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Abdellatif Komat : «La souveraineté nationale est au cœur de cette question de réserve stratégique»

Abdellatif Komat : «La souveraineté nationale est au cœur de cette question de réserve stratégique»

Le Matin : Dans Son discours, S.M. le Roi a insisté sur la notion de la réserve stratégique.  Qu’entend-on par cela ?  Quels sont les domaines qu’elle englobe ?
Abdellatif Komat :
La réserve stratégique signifie que chaque pays, dans le cadre de sa souveraineté, prend en compte le souci de se prémunir contre des risques d’ordre économique ou politique. C’est pourquoi il faut qu’il se dote d’une réserve pour une période oscillant entre le court et le moyen terme. Cette réserve se compose essentiellement de produits de première nécessité, mais également de produits névralgiques pour le fonctionnement stratégique, notamment l’énergie. Bien évidemment, lorsqu’on évoque le volet de première nécessité, on prend en considération ce qu’on appelle l’économie de la vie. Il s’agit d’un concept qui s’intéresse à tous ce qui est nécessaire pour la survie, ce qui englobe les produits alimentaires en premier lieu, les produits sanitaires, l’énergie… Ce sont les principales composantes de ce qu’on peut qualifier de réserve stratégique. Ce sont des produits sur lesquels repose la survie. Ainsi, les pays sont appelés à se doter d’une réserve qui ne peut être sur long terme, mais qui soit au moins à moyen terme pour dépasser une éventuelle période de perturbation liée à une guerre, à des problèmes commerciaux… 

Dans ce cadre s’inscrit également les réserves de change. Chaque pays doit toujours avoir un stock en devises qui sert à subvenir aux besoins en importation. Aujourd’hui, nous avons des réserves de change qui garantissent sept mois d’importations. Et ce grâce aux transferts des MRE et aux IDE qui ont permis l’entrée des devises malgré la crise. Ce qui a permis de préserver un des volets les plus importants en matière d’équilibres fondamentaux, les réserves de change. Nous avons ainsi plus de 300 milliards de dirhams de réserves de change, ce qui est très important. Il s’agit d’un autre volet des réserves stratégiques.

Qu’elle est donc la relation entre réserve stratégique et souveraineté nationale ?
La question de la souveraineté nationale est au cœur de cette question de réserve stratégique. Pourquoi ? Parce que si on ne dispose pas de cette réserve, la souveraineté nationale sera mise à mal. Si on ne peut pas subvenir à des besoins de première nécessité, cela peut perturber l’équilibre politique, économique et social d’un pays. Ce qui peut avoir un impact même au niveau de la stabilité, aussi bien interne qu’externe. Lorsqu’on évoque les produits de première nécessité, on parle d’équilibre interne,, mais également externe, parce dans ce cas le pays sera plus fragile, plus exposé, ce qui est bien évidemment à éviter. 

Mais la notion de souveraineté est plus profonde. À une certaine époque, on en parlait sur le plan militaire et politique, mais on en parle de plus en plus sur un plan économique. Car si un pays est fragile économiquement, cela peut se refléter sur sa stabilité politique et sur son équilibre social. C’est pour cela que cette notion est élevée à un rang de souveraineté. Ainsi, la question économique est élevée à un rang de souveraineté, alors qu’auparavant, la souveraineté était limitée aux questions de frontières et de conflits militaires. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, la composante économique est très importante.

Pourquoi se préoccupe-t-on maintenant de cette question de la réserve 
stratégique ?

Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour dire pourquoi on en parle actuellement. D’ailleurs, S.M. le Roi a évoqué le «retour en force du thème de la Souveraineté». Pourquoi ? Parce qu’en fait, vers les années 50, 60 et 70 du siècle dernier, la question de la souveraineté était posée. Mais à la fin du 20e siècle, et durant les deux dernières décennies, on s’est retrouvé dans une situation de mondialisation et de globalisation, accompagnée d’échanges commerciaux au niveau international, une réduction des droits douaniers, notamment dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, puis une baisse des coûts des transports. Ainsi, on a cru qu’on pouvait, à n’importe quel moment, se procurer tout ce dont on a besoin et dans des conditions très favorables. Parfois, il s’avère plus opportun d’aller les chercher ailleurs que de les produire localement, d’autant plus qu’il y a des facilités au niveau du commerce international, des conditions tarifaires intéressantes… Donc on ne se préoccupait plus, à ce niveau, notamment de tout ce qui concerne les produits de première nécessité. Or, par exemple, l’Europe s’est retrouvée, à un certain moment, dépendante de la Chine, notamment par rapport à des produits pharmaceutiques et des produits de première nécessité, surtout sur le plan sanitaire. 

Je fais ce retour en arrière pour dire que finalement que ce n’est plus le cas depuis qu’on est dans cette crise pandémique. Les pays se sont repliés sur eux-mêmes, les frontières se sont fermées. On s’est ainsi rendu compte que le monde n’était pas aussi petit qu’on le croyait et l’accès à ce dont en a besoin n’est pas aussi évident. Il fallait se replier sur soi-même, jusqu’à un certain degré. C’est vrai, il ne s’agit pas de revenir à une forme d’autarcie, mais les pays ont pris conscience qu’il allait falloir se doter soit d’une production nationale en mesure de subvenir à tous les besoins de première nécessité, soit de constituer des réserves de ces produits-là. D’ailleurs, S.M. le Roi a évoqué que, contrairement à d’autres pays, le Maroc a eu moins de difficultés, parce que les marchés marocains ont été desservis. Mais cela ne veut pas dire que l’on est préservé contre les risques. D’où l’appel à la création de ce dispositif intégré national. 
Pourquoi la notion d’intégré ? Parce qu’il y a une interdépendance. Si on veut une souveraineté, il ne s’agit pas d’aller la chercher sur un plan au détriment des autres. Il faut aller vers une agriculture plus développée, une industrie agroalimentaire plus développée, une industrie pharmaceutique et médicale, développer l’autonomie en matière d’énergie... Donc il faut agir sur deux plans : développer l’activité productive en relation avec la souveraineté, notamment économique, et en même temps constituer des réserves. 

Propos recueillis par Brahim Mokhliss

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