Lorsqu’on évoque les premiers joueurs professionnels marocains, les premiers noms qui se forment dans l’esprit sont ceux de Ben Barek, Akesbi, Belmahjoub, Tatum… Mais il est un joueur qui n’est que rarement évoqué, et c’est là l’une des plus grandes injustices. Mohamed Abderrazak El Ouargla est né à Salé, le 25 mars 1926, une dizaine d’années après la Perle noire, son idole. Tout commence au Stade Marocain, où il fait ses premières foulées sur le gazon. Souple et rapide, du haut de son 1,75 m et ses 18 ans, Abderrazak débarque à Sète peu après la fin de la guerre, en 1945, et s’engage avec le club de football local. Il passe 3 saisons en Méditerranée et signe 31 buts en 63 matchs, devenant le chouchou des supporters, qui apprécient sa technique et son jeu varié. Il commence généralement les matchs sur l’aile droite, mais n’a aucun souci à faire parler son talent de buteur. Abderrazak signe ensuite au Stade Français, qui venait tout juste de vendre Ben Barek à l’Atletico Madrid et de se séparer d’Helenio Herrera, lui aussi parti en Espagne. La saison marque également la fusion avec le Red Star et Abderrazak ne s’acclimate pas à cet environnement parisien, où il est blessé aussi bien physiquement que dans son orgueil. Cinq matchs et un petit but à peine. Abderrazak revient dans l’Hérault et se refait une santé au SO Montpellier, qui est relégué malgré les 6 buts en 19 matchs du Marocain.
L’Andalousie pave la voie pour le Mexique
Après un bail de six mois à Paris, Abderrazak décide de quitter définitivement la capitale française et rejoint Murcie, 35 ans avant Timoumi. Sa venue tardive en octobre ne lui permet pas de disputer beaucoup de matchs de Liga. En tout, 12 rencontres et deux buts à la clé, dont un lors d’une victoire sur Séville FC, dans un des derbies andalous. Trop peu pour cet insatiable ailier. En Espagne, il rencontre enfin son idole, Larbi Ben Barek, alors sous les couleurs des Colchoneros. Les deux hommes régalent, mais ne marquent pas. Abderrazak rencontre aussi un homme d’affaires mexicain d’origine espagnole, Alfonso Sobero. À la tête du CF Puebla, Sobero s’est rendu dans le pays de Cervantes pour recruter des joueurs de renommée internationale et lancer son club, professionnel depuis moins de 10 ans. Abdul rallie la ville située au sud-est de la capitale fédérale du Mexique le 27 juillet 1951 et devient le premier joueur africain à jouer dans ce pays, marquant ainsi l’histoire du football de son continent, trois décennies avant les Lions de l’Atlas.Au début, c’est la confusion et beaucoup de supporters le confondent avec Ben Barek, dont les échos avaient atteint l’autre rive de l’Atlantique. Mais Abdul ne tarde pas à montrer toute l’étendue de son talent, une semaine seulement après sa venue, lors d’une victoire étincelante sur l’America (4-1). Il est surnommé par la presse locale «El Negrito de Puebla» et draine les foules au stade «Mirador» et même la semaine suivante dans la capitale où le club de «la Franja» affronte les géants d’Atlante. Il joue 20 matchs et inscrit 6 buts entre championnat et coupe.Champion maghrébin en France
Mais la nostalgie, l’absence de toute proximité culturelle et une hépatite le forcent à plier bagage et à retourner en France. Il renoue avec l’Occitanie à travers le Nîmes Olympique, puis le FC Sète, son club de cœur. L’été 1954, Abdul signe à l’OGC Nice, déjà champion à deux reprises depuis le début de la décennie. De l’autre rive de la Méditerranée, la résistance bat son plein. Quelques semaines après le début de la saison, un tremblement de terre survient à Chlef et la Fédération française décide d’organiser un match amical entre l’équipe de France et une sélection des professionnels nord-africains au Parc des Princes, au profit des sinistrés. La «Flèche noire» est associée à ses concitoyens Ben Barek, Belmahjoub, mais aussi les Algériens Boubekeur, Ben Tifour et Arribi ainsi que le Tunisien Hassouna. Les Français sont dépassés par le jeu fluide des Maghrébins qui n’avaient pourtant presque jamais évolué ensemble. Abderrazak se joue du gardien alsacien François Remetter et ouvre la marque dès les premières minutes de jeu et porte l’estocade, après le break signé Ben Barek et la réduction du score. Le match se termine par une victoire retentissante (3-2), trois semaines avant le début de la guerre d’Algérie et le processus d’indépendance dans le Maghreb. Comme un signe du destin, Abderrazak remporte son unique titre de champion de France en 1956 avec Nice, l’année de l’Indépendance du Maroc. Sous les couleurs du «GYM», Abdderrazak dispute deux bonnes saisons (53 matchs, 20 buts), mais se voit refuser le droit de jouer la Coupe d’Europe. Après un petit tour par Valenciennes, il permet à Alès de monter en D1 et joue moins de 10 matchs avec l’Olympique lyonnais, mettant un terme à sa carrière professionnelle, qui a duré près de 13 ans. Malheureusement, aucune information n’est disponible sur la vie de Mohamed Abderrazak El Ouargla, après la fin de son aventure footballistique. Les dernières traces d’Abdul remontent aux années 1960, période pendant laquelle il serait rentré pour s’occuper de la formation à l’Olympic de Safi. À l’image de sa personnalité, on le disait réservé mais souriant, Mohamed Abderrazak a disparu des radars. Il convient désormais d’honorer cette légende du football national, injustement oubliée.