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«À travers mon livre “Rabat, Mon École à l’Hôpital...”, j’essaie de déchiffrer la complexité du quotidien d’un enfant atteint de cancer»

Il a été démontré en Europe et en Amérique du Nord que l’enfant atteint de cancer qui poursuit sa scolarité, en parallèle à son traitement, traverse mieux sa maladie et a plus de chance de guérir que celui qui l’interrompt. À l’École de l’Hôpital, l’enfant malade est valorisé, ne se sent pas exclu. Chafika Lakhlifi raconte dans son livre «Rabat, Mon École à l’Hôpital...Mission inachevée…» son vécu inédit au sein de l’Unité hémato-oncologie pédiatrique à l’Hôpital d’Enfants de Rabat.

«À travers mon livre “Rabat, Mon École à l’Hôpital...”, j’essaie  de déchiffrer la complexité du quotidien d’un enfant atteint de cancer»

Le Matin : «Rabat, Mon École à l’Hôpital... Mission inachevée…» raconte votre expérience en tant qu’enseignante au sein d’un hôpital au Maroc. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de raconter ce vécu ?
Chafika
Lakhlifi : Dans ce livre, j’ai voulu mettre en lumière un sujet plutôt singulier mais d’une importance capitale, qui est le droit de l’enfant à l’éducation et à l’enseignement.
C’est une première pour accompagner les efforts faits durant les années 1980 pour améliorer la prise en charge de l’enfant atteint de cancer, dans un hôpital pédiatrique qui est le premier au Maroc.
À travers mon livre «Rabat, Mon École à l’Hôpital... Mission inachevée…», j’essaye de déchiffrer cette complexité du quotidien d’un enfant atteint de cancer et dont la guérison ne dépend pas que de la prise en charge précoce mais englobe aussi des facteurs socio-économiques et psychologiques.
D’après mon humble expérience de plus de 30 ans en tant qu’enseignante, j’ai la stricte conviction que tous les enfants doivent être traités sur un pied d’égalité en ce qui concerne leurs droits fondamentaux quant à l’accès à une éducation équitable prévus par la convention sur le droit de l’enfant de 1989, ratifié par le Maroc le 12 juin 1993.

Qu’est-ce qui ressort de cette expérience ?
Dans un premier temps, je me suis retrouvée dans un nouvel environnement complètement différent à mon expérience antérieure en tant qu’enseignante dans les écoles conventionnelles où j’ai dû enseigner pendant 14 ans dans différentes régions du Royaume.
La complexité des défis auxquels j’ai dû faire face rendait ma tâche primaire encore plus difficile. Tout dépendait de mon désir de rendre cette tâche accessible avec les moyens de bord que j’avais à l’époque.
Dès mon premier jour, j’ai fait en sorte que l’école soit aussi un élément thérapeutique dans le protocole de soins prodigués aux enfants atteints de cancer.
Il faut dire que je n’avais pas vraiment de choix que d’attendre que tout soit parfait. Je m’attelais à trouver l’espace scolaire qui me convenait au sein de l’Unité hémato-oncologie pédiatrique à l’Hôpital d’Enfants de Rabat.
Un espace difficile à gérer d’un point de vue scolaire, à côté d’une activité médicale quotidienne intense. Imaginez la situation d’une enseignante bousculée dans sa mission scolaire et pédagogique par les contraintes des horaires des visites médicales dans les chambres des malades, des traitements et autres.
Dans tout ce remue-ménage, il fallait inventer une approche pédagogique globale de l’enseignement, qui répond à une situation exceptionnelle pour des élèves patients à différents niveaux et âges.
À partir de 2010, cette situation s’est beaucoup améliorée, suite à la construction d’un bâtiment, par le ministère de la Santé, réservé uniquement aux maladies de sang et oncologie pédiatrique (SHOP). Cette structure moderne répond parfaitement aux normes d’un hôpital spécialisé, ce qui a permis à l’espace école de retrouver son autonomie et sa rentabilité pédagogique mais beaucoup de choses restent à améliorer.

Pourquoi vous dites «mission inachevée» ?
Cette phrase résume parfaitement mon expérience d’enseignante au sein de l’école à l’hôpital.
En m’engageant pour enseigner dans un espace hospitalier, j’ai cru que c’était le début d’une solution d’un problème épineux. Avec la contribution du corps enseignant pratiquant régulièrement dans cet espace, je pensais que cela aiderait à mettre en place les jalons d’un cadre juridique en faveur d’une introduction officielle de l’espace école dans tous les milieux hospitaliers pédiatriques.
J’ai eu le sentiment que quelque chose allait changer dans cette situation et tout laissait présager qu’un jour le ministère de l’Éducation nationale (MEN) reconnaitrait l’école à l’hôpital en tant qu’établissement scolaire à part entière. Malheureusement, 20 ans après, rien de cela n’a été fait et l’espace prévu à cet effet demeure marginalisé et continue à se développer avec ses propres moyens et attend reconnaissance et généralisation par le MEN.
Je plaide pour une école hospitalière qui soit une composante du système éducatif national. Mon livre est là pour en témoigner. Je ne cache pas mon adhésion à toutes les initiatives entreprises par différents acteurs ici et là pour une réflexion qui pourrait normalement aboutir à un dialogue entrainant des solutions à court, moyen et long terme. Mais le statu quo est de mise jusqu’à ce jour. Voilà pourquoi ma mission reste inachevée.

Comment vous a-t-on choisi pour assurer cette mission ?
C’est un concours de circonstances. En 1996, le MEN m’a mis à la disposition de l’association des parents et des amis d’enfants atteints de cancer «L’Avenir» pour enseigner. Cette association fut créée en 1983 sous la Présidence d’honneur S.A.R. la Princesse Lalla Meryem.
L’abandon du suivi de soins est une cause parmi d’autres qui entraine l’échec de la guérison.
Au moment où l’équipe soignante de l’Unité hématooncologie pédiatrique a vu que le nombre d’enfants scolarisés était en augmentation et leurs séjours à l’hôpital entraine automatiquement leur rupture avec leur école d’origine, elle a pensé que la création d’un espace école est devenue indispensable, même si l’espace du service ne s’y prêtait pas. Avec l’appui de l’association «l’Avenir», l’idée s’est concrétisée par la demande au MEN pour avoir une enseignante à temps permanent qui aura la charge de gérer cet espace école à l’hôpital. Ma candidature a été acceptée, car j’étais motivée par l’annonce de la guérison d’un enfant proche.

Comment étaient les débuts de ce challenge ?
Pour moi, enseigner à l’hôpital était un devoir humanitaire plus qu’une obligation professionnelle. Mon challenge était d’admettre l’école dans un milieu qui lui est étranger. Le service accueille les malades pour les soins, comment va-t-il s’ouvrir sur l’éducation des enfants en assurant une pédagogie saine et correcte ? Cela a été possible grâce à la volonté de toutes les composantes qui y sont impliquées directement ou indirectement : corps enseignants, personnel soignant, associations, parents des enfants malades, bénévoles, MEN.
Notre engagement a permis à l’école de servir les élèves patients, pour bénéficier d’une scolarité adaptée à leur capacité physique et psychologique, en leur apportant bonheur et sécurité pour leur avenir scolaire.
Ce n’était pas facile pour moi ni pour les autres collègues d’apporter les solutions adéquates à toutes les problématiques récurrentes à une structure greffée à un service  médical.
Les enseignantes sont appelées chaque jour à rénover, à adapter le programme du MEN à l’élève patient, pour satisfaire ses besoins en matière d’éducation. Les séances de cours en classe ou au chevet sont flexibles. Elles reposent sur la révision, l’accompagnement, le suivi des cours, pour chaque niveau scolaire.

Est-ce que tous vos élèves étaient des patients au service d’hématologie et oncologie pédiatrique ?
L’espace école du service d’hématologie et oncologie pédiatrique reçoit tous les enfants malades admis pour hospitalisation ou en soins ambulatoires.
Cela n’empêche pas les enseignantes, sur demande du chef de service, d’assurer pour l’année scolaire des cours de soutien pour les enfants de l’ensemble de l’Hôpital d’Enfant de Rabat qui fréquentent la «Maison de l’Enfant». Cette structure est construite au sein du jardin de l’hôpital par la Fondation Mohammed V.

Comment faisiez-vous pour établir un programme qui correspond aux conditions et niveau de chaque enfant ?
Pour chaque enfant admis à l’école de l’hôpital, les enseignantes préparent une fiche de renseignement personnelle sur son cursus scolaire. C’est à partir de là que l’enseignante travaille avec le programme de son niveau scolaire, établi par le MEN. Les activités parascolaires font également partie du programme.

Est-ce qu’à votre avis le fait d’avoir une enseignante aide les enfants dans le processus de guérison ?
Dans les pays développés, il a été constaté que l’élève patient qui suit sa scolarité à l’hôpital augmente ses chances de guérison et traverse sa maladie sans problème.
Au Maroc, nous cherchons les mêmes objectifs, et le taux de guérison est également élevé.

Est-ce qu’il y avait une collaboration avec les autres enseignants qui assuraient la scolarité de vos élèves avant ou après la maladie ?
Le but recherché par l’école à l’hôpital, c’est justement de renforcer la collaboration avec les enseignants de l’école d’origine de nos élèves patients, lors de leurs hospitalisations. Il faut entendre par là que l’école d’origine reste l’école de référence.
Les absences répétées de l’élève patient pour hospitalisation, soins, contrôle, impactent le cursus de l’élève et lui cause le rejet de son école d’origine. L’école à l’hôpital est présente justement pour éviter à l’élève patient ce genre d’échec, de le valoriser au sein de son milieu scolaire, familial et changer le regard négatif des autres à son égard.

Quels sont les messages que vous voulez passer à travers ce livre ?
Ce livre est une vision globale pour un problème particulier. Il s’adresse à tous les acteurs agissants qui ont soutenu l’école du service d’hématologie-oncologie pédiatrique de l’Hôpital d’Enfants de Rabat, et qui m’ont été d’un grand soutien pour donner confort à l’enfant malade, sourire, joie, partage, etc.
La reconnaissance de l’école à l’hôpital comme toute école où on dispense l’enseignement public est possible avec le succès enregistré par notre modeste expérience. Il faut agir vite pour passer à l’étape suivante afin d’inclure dans le système scolaire marocain l’enseignement dans les milieux hospitaliers pédiatriques comme cela se passe dans beaucoup de pays de par le monde. Mon livre est là pour contribuer à la réflexion sur la solution du problème.

Quels étaient les moments forts de cette expérience ?
En 2000, la visite Royale à notre école à l’hôpital fut un événement exceptionnel. Elle restera ancrée dans la mémoire de nos petits patients et leurs mamans, car elle leur a apporté bonheur, sourire et un moment d’oubli de leur maladie.
Les visites de personnalités, des bienfaiteurs, des associations, des étudiants… apportent toujours à nos enfants malades un soutien inestimable.
L’école à l’hôpital n’est pas uniquement un lieu d’apprentissage, mais un lieu de partage, de solidarité, de compassion. J’ai mené chaque jour le combat contre la détresse des enfants qui mènent leur combat contre la maladie. Ma présence leur a apporté l’espoir et le soutien dont ils avaient besoin.
L’école est un lieu festif, avec les activités parallèles organisées à l’occasion des différentes fêtes de l’année, que les enfants partagent avec leurs mamans, les enseignantes, le personnel soignant, les bénévoles, les associations et les bienfaiteurs.
L’école décloisonne les murs du service de l’hôpital et humanise les rapports entre les différents usagers de l’espace de soins et de l’éducation : nous vivons en famille.

Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous changeriez dans votre mission ?
Ma mission serait peut-être plus facile, car la technologie d’aujourd’hui peut résoudre beaucoup de problèmes auxquels nous avons fait face auparavant tels que les difficultés de liaison avec l’école d’origine de l’élève patient, pour un suivi permanent de son cursus scolaire et de la pédagogie moderne de l’apprentissage en général. C’est un élément clé dans le processus de la reconnaissance de l’école à l’hôpital, pour développer un enseignement dans le milieu hospitalier pédiatrique. Programme «Massar» en est l’exemple.

Comment comptez-vous utiliser votre expérience pour soutenir la scolarité des enfants malades au sein des hôpitaux ?
Je souhaite que le projet du livre «Rabat, Mon École à l’Hôpital... Mission inachevée…» mette en lumière cette composante marginalisée jusqu’à présent. Je compte aussi sur une large diffusion de cet ouvrage, qui contient les idées tirées de la réalité quotidienne, vécue par les élèves patients. Ces élèves m’ont appris sur mon métier. J’ai quitté l’école avec regret et un sentiment de mission inachevée. Je reste confiante pour l’avenir de l’école à l’hôpital. C’est un projet ambitieux ! 

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