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Youssef Abouali publie «L’homme normal»

Youssef Abouali publie «L’homme normal»

«Et si tout dans ce roman n’était que pure simulation», dit un éminent critique après la lecture de «L’homme normal» (éditions Eventus), premier roman du professeur universitaire Youssef Abouali. L’auteur, lisant sa pensée, lui a répliqué : «Tout ce que contient ce livre a une valeur de pure vérité», et comme disait Boris Vian dans la préface de «L’écume des jours» : «Tout est vrai parce que j’ai tout imaginé». Ainsi finit l’échange autour d’un roman pour le moins troublant. «Roméo et Juliette» marocain, il l’est. La même intensité. La même poésie. La même fin poignante. Bien entendu, les narrateurs des deux premières parties nous mènent en bateau dans des histoires de psychothérapie et de critique virulente des milieux psychanalytiques. Puis, nous avons droit à ce qui constitue le cœur du roman, une histoire d’amour écrite essentiellement au féminin. Le héros donne le ton et disparaît illico pour laisser toute la place à l’âme de Malak qui raconte d’un point de vue omniscient sa version des faits et ce que son amant s’est évertué à dissimuler par pudeur, autocensure ou ignorance. 
Tout commence dans une salle de cours, Malak est tombée sous le charme du héros qui était aussi son professeur. Une fascination intellectuelle qui ne tarde pas à se transformer en cristallisation. Les vents de la vie font qu’ils se perdent de vue, elle poursuivant ses études à Paris, lui croupissant dans la ville qu’elle présente comme la «Las Vegas» marocaine. Puis un jour, l’amour enfoui refait surface, en plein spleen parisien, lors d’une discussion banale avec son ami argentin Arev. Elle décide donc de le séduire, boit et fume du hash pour se donner du courage et l’aborde sur Facebook. Leurs échanges sont électriques dès le départ, lui explosif de nature, elle boostée par la fureur de la jeunesse et de la passion. Les jours s’écoulent, les conversations s’allongent, et de fil en aiguille, il devient son conseiller de lecture. Grâce à lui, elle découvre les chefs-d’œuvre de la littérature et de la philosophie occidentales et à chaque nouvelle lecture, elle l’aime plus. Ils discutent pendant des heures et des heures. Il lui raconte des anecdotes hilarantes sur les auteurs, lui montre les connexions à établir, les critiques à connaître. Elle lui pose plein de questions et s’abreuve de sa fontaine intarissable. Deux esprits purs qui flirtent dans les cieux de l’Art et de la Beauté. Malak n’en pouvait plus, elle rentre donc au pays, au prix d’une grande dispute avec celui qu’elle appelle tout au long de son récit «mon géniteur». Elle réussit à rencontrer Kaamil, son amour encore secret. Ils fument du hasch et passent six jours de bonheur parfait. Ils font l’amour comme une chorégraphie, une performance, un art raffiné et sauvage. Ils écoutent de la bonne musique, dégustent des mets savoureux et vivent en autarcie. L’heure de la séparation survient et l’héroïne la vit comme un déchirement, un arrachement au sein nourricier, une mort dans l’âme. Elle vit pire par la suite puisque son ex-amant la fait interner dans une clinique privée pour la désintoxiquer. Kaamil lui rend visite et l’aide à retrouver un semblant d’espoir, mais son «géniteur» l’apprenant, l’appelle et lui fait promettre d’abandonner son ange. C’était le début de l’enfer pour elle, couronné de la perspective d’un viol par son psy traitant.
Elle préfère donc se suicider que de se laisser humilier et souiller. Elle met sa résolution à exécution et son suicide balaie de son effroyable onde de choc ce qui restait de l’âme de son amant. Ainsi se jette-il du plus haut de son exceptionnalité dans le gouffre insondable de la normalité. Fin tragique pour les deux amoureux pourrait-on dire. Pour l’auteur, il s’agit d’une tragédie normale. Ce qui expliquerait cette rage qui semble l’habiter et dont on trouve les traces dans la dédicace : «À ton âme immaculée. Repose en paix, car ma rage déferlera bientôt sur leur race maudite et les réduira tous en cendres». Mais n’est-il pas enrageant de voir les plus beaux amants du Maroc, les plus doués, les plus fins, les plus spirituels sacrifiés de la sorte par une société et une culture qui édifient la normalité, c’est-à-dire la médiocrité, en idéal ? Comme dirait l’autre, Malak et Kaamil ne sont en fait que les synecdoques de la fine fleur de la jeunesse du pays qui se donne la mort soit physiquement, soit en se résignant à perpétuer un mode de vie ancestral obsolète. 

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