«La conjoncture internationale indique une flambée des prix aujourd’hui et on ne sait pas si elle va s’arrêter vers les mois de février ou mars prochains, ou si elle va se poursuivre», souligne Karim Chraïbi, spécialiste en énergie, directeur du groupe OIS.
Au Maroc, à part le pétrole qu’on utilise comme carburant, on consomme essentiellement le gaz butane et propane dans l’économie, explique Karim Chraïbi. Ces ressources sont totalement importées de l’étranger, tandis qu’on récupère 7% de la production du gaz naturel via le gazoduc Maghreb-Europe reliant l’Algérie à l’Espagne. Cette part est essentiellement destinée aux centrales Aïn Béni Mathar et Tahaddart pour la production de l’électricité. «Je pense qu’il y a actuellement différents scénarios qui sont examinés, en cas d’arrêt de l’activité du gazoduc Maghreb-Europe.
Si le gaz naturel s’arrête, cela va impacter notre capacité à produire plus d’énergie propre, car cette ressource constitue un partenaire choisi des énergies renouvelables», estime le spécialiste en énergie, qui précise qu’il n’y aura pas d’impact direct sur le consommateur.
«L’impact direct sera ressenti, dans un premier temps, au niveau des finances de l’ONEE et de l’État, car les contrats au niveau des deux centrales précitées sont signés avec des opérateurs du secteur privé, donc il faudra trouver un accord avec eux», affirme-t-il, notant que cette perte de gaz peut être compensée avec du fuel. «Nous avons des centrales de fuel, nous importerons probablement du fuel ou nous consommerons plus de charbon pour couvrir cet aspect-là», indique Karim Chraïbi. Par ailleurs, en raison de la hausse de la consommation, plusieurs économies dans le monde adoptent ces sources d’énergie aujourd’hui. «Nous avons une puissance installée en solaire et en éolien, mais lorsque les ressources ne sont pas là, nous sommes obligés d’augmenter la consommation d’autres sources d’énergies pour couvrir la demande», fait-t-il savoir, ajoutant qu’il y a un arbitrage économique à faire. «Nous disposons également d’une interconnexion électrique avec l’Espagne, à travers laquelle on peut puiser dans un sens ou dans l’autre en fonction des prix dans chaque pays. Donc nous disposons de toute l’infrastructure pour pouvoir satisfaire nos besoins en énergie en urgence», indique l’invité de L’Info en Face. Autre piste à explorer, selon Karim Chraïbi, le renversement du sens du gazoduc Maghreb-Europe pour acheminer du gaz de l’Espagne vers le Maroc. «Cette solution pourrait être intéressante. Maintenant, la décision devra être discutée avec les Espagnols pour mettre en place les installations nécessaires et modifier les compresseurs pour que le gaz aille dans l’autre sens. Cela pourrait prendre un an ou deux pour être opérationnel», explique-t-il. S’agissant de la portée de cette hausse des prix de l’énergie, notamment du gaz butane, sur la Caisse de compensation, l’invité de L’Info en Face souligne que l’État va devoir supporter les charges supplémentaires. «Il y a quelques années, nous avons pris la décision politique de supprimer la subvention sur les carburants. La décision de supprimer ou pas la subvention sur le gaz butane est aussi une décision politique», rappelle l’expert. Et d’ajouter que le gaz butane, utilisé par les consommateurs, et le propane, utilisé par les industriels, sont liés.Les SRM, une option pour optimiser les ressources
«Si l’augmentation du prix du gaz se poursuit, la question qui se pose est de savoir si le prix du kilowattheure va augmenter au Maroc. Ce tarif est réglementé par l’État. La majorité des industriels utilisent l’électricité, donc cette situation risque d’impacter les opérateurs économiques», affirme Karim Chraïbi, surtout pour les secteurs énergivores. Pour l’invité de L’Info en Face, cette situation remet également en question la consommation d’énergie et pousse les différents acteurs à réfléchir aux moyens d’optimiser les ressources. «L’agence de réglementation de l’électricité, qui a vu récemment le jour, devrait pouvoir apporter aux politiques plus d’éclairages et de précisions sur ce sujet. Car il est difficile de gérer sans données et sans statistiques», souligne-t-il. Selon lui, le chantier de mise en place des sociétés régionales multiservices (SRM) pour la gestion de l’eau, l’électricité et l’assainissement devrait également apporter des améliorations dans ce sens. «Ces sociétés vont sûrement apporter plus d’efficience et d’efficacité dans la gestion des réseaux», note Karim Chraïbi. L’enjeu étant d’optimiser les investissements nécessaires et donner une taille minimale aux opérateurs. «Au lieu d’avoir une régie, l’ONEE branche Eau et la branche Électricité, qui sont trois structures différentes qui font à peu près la même chose, il vaut mieux les rassembler», indique l’expert, ajoutant que si cette expérience marche, il n’y a aucune raison pour ne pas développer des sociétés énergétiques. En outre, l’invité de L’Info en Face souligne que «c’est grâce aux énergies renouvelables qu’on va peut-être s’acheminer vers la libéralisation du secteur. Aujourd’hui, la privatisation du secteur, qui peut donner lieu à une concurrence sur les prix, n’existe pas, il y a des contrats spécifiques de production et de gestion de l’infrastructure de distribution, mais peut-être qu’on pourra assister un jour à la libéralisation de ce secteur».