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«Avant de vouloir rassurer l’enfant, il convient de s’assurer d’être soi-même en paix, sinon les interactions ne seront pas positives»

La situation épidémiologique au Maroc liée au Covid-19 est de plus en plus inquiétante. Le nombre de cas ne cesse de grimper depuis plusieurs jours, tout comme le nombre de décès dus à ce virus. Vu cette situation, beaucoup de Marocains commencent à sombrer dans des sentiments de doute, peur, malaise, dépression… ce qui touche inévitablement les plus petits. Dr Bernard Corbel, psychologue, nous donne des conseils pour pouvoir rassurer les enfants durant cette période difficile.

«Avant de vouloir rassurer l’enfant, il convient de s’assurer d’être  soi-même en paix, sinon les interactions ne seront pas positives»
Bernard Corbel.

Le Matin : Les enfants sont de plus en plus conscients du danger de la maladie du Covid-19. Comment peut-on les rassurer lorsqu’ils ont peur de l’attraper ou qu’un proche en soit touché ?
Bernard Corbel
: Tout d’abord, il convient de se défaire du réflexe culturel qui consiste à vouloir tout expliquer avant d’avoir réellement compris où en est l’autre dans sa tête. (J’appellerai plutôt cela la maladie des réponses à tout). Mon premier conseil est donc qu’avant d’expliquer quoi que ce soit, il faut écouter et donc questionner. La personne rassurante est une personne qui pose de bonnes questions et qui est prête en entendre, à réceptionner sereinement, à différer un peu sa réponse. Quand on a bien compris cela, on a parcouru plus de 80% de l’objectif de rassurer !
Autrement dit, on dira à l’enfant «effectivement, il y a cette maladie qui circule... Mais toi, qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce que tu te racontes dans ta tête à ce sujet là ? Entre enfants, qu’est-ce que vous vous dites à ce sujet là ?... Qu’est-ce que tu ressens quand tu y penses ?» Écouter soigneusement les réponses, prendre son temps avant d’y ajouter quoi que ce soit, afin de définir l’explication et le niveau les plus adaptés. L’adulte qui écoute l’enfant doit savoir que c’est dans sa posture, pendant son écoute notamment, qu’il est ou n’est pas rassurant. Un adulte angoissé n’est pas rassurant, il convient donc de faire le ménage en dedans de soi-même avant de vouloir être celui qui rassure l’enfant. Oui, ce petit ménage est un préalable, il vaut mieux demander à un adulte stable sur le plan émotionnel d’écouter l’enfant et de lui fournir des explications. Selon l’âge de l’enfant et ses capacités de compréhension, les meilleures explications peuvent être de banaliser la chose, par exemple de dire que depuis qu’on est tout petit on attrape différentes maladies et que parfois on a ces symptômes de fièvre... Toute la vie est parcourue par des moments où on est en bonne santé et des moments où on est touché par une maladie. Le Covid est une maladie parfois forte pour certaines personnes et comme pour toutes les maladies, quand on l’attrape on va en guérir. Citer un ou deux exemples de personnes qu’ils l’ont déjà eue et qui pour autant sont maintenant bien portantes.

Nous enregistrons malheureusement de plus en plus de décès. Comment aborder ce sujet avec les enfants ?
La question de la mort est une question qui hante l’enfant souvent à partir de l’âge de 4 ans et jusqu’à 6 ou 7 ans. Intégrer la question de la mort dans la philosophie de la vie est une étape importante dans le développement de la petite personne et dans la solidité de l’adulte du futur. C’est donc là un sujet vraiment sérieux qui requiert beaucoup d’écoute et d’intelligence émotionnelle de la part de l’adulte. Encore une fois avant de vouloir rassurer l’enfant, il convient de s’assurer d’être soi-même en paix, sinon les interactions ne seront pas positives. Quel dommage ! Après donc une écoute adaptée sur cette question, laisser à l’enfant la possibilité de s’étayer sur votre posture et sur votre propre système émotionnel, ce qu’il fait instantanément. N’ayez pas peur de dire que la mort est quelque chose de complexe et que l’adulte, à différentes étapes de sa vie, cherche parfois encore des explications. Néanmoins, une façon de comprendre le mécanisme serait de dire «pour l’entourage, c’est comme quelqu’un qui part en voyage pour longtemps»... Pour la personne elle-même, dire «on cherche souvent des explications, mais ça serait, je crois, comme après avoir été très-très fatigué de pouvoir plonger dans un sommeil très profond, très profond et de se trouver bien dans ce repos - après cette trop grande fatigue et de vouloir dormir, dormir longtemps, très longtemps, au point parfois pour une personne trop fatiguée, trop épuisée de ne plus vouloir revenir ou se réveiller.»

En cas de décès dans la famille, comment peut-on aider l’enfant à surmonter cette épreuve difficile ?
Comme tous les décès, certains peuvent être produits par le Covid. Comme indiqué à la question précédente, le sujet de la mort est un sujet très important dans le développement philosophique de l’enfant et qui lui assure lorsqu’il sera adulte d’avoir des réponses adaptées. La réalité que l’enfant perçoit ce n’est pas la chose en soi, mais elle est constituée par l’ensemble des mécanismes émotionnels mis en jeu par son entourage. Si donc l’entourage est choqué, en pleurs, malheureux ou hystérique, en cas d’exagération des manifestations émotionnelles, alors bien entendu, l’enfant aura déjà sa réponse sur le sujet de la mort et du décès. En fin de compte, l’enfant ne fait que s’inviter dans l’histoire des adultes. Par contre, il suffit qu’il y ait une seule personne dans l’entourage proche qui soit calme et positive pour que l’enfant puisse l’identifier et chercher à s’étayer sur elle. C’est la personne qui participera à sa résilience. Une fois encore, la meilleure réponse est donnée par la posture de la personne, bien avant ses mots. Une telle personne, outre sa stabilité et sa positivité, est généralement dotée d’empathie et donc ne manquera pas d’offrir son contact à l’enfant présent... S’il faut fournir des explications sur le sujet de la mort, parce que l’enfant en demande, il sera possible de s’inspirer de la réponse à la question précédente.

En quoi une telle expérience chez les enfants est-elle différente de celle des adultes ?
Pour l’enfant, sans doute plus fortement que pour les adultes, la réalité de la chose, ici la mort, est ce que l’entourage vit et pense tout bas. L’enfant est dans un besoin de compréhension absolument gigantesque et il puise ses explications et sa connaissance dans le décodage des réactions des personnes dont il s’inspire qui sont proches de lui. Curieusement, il peut arriver que des enfants soient plus intelligents que les adultes sur des questions aussi difficiles. Il n’est pas rare que dans des hôpitaux pour enfants gravement malades, les enfants eux-mêmes en viennent à rassurer leurs parents en visite sur la question de la mort, la question de leur mort. C’est eux qui peuvent afficher le plus de sérénité et de sérieux. Sans doute, parce qu’ils évoluent dans un environnement où la mort est présente et où des personnes sont stables émotionnellement et dans lequel il est possible de parler de tout, y compris de l’angoisse de la mort, et de trouver un apaisement dans des paroles paisibles des personnes à fort pouvoir de résilience.

Quels sont les signes inquiétants qui montrent qu’un enfant vit très mal cette expérience ? Que faut-il faire dans ce cas ?
Vous savez, encore plus que chez les adultes, c’est d’abord le corps de l’enfant qui parle : mal au ventre, mal à la tête, angoisse nocturne, cauchemars, sueur, élévation de la température à certains moments. Au-delà, ce sont des manifestations comportementales, des accès de colère parfois même des retournements de l’agressivité contre soi-même. 
Cela veut dire peut-être que l’entourage n’est pas à même de transmettre la quiétude que nous avons évoquée en répondant aux questions précédentes. 
S’il n’y a pas dans l’entourage immédiat des personnes capables de permettre la résilience face aux difficultés, on peut essayer de rechercher cela chez un psychologue, ou chez un pédopsychiatre bien identifié pour sa capacité d’émotion positive, de tolérance et d’ouverture d’esprit. Rappelez-vous toujours que ce ne sont pas les explications faussement rationnelles ou toutes faites qui peuvent apporter une résilience à l’enfant mais bien l’état intérieur de la personne qui va écouter l’enfant et lui permettre de calquer ses propres réactions émotionnelles à l’intérieur de lui-même... Mieux vaut des explications humbles et mieux vaut la franchise pour dire, par exemple, «certains pensent que...», avec cette tranquillité pour aborder ces sujets graves tout en étant droit dans ses bottes (regard direct, bienveillant) et détendu en même temps, soucieux des réactions de l’enfant... 

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