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«Il est temps pour nos décideurs de comprendre que la culture n’est pas un secteur, mais une dimension fondamentale de notre société»

Le vice-président de la Fédération des industries culturelles et créatives et responsable de la filière «Arts Visuels», Abderrahmane Ouardane, milite pour la promotion de l’art et la sauvegarde du patrimoine au Maroc. Dans une interview accordée au «Matin», il parle de la politique culturelle réinventée, de la place de l’artiste au Maroc et des mesures à prendre pour le soutenir en cette période de pandémie du Covid-19.

«Il est temps pour nos décideurs de comprendre que la culture n’est pas un secteur, mais une dimension fondamentale de notre société»
Abderrahmane Ouardane.

Le Matin : Vous êtes artiste-plasticien, président de l’association Arkane et vice-président de la Fédération des industries culturelles et créatives, responsable de la filière «Arts Visuels»... pour quelle cause en fait militez-vous ?

Abderrahmane Ouardane
: En fait, je milite pour la promotion de l’art et la sauvegarde du patrimoine, en tant que leviers essentiels pour le développement de mon pays. Malheureusement au Maroc, l’art et la culture ne bénéficient pas encore de la place, du rang et de la priorité qu’ils méritent. L’art est encore cette cinquième roue du carrosse. Le budget alloué au ministère de la Culture ne représente au Maroc que le ridicule taux de 0,25% du budget général, alors qu’il est double en Algérie (0,53%) et triple en Tunisie (0,71%).

Il est temps pour nos décideurs de comprendre que la culture n’est pas un secteur, mais une dimension fondamentale de notre société. Aujourd’hui, en temps de pandémie, où la notion de «vivre ensemble» est essentielle, l’art devra et pourra jouer un rôle fondamental en faveur de la solidarité et d’une meilleure cohésion sociale. Il est triste de constater, selon les sondages du Haut Commissariat au Plan, que 76% de nos jeunes (entre 18 et 24 ans) ne pratiquent jamais d’activités artistiques. Nos citoyens ne lisent pas, ils ne consacrent pas en moyenne plus de 2 minutes par jour à la lecture, alors qu’ils passent, en moyenne, plus de 2 heures par jour à regarder la télévision. Il faut réagir et militer en faveur d’une politique culturelle inclusive et réinventée afin d’irriguer, enrichir et consolider l’art et la culture dans notre pays.

Qu’entendez-vous par politique culturelle réinventée ?

C’est notre combat au quotidien à la  Fédération des industries culturelles et créatives (FICC). Nous représentons sept filières culturelles et artistiques (cinéma, musique, audiovisuel, livre, arts visuels, art vivants...) et œuvrons d’arrache-pied ensemble pour favoriser une stratégie structurelle qui a pour objectif principal  de décloisonner la culture et de ne pas réduire sa destinée au seul ministère de la Culture. Il est fondamental  aujourd’hui  d’impliquer plutôt toutes les forces vives de la nation. Il y a un besoin urgent de structuration de la culture afin de la placer à un  rang plus digne et de lui reconnaître son caractère inclusif et engageant. La culture donne sens et vie à notre société et, de ce fait, au moins elle concerne chaque citoyen. Il est essentiel de soutenir les artistes et de les aider à s’organiser pour réfléchir et communiquer leurs idées, leurs créations, leurs recherches et leurs productions. 

La notion de la place réservée a l’artiste semble vous préoccuper fortement ?

Évidement, l’artiste est au centre de nos préoccupations parce que c’est l’émetteur et l’acteur principal. L’artiste est ce moteur qui donne vie et sens à la culture. Mais ni les décideurs politiques ni ceux qui forgent l’opinion publique et, par voie de conséquence, les citoyens ne semblent être suffisamment conscients du dynamisme économique et socioculturel moteur que l’artiste anime au sein de la société. À cet effet d’ailleurs, et à l’instar de ce qui est prévu pour le secteur du tourisme, aujourd’hui naufragé suite à la pandémie du Covid-19,  il nous semble utile de prévoir pour l’art et la culture une campagne médiatique d’information et de sensibilisation à la place et au rôle de l’art et de la culture pour un meilleur développement de notre société.

Concrètement, en cette période de pandémie Covid-19, quelles mesures proposez-vous ?

Notre fédération a déjà eu deux réunions avec l’actuel ministre de la Culture pour lui soumettre un mémorandum qui résume notre vision et qui fait proposition de tout un ensemble de mesures urgentes à engager pour venir au secours des artistes et autres acteurs culturels sévèrement atteints et impactés par la pandémie du Covid-19. J’en citerai quelques-unes :

• Débloquer les subventions accordées par le ministère de la Culture, mais non encore versées, pour une raison ou une autre.

• Relancer des appels à projets et redynamiser les commissions d’études et d’octroi des subventions. Cela devra permettre de relancer les activités liées aux arts visuels, en l’occurrence les expositions, les foires artistiques, les biennales, les résidences artistiques, etc.

• Reprogrammer les événements reportés ou en instance de confinement tels que «Rabat capitale culturelle d’Afrique»,  «la biennale de Casablanca», «Arkane Afrika», «Prêtes-moi ton rêve», «la foire 1-54», etc.  Cela devra offrir aux activités des espaces de diffusion pour leurs œuvres et enclencher donc un redémarrage de l’activité «Art Visuels».

• Inciter les collectivités locales à prévoir des budgets dédiés au soutien des artistes plasticiens au niveau des différentes régions. Cela pourrait se faire à travers l’acquisition d’œuvres d’art sélectionnées éventuellement, après appel à projets  par des commissions constituées à cet effet.

• Soutenir les associations dont l’objet est la promotion des arts visuels et l’accompagnement des artistes.

Et  en dehors de ces actions conjoncturelles, que suggérez-vous comme actions pérennes pour structurer le secteur et favoriser sa modernisation ?

Notre objectif principal au sein de la FICC est de contribuer à la structuration des différents filières culturelles et artistiques que compte notre pays. Cela devra normalement contribuer à mieux intégrer le modèle de développement dont le Maroc a l’ambition. Des actions sont déjà engagées et des chantiers sont ouverts pour aller dans ce sens. En octobre 2019, et dans le souci de préparer les outils nécessaires pour forger une stratégie culturelle, la FICC a initié et lancé les premières assises de la culture à Casablanca animées par des experts et décideurs de premier plan. En Mai 2019, les premières assises de la fiscalité ont marqué une réflexion sérieuse pour adapter le régime fiscal aux besoins d’un meilleur développement des activités culturelles et artistiques au Maroc  Le travail en commission et la fructueuse rencontre avec M. Khalid Safir, wali directeur des collectivités locales a permis d’appréhender la création de centres régionaux des initiatives culturelles et créatives (CPIC). Ce projet doit représenter d’ailleurs une sérieuse avancée en faveur de la régionalisation de la culture dans notre pays.

L’autre très important chantier à l’étude concerne le statut de l’artiste. Consciente du besoin de reconnaissance et de mise en avant de nos artistes, notre fédération,  en concertation avec le Syndicat national des artistes plasticiens professionnels (SNAPP) et d’autres institutions, se penche sérieusement sur la définition de l’identification des artistes, tant ceux qui relèvent des arts plastiques et des arts appliqués que  des arts numériques. Nous réclamons l’organisation d’un sondage pointu pour identifier et définir toutes les composantes des acteurs qui constituent l’écosystème des filières culturelle et créatives en général et de la filière «arts visuels» en particulier. Des actions très fructueuses ont été engagées par le SNAPP en vue de favoriser l’instauration et la règlementation du droit d’auteur,  droits voisins et droit de suite. Nous acclamons cette précieuse avancée et l’accompagnons par l’organisation de conférences et d’actions de lobbying auprès des instances législatives et gouvernementales en vue d’accélérer les processus de législation et de mise en application affectives des textes votés.

 Pouvez-vous nous parler davantage de ces actions de Lobbying ?

Je pense que le lobbying fait partie du rôle de notre fédération afin de porter la voix des artistes auprès des décideurs, tant au niveau du Parlement et du gouvernement que des instances internationales. Notre fédération a le privilège d’être présidée par Neila Tazi, une dame de challenge au parcours riche et à l’expérience aguerrie tant au niveau de l’entrepreneuriat, de la communication, de  l’exercice législatif que de la pratique  des relations publiques aussi bien sur le plan national qu’international. Avec son implication, et avec  le concours de notre vice-président, l’infatigable Si Abdelkader Ratnani, ainsi que l’engagement  résolu de tous  les autres membres du bureau, nous nous évertuons à porter la parole des artistes aux tribunes les plus influentes.

Le nouveau ministre de la Culture, malgré sa lourde responsabilité consistant à gérer quatre départements complexes, réserve à nos doléances une écoute active. Nous l’avons rencontré deux fois et avons organisé de longues séances de travail. Des signes forts ont été enregistrés. Toutefois, un manque de visibilité persiste. D’un côté sa nomination est encore toute fraîche. D’un autre côté, la conjoncture particulière que vit notre pays, frappé de plein fouet par la pandémie du Covid-19, complique la donne. En tout cas, le nouveau ministre a bien pris note de nos recommandations et nos suggestions formulées en 34 mesures concrètes et ciblées. Nous nourrissons l’espoir de bénéficier de la conjugaison des principales forces vives de notre nation en vue de réserver à la culture et à l’art le rang et l’envergure qu’ils méritent. 

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