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Télétravail : les nouveaux rôles des managers et responsables RH

Depuis le début de la pandémie du Covid-19 et la mise en place de mesures pour contrer sa propagation, le télétravail a fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il s’agit d’une pratique qui est loin d’être nouvelle et qui, sous d’autres cieux, fait partie de l’ordre naturel des pratiques de travail depuis de nombreuses décennies.

Télétravail : les nouveaux rôles des managers et responsables RH
Selon des études récentes, 70% des tâches de l’entreprise ne sont pas susceptibles d’être assurés à distance.                                                    ttt  Ph. Shutterstock

Partie 1 : Le télétravail, des avantages, mais pas mal d’inconvénients à gérer

Depuis le début de la pandémie de Covid-19 et la mise en place des mesures pour contrer sa propagation, le télétravail a fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il s’agit d’une pratique qui est loin d’être nouvelle et qui, sous d’autres cieux, fait partie de l’ordre naturel des pratiques de travail depuis de nombreuses décennies. D’aucuns font même remonter ses racines à des temps immémoriaux quand les marchands confiaient du travail à faire aux artisans, souvent aussi paysans, à domicile. Il est vrai que, par la suite, cette relation entre le marchand et ceux à qui il confiait le travail a revêtu une multiplicité de formes variables en fonction de critères de plus en plus nombreux et complexes qu’on ne cesse, jusqu’à aujourd’hui, de discuter. Ainsi, qualifiée parfois de sous-traitance, de prestation de services, d’impartition, de relation fournisseur-client, etc., cette pratique s’est complexifiée et la ligne de démarcation entre ses formes n’est pas toujours aisée à tracer. Elle soulève souvent des questions juridiques, sociales, économiques et managériales. En effet, ce qui est considéré par l’entreprise comme prestation de services par un auto-entrepreneur ou un professionnel externe, pourrait faire l’objet d’une redéfinition par l’administration fiscale ou par la CNSS en tant que télétravail nécessitant la prise en charge de charges sociales et fiscales en sus des honoraires déjà versées.

1.Le télétravail, une panacée ?

Par-delà cet imbroglio juridique et technique, le télétravail est souvent présenté depuis l’apparition de la pandémie et son corolaire, le confinement, comme la panacée qui va assurer la continuité de l’activité économique de nombre d’entreprises. Les premières expériences de plusieurs d’entre elles ont été tellement positives que l’abandon du télétravail dans l’après-Covid-19 parait impossible. Outsourcia par exemple dont plus de 90% des employés travaillent déjà à partir de chez eux, vient de décider l’adoption indéfiniment du télétravail[1].

Il faut reconnaitre que ce succès et les espoirs qu’il motive auprès des managers et gestionnaires des ressources humaines ne sont pas nés ex-nihilo. En effet, de nombreux avantages sont associés au télétravail. Ils sont régulièrement rappelés à la satiété par la presse économique et les consultants à telle enseigne qu’il serait malvenu de les régurgiter en détail encore une fois dans cette contribution. Contentons-nous d’en citer les plus évidents : gain de productivité, gain du temps dû à la suppression des déplacements et du stress lié à la circulation, au stationnement, à l’encombrement des moyens de transport public, la possibilité de s’occuper de ses enfants tout en travaillant, épargne des frais de déplacement, etc.

Notre objectif dans cette contribution n’est certainement pas de renier tous ces avantages ni, au contraire, de les glorifier à outrance. Il est seulement de partager avec le lecteur notre réflexion sur certains inconvénients du télétravail sur lesquels nous aimerions attirer l’attention des managers et responsables des ressources humaines. Le télétravail est appelé en effet à perdurer d’autant plus que de nombreux employés se sont tellement habitués à ce mode de travail qu’ils auraient du mal à accepter un retour à la situation d’avant la pandémie et le confinement.

2.L’autre visage du télétravail

Malheureusement, le télétravail n’a pas que des avantages. De nombreux inconvénients en limitent l’efficacité et doivent être identifiés et gérés aussi bien par les télétravailleurs eux-mêmes que par les managers et gestionnaires des ressources humaines. La liste suivante ne prétend pas à l’exclusivité. Nous invitons les lecteurs à la compléter en nous faisant part de leurs commentaires et suggestions à ce sujet.

a) Le télétravail, pas pour tout le monde ni pour toutes les tâches

Certaines études récentes avancent que plus de 70% des tâches de l’entreprise ne sont pas susceptibles d’être assurées à distance. Bien entendu, il s’agit d’une moyenne qui cache bien des disparités sectorielles et entre entreprises. En effet, l’on peut mal imaginer une boulangerie recourir au télétravail sauf peut-être pour la tenue de sa comptabilité et d’autres tâches administratives. De même, ce ne sont pas toutes les personnes qui peuvent et veulent travailler à partir de chez elles. La boutade d’un ingénieur mécanique est très édifiante à cet égard. « Je n’ai pas fait toutes ces études pour rester [travailler à partir de] chez moi. » En effet, de nombreux employés sont des membres d’orchestres (ou des êtres grégaires) qui ne peuvent travailler que quand ils sont, physiquement, avec d’autres membres de leur équipe. Mettez-les hors de leur équipe et ils se perdent complétement.

Il s’agit pour les managers et gestionnaires des ressources humaines d’inventorier les tâches de leurs entreprises susceptibles d’être assurées à distance. De même, ils devront profiler leurs employés et collaborateurs en fonction de leur disposition et capacité à travailler à domicile. Bien entendu, s’il s’agit de conditions nécessaires, elles sont loin d’être suffisantes. Encore faudra-t-il mettre en place tout un protocole de télétravail indiquant comment fixer les objectifs, comment suivre la performance des télétravailleurs et comment parer aux autres inconvénients exposés ci-après. La CGEM a récemment publié un kit de télétravail[2] qui pourrait s’avérer utile à cet égard.

b) Difficultés techniques et logistiques du télétravail

L’on ne peut pas commencer, du jour au lendemain à travailler à partir de chez soi. De nombreux employés ne disposent pas d’un espace de travail équipé pour ce faire. Par « équipé », l’esprit pense automatiquement à « ordinateur », « connexion Internet », etc. Or, il s’agit en plus d’un espace physique permettant de travailler isolément du reste de la maisonnée dans de bonnes conditions d’insonorisation, d’éclairage et d’aération. Cela peut paraître évident pour nombre de lecteurs et aussi de managers et de gestionnaires de ressources humaines. Croyez-moi, c’est loin d’être le cas de nombreux employés.

Il est intéressant de suivre un débat actuellement en cours dans certains pays, comme le Canada, où des télétravailleurs et des syndicats appellent les entreprises qui recourent au télétravail à payer un loyer à leurs employés correspondant à l’espace que ces derniers utilisent dans leur domicile pour effectuer le travail pour le compte de l’entreprise. Leur argument est que les entreprises concernées réduisent leurs coûts d’exploitation internes en recourant au télétravail : occupation d’espace, utilisation d’électricité, frais de connexion Internet, etc. Comme une partie de ces coûts est supportée par le télétravailleur, il est alors tout à fait logique que l’entreprise contribue à la prise en charge de ces coûts.

c) Evaluation de la performance basée presque exclusivement sur les résultats et trop peu sur l’implication et les efforts

En entreprise, l’évaluation de la performance des employés prend en considération de nombreux critères qui vont bien au-delà des seuls résultats du travail effectué : intégration et synergie du groupe, polyvalence, savoir-être, ponctualité et assiduité, discipline, etc. Dans le contexte du télétravail, plusieurs de ces critères perdent de leur pertinence et l’évaluation du travail tend à se faire exclusivement ou presque sur la base des résultats. Comme on dit si bien en parlant de certains joueurs du foot : « Ils ne marquent pas, mais ils font marquer. Ils donnent à leurs coéquipiers des passes décisives. » Par analogie, certains employés ne donnent pas directement les résultats attendus, mais en tant que membres d’une équipe, ils aident leurs collègues à réaliser les leurs pour le bien de toute l’entreprise.

En conséquence, les managers et gestionnaires des ressources humaines devront imaginer des modes d’évaluation de la performance qui prennent en considération d’autres critères comme la collaboration virtuelle au sein d’équipes de travail, les propositions présentées par le télétravailleur, les efforts fournis, etc.

d) Perte ou relâchement du sens d’appartenance à l’entreprise et à sa culture

« Loin des yeux, loin du cœur » dit l’adage. Le côtoiement tous les jours des collègues de travail, l’arpentage des couloirs de l’entreprise, la fréquentation de sa cafétéria ou de son espace-café, etc. contribuent à créer des liens invisibles, mais ô combien solides et indéfectibles entre l’employé et l’entreprise. Ainsi, un sens d’appartenance prend naissance et se développe à mesure que le temps passe, sens qui répond à un besoin important de l’employé que Maslow (voir figure) a classé au troisième étage de sa pyramide, juste après les besoins physiologiques et de sécurité. Eloigner physiquement l’employé de l’entreprise et ce lien se défait et se relâche progressivement entrainant dans son affaiblissement, l’engagement de l’employé. À la longue, ce qui retiendrait l’employé à l’entreprise se réduirait au salaire qu’elle lui verse et il lui serait facile de la quitter si un autre employeur lui versait un meilleur salaire.

Les managers et gestionnaires des ressources humaines auraient intérêt à prendre les mesures appropriées pour contrebalancer ce relâchement : réceptions collectives, sorties en groupes (quand cela est possible), appels en visio-conférences, etc. Certaines entreprises ont désigné leur espace de travail virtuel de manière que lorsque le télétravailleur ouvre son ordinateur, il voit exactement ce qu’il a l’habitude de voir quand il rentre physiquement dans les locaux de l’entreprise, il prend virtuellement le même couloir qui mène à son bureau ou à son espace de travail, les portes des bureaux de ses collègues déjà connectés sont ouvertes et il peut les saluer, ceux qui arrivent après lui passent également devant son bureau et le saluent à leur tour, etc.

e) Motivation, engagement et santé des télétravailleurs

Nous avons vu que l’éloignement physique des télétravailleurs par rapport à leurs entreprises affecte leur sens d’appartenance qui est, lui-même, une source de leur motivation et de leur engagement. En outre, ce que nous savons déjà des entrepreneurs à domicile nous suggère que les télétravailleurs risqueraient de souffrir de troubles psychiques et émotifs importants du fait de leur « confinement » prolongé.

Les managers et gestionnaires des ressources humaines devront mettre en place des programmes de « reconnaissance au travail » permettant de motiver, sur une base régulière, les télétravailleurs. Le programme de base de reconnaissance connu sous le nom de « reconnaissance sociale » consiste en mesures très simples et souvent gratuites comme : dire « Merci », envoyer un mémo personnalisé aux employés pour les féliciter ou leur souhaiter un joyeux anniversaire à eux ou aux membres de leurs familles, etc. Des niveaux plus formels de la reconnaissance au travail permettent de motiver et d’engager davantage les employés. Nous consacrerons une note entière à la reconnaissance au travail dans l’une de nos contributions à venir. 

f) Immersion trop rapide dans le travail

En temps normal, pour se rendre à son travail, l’employé suit un parcours souvent ritualisé et routinier : il se réveille, prend sa douche et son petit déjeuner (pas nécessairement dans cet ordre), s’habille et sort de chez lui. Il rencontre peut-être des voisons et bavarde avec eux avant de prendre son moyen de transport habituel (vélo, voiture, tram, …). Sur le trajet, il jette un coup d’œil à ses messages, observe discrètement son voisin dans le tram qui parle au téléphone ou lit son journal si le tram n’est pas bandé. Son attention est attirée par l’accrochage de deux voitures au coin de la rue. Etc. Bref, quand il arrive enfin aux locaux de l’entreprise, il a fait inconsciemment des acquisitions sensorielles plus ou moins importantes qui, malgré leur trivialité, lui donnent des éléments de discussion durant sa pause-café avec ses collègues de travail. Cette période-tampon dont plusieurs employés aimeraient bien se débarrasser, permet en fait de faire une immersion en douceur dans le milieu de travail. A son arrivée à l’entreprise, l’employé s’est préparé psychiquement à plonger dans ses dossiers ou à exécuter ses tâches quotidiennes.

Dans le contexte du télétravail, il est fait fi de cette délicatesse et de ces acquisitions sensorielles qui amortissent le contact avec le travail. C’est comme le plongeur amateur qui, après une plongée profonde, remonte rapidement en surface sans observer les paliers pour permettre à son corps de s’adapter. Plusieurs de ces plongeurs y ont laissé la vie. En effet, la dilatation des gaz causée par une remontée rapide crée des bulles dans le sang qui peuvent causer la mort[1].   

g) Abolition des frontières entre lieu de travail et « chez soi »

Il s’agit en fait d’un inconvénient identifié et connu depuis déjà longtemps dans le contexte des entreprises à domicile (les fameux SOHOs). En effet, la plupart de ceux qui travaillent à partir de chez eux souffrent justement d’une confusion souvent totale entre « être chez soi » et « travailler à partir de chez soi ». Aucune frontière physique ou psychologique ne sépare leur lieu de travail de leur domicile, ni leur temps professionnel de celui qu’ils doivent allouer à leur famille. Même pour les autres membres de la famille, le télétravailleur est à la maison et peut être sollicité à tout moment pour les besoins courants de la famille. Certains amis et parents peuvent même se permettre de s’inviter à la maison durant les horaires habituels du travail et pourraient mal comprendre que le télétravailleur ne puisse pas les recevoir ou leur donner de son temps. N’est-il pas à la maison ?

De même, la présence en permanence à la maison crée trop de proximité (too much togetherness), source de tensions familiales susceptibles de mener à la dislocation de la famille ou à des états émotifs délétères.  

Heureusement et comme il s’agit d’un inconvénient identifié depuis longtemps, de nombreuses mesures existent pour l’atténuer : séparation physique du lieu de travail, création d’événements permettant au télétravailleur de retrouver physiquement ses collègues de travail à l’extérieur de la maison, briefing des membres de la famille, fixation d’horaires de télétravail précis que les membres de la famille doivent impérativement respecter, etc. Il est vrai qu’il est difficile de respecter et de faire respecter cette séparation à domicile entre vie professionnelle et vie familiale. Néanmoins, les managers et gestionnaires des ressources humaines devraient aider les télétravailleurs à s’autodiscipliner à travers des formations spéciales et des mesures de coaching et d’encadrement éprouvées.

 

[1] https://www.h24info.ma/economie/entreprises/une-premiere-au-maroc-le-groupe-outsourcia-adopte-definitivement-le-teletravail/

[2] https://coronavirus.cgem.ma/kit-de-teletravail/

[3] http://www.linternaute.com/science/biologie/pourquoi/06/plongee/plongee.shtml

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