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«La transition de certains mots arabes vers l’espagnol se faisait aussi parfois, à travers le berbère»

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L’année dernière, pendant la visite d´État au Maroc de LLMM les Rois d´Espagne et en leur présence, vous avez reçu du directeur de l’Académie Royale de la Langue Espagnole l´arrêté de nomination en tant que membre correspondant de l´Académie au Maroc. Qu´ est que ce fait signifie pour vous et pour les relations entre l´Espagne et le Maroc?
Hossain Bouzineb : En effet, pour moi personnellement, ce fut un immense honneur de recevoir des mains du directeur de l’Académie royale de la langue espagnole et en présence de leurs majestés les rois D. Felipe VI et Dª Letizia l´arrêté de ma nomination en tant que membre correspondant de la RAE au Maroc. Cette nomination avait préalablement obtenu l’approbation et les encouragements de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Bien sûr, au-delà de ce que peut représenter cet acte de reconnaissance de ma trajectoire consacrée à la langue et à la culture espagnoles, je pense qu’avant tout, il faut voir l’intérêt que chacun des deux voisins porte à la langue et à la culture du pays qu’il a en face, un intérêt dicté par une série de réalités imposées par le voisinage et par les impératifs de communication et de compréhension, auxquels aspirent tous les deux. Nous ne devons pas oublier que nous sommes dans un espace territorial intercontinental où l’humain, et depuis des siècles, est si imbriqué qu’il est difficile de regarder ce qui nous appartient sans penser à l’autre. Il suffit de mentionner les noms de famille dans les deux pays pour se rendre compte du lien profond entre ces deux territoires : si des noms tels que Molina, Borrás, Buceta, Carrasco, Páez, Zapata, Moreno, Crespo, Bono, et bien d’autres, sont très courants en Espagne, il n’est pas étonnant qu’au Maroc, et depuis des siècles, on trouve leurs correspondants: Molina, Bu Ras, Busatta, Karrachko, Paes, Sabbata, Morino, Krespu, Bunu, etc. etc.

Quel a été l´origine de l´usage de la langue espagnole au Maroc, et comment s´est développé cette influence mutuelle au long de l´histoire?
Une autre preuve de l’imbrication susmentionnée se trouve dans les langues parlées dans les deux rives. Il se peut que de nombreux Espagnols ignorent que la langue arabe a été le moteur qui a permis au castillan de devenir une langue de la science et de la culture en général, depuis le Moyen Âge. Il ne faut pas oublier que c’est la langue arabe qui a permis au castillan d’acquérir sa flexibilité expressive qui lui a facilité l’expression de concepts abstraits, c’est-à-dire la base de toute expression et formulation des énoncés scientifiques. Cette capacité de la langue castillane a été acquise grâce à l’intense travail de traduction effectué, essentiellement à la cour de Tolède d’Alphonse X le sage au 13e siècle, et plus tôt, au 12ème siècle, avec le travail de l’archevêque Don Raimundo, également à Tolède. Avec les traductions de l’arabe vers l’espagnol, la langue castillane a, non seulement, gagné en flexibilité morphosyntaxique, mais a réussi également à adopter des centaines de termes de toutes sortes, dont beaucoup sont encore vivants dans les différents domaines du savoir. Bien entendu, le castillan doit beaucoup à l’arabe dans son passage du statut de langue populaire parlée (lengua vulgar) pour accéder au rang de langue de culture. La langue castillane et d’autres langues d’Espagne ont, non seulement, coexisté avec l’arabe, mais aussi avec le berbère, bien que l’influence de ce dernier soit moindre. Il faudrait rappeler que parfois, la transition de certains mots arabes vers l’espagnol se faisait à travers le berbère, comme c’est le cas pour des mots comme mezquita et ahorrar. D’un autre côté, bien de mots berbères sont restés dans les langues espagnoles el les patronymes du pays : acorar (sacrifier un mouton par exemple. Rif. ikarri) ; marjal 

Depuis cette perspective historique dans laquelle vous êtes spécialiste, quelles manifestations culturelles partagées voudriez-vous souligner et comment voyez-vous l´avenir?
Enfin, je voudrais rappeler que l´imbrication dont j’ai parlé précédemment pourrait être un exposant de nos langues et de nos cultures, et que les chercheurs des deux rives doivent travailler en profondeur afin de clarifier les liens profonds qui unissent nos deux communautés humaines. L’une des manifestations culturelles les plus expressives de ce patrimoine culturel que nous partageons et qui a réussi à synthétiser deux mondes apparemment antagonistes, mais que la symbiose culturelle a réussi à fusionner en un seul corps, donnant naissance à une entité linguistique hybride d’apparence arabe et d´un contenu espagnol, une entité que seuls ceux qui s’arment aujourd’hui des outils des deux langues, arabe et espagnole, peuvent la ressentir de près. Il s’agit de la littérature dite Aljamiada, c’est-à-dire, celle écrite en langue espagnole avec des caractères arabes, et parfois hébraïques. Comme j’ai déjà eu l’occasion de dire, les Espagnols ne la comprennent pas, bien qu’ils soient une langue espagnole, et les Arabes ne la comprennent pas non plus, bien qu’ils soient écrits avec leur orthographe. Cette littérature reléguée à l’oubli et à la disparition depuis des siècles, a pu refaire surface ces derniers temps, notamment après la découverte de l’entrepôt d’un libraire morisque dans le village aragonais d’Almonacid de la Sierra en 1884. Cette littérature qui présente de nombreux ouvrages arabes traduits en espagnol, en plus d’être une source très intéressante pour l’étude de l’histoire de la traduction entre l’arabe et l’espagnol, est surtout un témoignage fidèle de ce qu’était la culture des derniers musulmans Andalous, qui finiront par être exilés au Maroc et dans d’autres terres méditerranéennes. Cette littérature est vraiment la dernière synthèse d’un long voyage culturel que certains n’ont pas su assimiler. De nombreux efforts d’interprétation restent à déployer pour passer au crible les différentes manifestations culturelles générées sur la terre d´al Andalús. 

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