour développer un nouveau mode d’enseignement et de formation. Je pense que demain nous allons nous orienter vers une solution hybride : le Blended Learning», a assuré M. Abdellaoui.

«Tout le monde est d’accord sur le fait que le 100% e-learning n’a pas marché», a confirmé de son côté Abderrazaq Mihamou, directeur général du Cabinet MOR2C, qui pense qu’un mix entre le présentiel et le distanciel sera privilégié.

Rachid Melliani pense aussi qu’il faut absolument préserver le côté présentiel de la formation dans l’avenir. « Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : nous sommes en train d’interpeller notre modèle économique et social pour le centrer sur l’humain, et en même temps nous poussons, à travers le distanciel, vers moins de proximité qui est pourtant indispensable, car on ne peut former sans l’intégration de cette dimension humaine», a-t-il déploré.

Par ailleurs, faut-il le souligner, donner à la formation de demain un visage uniquement digitalisé serait très réductible. 

Certes, la formation de demain «sera une formation qui va (enfin) utiliser les technologies de l’information», comme l’a noté avec satisfaction M. Abdellaoui, mais reste que «Le digital n’est pas un résultat, mais juste un moyen pour atteindre un résultat», comme indiqué par M. El Kharmoudi. «Le passage au numérique n’est pas seulement l’implémentation de nouvelles technologies digitales. C’est aussi l’instauration d’une culture digitale, l’accompagnement de ses acteurs et le renforcement de leurs compétences», a-t-il fait remarquer. Et d’ajouter que «la transformation digitale de la formation suppose une transformation profonde des processus et des métiers. Aujourd’hui, pour tirer profit de cette crise, nous avons surtout besoin de ressources humaines et de managers capables de produire de nouvelles idées qui vont marquer une rupture avec une ancienne façon de faire», a-t-il renchéri.

Quid de la formation continue ? 

La formation continue n’a pas échappé à la crise et n’échappera pas non plus à toutes ces transformations qui se profilent à l’horizon. «Il y a à peine quelques mois, il était impossible de proposer à une institution, qu’elle soit publique ou privée, une formation continue à distance ou en e-learning. Aujourd’hui, on nous sollicite dans ce sens», a fait savoir le vice-président de l’UIR.

«C’est tout le business model qu’il a fallu revoir», a signalé de son côté Hamid El Otmani, directeur général du Cabinet LMS ORH. «Cela fait quelques années que nous étions engagés dans une démarche de digitalisation et cette crise nous a permis d’aller plus vite et de découvrir beaucoup d’agilité au sein de nos équipes», a-t-il déclaré.

L’expert et ses équipes se sont vite rendu compte que la production de la formation sur-mesure est un travail complexe et lourd. Le cabinet a dû se tourner vers des professionnels de la production de contenus et a réussi à créer un écosystème au sein de ses équipes pour gérer cette production. Il a également fait recours à différents éditeurs internationaux avec lesquels il a conclu 34 conventions de partenariat grâce auxquelles il a pu accéder à pas moins de 15.000 contenus de formation couvrant 5 grands domaines liés essentiellement aux compétences techniques, au leadership, au télétravail, à la bureautique et aux langues.

«Nous sommes aujourd’hui capables de construire pour nos clients un plan de formation sur étagère et immédiatement accessible», s’est-il réjoui. 

------------------------------------Ils ont dit...----------------------------------

Mohamed El Kharmoudi, directeur des Affaires administratives et générales au ministère de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration.

«La transformation digitale de la formation, et l’appropriation de manière plus générale et plus élargie de nouveaux modes de formation est une fin en soi et cette pandémie n’a fait qu’en accélérer la cadence. Le monde de l’innovation et la révolution numérique conditionnent notre vie et nous oblige, quel que soit notre secteur d’activité, à nous conformer à nos évolutions rapides et à nous adapter à notre nouvel environnement façonné par ces nouvelles technologies en proposant des produits et services digitaux. L’adoption d’un nouveau mode de formation à travers la mise en œuvre de nouvelles formations en ligne ou l’organisation de classes virtuelles en remplacement d’une formation en présentiel ne saurait atteindre l’objectif de performance si elle n’est pas accompagnée d’une stratégie d’adhésion des apprenants et des formateurs à cette évolution technologique et d’une gestion moderne et participative à tous les niveaux. Avec la crise du 

Covi-19, le développement des compétences a pris une nouvelle dimension : il nous est demandé d’être de plus en plus innovants en matière pédagogique et technologique et faire preuve d’agilité et d’ingéniosité. Les défis sont nombreux et je n’en citerais que deux : les freins au développement d’une culture du numérique et la maîtrise de nouvelles modalités pédagogiques spécifiques au distanciel.»

Mohamed Abdellaoui, vice-président de l’Université Internationale de Rabat (UIR)

«Le monde de l’Enseignement et de la formation est un monde extrêmement conservateur et difficile à faire bouger. Mais ce que nous a apporté cette crise est juste exceptionnel. À l’IUR, en moins de 15 jours, nous avons réussi à convertir la totalité de nos enseignements à distance. Cela fait trois ans que nous avons inscrit la formation à distance, le e-learning et tout ce qui se rapporte au digital dans notre plan stratégique quinquennal et nous n’avons fait bouger que très peu les choses dans ce sens. Des fois, il faut bousculer les habitudes sachant que toute période de changement est une période porteuse d’angoisse, mais aussi porteuse d’espoir. Cette jeune génération est plus agile et on s’est rendu compte que nos étudiants ont préféré cette option de formation à distance : nous avons enregistré des taux de présence et de satisfaction plus élevés, et même les enseignants qui étaient frileux au départ ont vite apprécié le dispositif !»

Rachid Melliani, directeur général de l’École nationale supérieure de l’administration

«Dans les politiques de développement et les stratégies qui vont arriver par la suite, notre pays est appelé à intégrer la formation de manière fondamentale dans la matrice globale. Tout simplement parce que l’humain reste un élément distinctif de la rénovation. Et la transformation du monde du travail ainsi que l’évolution des pratiques professionnelles entraînent des changements profonds et exigent qu’on travaille sur l’émergence d’un certain nombre de compétences nouvelles et des métiers nouveaux. Les prestataires de la formation auront donc un rôle central à jouer pour développer une offre adaptée aux nouveaux enjeux de la reprise et d’éventuelles réorientations et ré-adressage des politiques publiques. Ils devront faire montre d’une capacité à innover en matière d’ingénierie pédagogique et rompre avec les outils classiques.»

Abderrazaq Mihamou, directeur général du Cabinet MOR2C

«Cette pandémie a été une aubaine parce qu’elle nous a permis d’accélérer le processus et aussi de l’humaniser. Le virus a brisé les résistances au changement, notamment chez les formateurs qui étaient beaucoup plus réticents à intégrer leurs contenus sur des plateformes digitales. Dorénavant, le formateur va devoir intégrer de nouvelles compétences à son métier de base car il va devenir en plus scénariste, producteur et fournisseur de contenus. Le métier de formateur aujourd’hui s’est complètement métamorphosé. De manière globale, le travail qui doit se faire actuellement devrait l’être à trois niveaux : les organismes donneurs d’ordre doivent être conscients de la nécessité de passer au digital à distance et en présentiel, les formateurs «ancienne école» qui n’ont pas cru aux plateformes e-learning doivent de leur côté adapter leurs cours à cette nouvelle forme de formation et se convertir au digital intelligent, alors que les bénéficiaires doivent avoir accès à des connexions fluides pour pouvoir suivre des formations en temps réel.»

 

 

 

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