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Le Soufisme patrimoine de l’humanité

Le Soufisme patrimoine  de l’humanité

Le patrimoine culturel et spirituel vivant du Soufisme est d’une diversité et d’une richesse dont on peut difficilement rendre compte aujourd’hui. Ce patrimoine est poétique, littéraire,  artistique. Il s’exprime dans des centaines de langues et a profondément marqué depuis des siècles différentes sociétés, leurs arts et modes de vie. Il est pourtant rare d’appréhender le Soufisme, qui est avant tout une voie et une pratique spirituelle, dans sa dimension culturelle en tant que patrimoine universel de notre humanité.
Quelle est la place, la présence, de grands auteurs du Soufisme tels qu’Ibn Arabi, Rumi, ou Al Jili dans notre monde d’aujourd’hui ? Celle encore d’auteurs et penseurs contemporains – tel Mohammed Iqbal – imbibés de l’enseignement de ces grands maîtres et de leurs apports actuels pour penser ou repenser le spirituel ? La présence, l’influence, des femmes depuis Rabia jusqu’à nos jours au sein de cette culture ? Celle de la poésie – d’une incroyable profondeur et richesse – qui s’exprime aussi bien dans des traditions classiques que populaires, issue de cette inspiration soufie, poésie ensuite chantée dans les cercles du Samaa ?
La prise de conscience de la réalité de cette matrice culturelle, du lien transversal qu’elle établit de fait entre plusieurs aspects, à travers le temps et l’espace, de ces enseignements, confréries et patrimoines du soufisme, est un réel enjeu de société. Cette matrice est un paradigme de civilisation. Celui par lequel peuvent s’élaborer des valeurs qui sans se vouloir hégémoniques sont néanmoins universelles. Celui par lequel on appréhende comme un enrichissement réel, dans notre monde d’aujourd’hui, la diversité des cultures et des religions. Un paradigme par lequel on peut mieux saisir les racines spirituelles des crises de notre temps. Celui enfin qui peut ouvrir la possibilité au cœur même de notre quotidien, dans un monde et parmi une jeunesse de plus en plus déboussolés, d’appréhender un chemin de vie, porteur de sens.
Allier quête de beauté et action sociale c’est le projet même de cette chevalerie spirituelle appelée «futuwwa» qui signifie que dans le monde de l’entreprise sociale ou économique, comme dans celui de la politique, on a besoin à la fois du corps et de l’esprit ; de l’action extérieure et des valeurs qui l’inspirent et la sous-tendent. Et ceci est aussi vrai à une échelle individuelle que collective. Dans le soufisme le terme de «futuwwa» renvoie à l’idée d’excellence ou noblesse du comportement (makârim al akhlâq). Dans un hadîth, le Prophète (que la Paix et le Salut l’accompagnent ) dit : «J’ai été envoyé afin de parfaire la noblesse du comportement (ou des mœurs)».

C’est ainsi que l’on rapporte qu’au moment de la révélation du verset coranique : «Pratique le pardon, ordonne le bien et écarte toi des ignorants» (12/199), l’Archange Gabriel est venu trouver le Prophète (PSL) et lui a dit : «Ô Muhammed, je t’ai apporté l’excellence du comportement (...) elle consiste en ce que tu pardonnes à celui qui a été injuste envers toi, que tu donnes à celui qui te refuse son don, que tu rendes visite à celui qui s’est détourné, que tu t’écartes de celui qui fait preuve d’incompréhension à ton égard, et que tu pratiques le bien envers celui qui agit envers toi par le mal». 
Il s’agit certes là d’un modèle quasiment hors de portée mais qui sert cependant de cap et de boussole. Ce qu’il nous faut relever ici est  qu’il s’inscrit à l’inverse de la loi des échanges ordinaires. Il ne ne vient pas cependant abolir celle-ci mais l’ouvrir sur la possibilité  d’un dépassement, d’une transcendance. Ses vertus cardinales sont la compassion, la bienveillance et la générosité. Il y a une acception socio-historique de la futuwwa sur laquelle se sont fondées les corporations de métiers qui ont proliféré avec un bonheur et un talent exceptionnels dans toutes les cultures de l’Islam.

Serait-il possible aujourd’hui d’imaginer une nouvelle forme d’économie basée sur ces mêmes valeurs ? Le développement d’une société a une dimension certes quantitative, mais aussi une dimension qualitative encore plus essentielle bien que souvent occultée. Chaque société, chaque civilisation, porte en elle le patrimoine d’une richesse immatérielle, plus ou moins vivant, développé, investi. Au Maroc ce patrimoine s’est nourri de la culture spirituelle du soufisme. C’est elle qui en constitue la source d’inspiration et de créativité. Elle constitue aussi la matrice à partir de laquelle peut se produire la dynamique d’une intelligence et d’une culture collectives. La présence et l’importance de ces dimensions intangibles et immatérielles sont telles que l’on peut parler, dans ce cas d’une civilisation intérieure. Elle s’exprime évidemment aussi en signes tangibles. 
Ainsi en est-il de l’art et de la poésie qui ont une fonction littéraire et culturelle, mais aussi politique et sociale. La quête de la beauté rejoint l’art et la qualité du vivre au quotidien. L’action politique de plus en plus triviale peut être hissée au niveau où l’esprit, son versant invisible, prend toute sa place dans une politique capable de créer un ré-enchantement de l’action , une «poétique» de civilisation.
C’est cet esprit de «chevalerie» ( futuwwa)  qui a présidé à l’association, chez les artisans et les corps de métier, entre travail, éthique et valeurs spirituelles. Le travail où l’action en général n’est alors que la «monture» qui est dirigée par l’esprit, qui en oriente le sens et la finalité. Le travail est certes alimentaire, mais il n’est jamais «que cela». C’est aussi l’un des vecteurs du développement de notre humanité et de son accomplissement.
La question est de trouver les outils nécessaires pour que cette philosophie d’action puisse être mise en œuvre au cœur même de nos entreprises contemporaines. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons œuvrer d’une façon concrète au changement de paradigme auquel nous aspirons. Celui d’une orientation politique, économique et sociale qui s’enracine dans un humanisme spirituel. 

PAR FOUZI SKALI

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