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Les familles face à l’épreuve difficile du deuil

Des milliers de Marocains ont perdu un proche depuis le déclenchement de la pandémie de la Covid-19 en mars 2020. Que ce soit sur le territoire national ou pour les Marocains résidant à l’étranger, cette perte représente une double épreuve : d’une part, la disparition d’un proche n’est jamais chose aisée, d’autre part, les restrictions sanitaires compliquent le rituel de se retrouver en famille pour la cérémonie des funérailles.

Les familles face à l’épreuve  difficile du deuil

Le bilan est lourd ! La pandémie de la Covid-19 a fait au moins 3.203.937 morts dans le monde depuis fin décembre 2019. Le Maroc compte, au 1er mai 2021, quelque 9.026 cas de décès. À ce chiffre, il faut ajouter les décès dans la communauté des Marocains du monde. Ce sont donc des millions de personnes qui ont perdu un, ou plusieurs proches, des suites de la Covid-19 et qui ont été contraints de vivre leur deuil seuls et loin de leurs familles et de leurs proches.
Si la perte d’un être cher est une épreuve très difficile en temps «normal», lors de cette pandémie, elle l’est encore plus. «Le deuil est généralement facilité par notre présence auprès de la personne en fin de vie, or dans les conditions actuelles, c’est comme si ce moment inestimable avait été volé aux proches», explique Dr Houria Rhoulam, psychiatre, pédopsychiatre, spécialiste en neurosciences. Et d’ajouter qu’en cette situation de pandémie et de restrictions sanitaires, l’entraide et la solidarité font défaut, les rituels funéraires qui soulignent le départ et donnent un sens à cet événement tragique sont limités au maximum, les habitudes et les activités de routine qui permettent une certaine réconciliation avec la vie sont très réduites. «Le plus dur pour moi c’était de ne pas pouvoir dire Adieu à mon grand-père. Il a été admis au service de réanimation et on n’avait pas le droit de lui rendre visite, à peine avons-nous eu de ses nouvelles par téléphone quand il pouvait parler, mais après, c’était difficile jusqu’à ce qu’on nous a annoncé son décès», nous dit avec une grande tristesse Hanane. De plus, elle n’avait pas l’autorisation pour se déplacer à Marrakech, pour se rendre auprès de sa famille. «Il m’était très difficile de gérer le processus administratif seul sans assistance des membres de ma famille. J’ai perdu ma mère et j’étais sous le choc, il fallait aussi que je vive cette épreuve presque seul», nous raconte Aziz dont la famille vit à l’étranger et était dans l’incapacité de se déplacer au pays. Un autre témoignage poignant, celui d’un jeune homme qui a perdu sa tante qui vivait à l’étranger. «La procédure de rapatriement du corps est compliquée, sinon quasi impossible. Nous vivons très mal le fait qu’elle soit enterrée loin de sa terre natale», se désole Khalid. Il faut dire que déjà, en temps normal, il existe des procédures administratives longues et fastidieuses de transit aérien, qui peuvent durer plusieurs jours, mais avec l’arrêt des vols internationaux, c’est devenu encore plus compliqué. De plus, beaucoup de citoyens crient au manque, voire l’absence d’informations concernant la gestion de ce rapatriement. 


Le bilan des morts, un supplice au quotidien

Si pour la majorité des citoyens l’annonce du bilan quotidien des morts est devenue «chose normale», pour les personnes ayant perdu un proche à cause de la Covid-19, c’est une peine quotidienne et une épreuve sans cesse renouvelée qui leur rappelle leurs proches. L’annonce quotidienne du bilan des décès vient rappeler toutes les souffrances et la tristesse enfouies et réduire le décès d’un être cher, événement lourd d’émotion ayant bouleversé toute sa vie, à un banal cas parmi tant d’autres, sa souffrance devient plus profonde avec une croyance erronée que personne ne peut le comprendre ni l’aider, explique Dr Rhoullam. C’est à se demander s’il est nécessaire d’annoncer ce chiffre chaque jour !


Pourquoi pas une Journée d’hommage national aux victimes de la Covid ?

Les victimes de la Covid-19 méritent bien un hommage national pour que toutes ces personnes décédées depuis le début de la pandémie ne soient pas que des chiffres que l’on annonce au quotidien. Le débat existe bel et bien dans d’autres pays comme la France ou le Canada où des associations et des familles endeuillées appellent à réfléchir à une journée dédiée à la mémoire des victimes de la pandémie. Cela permettra également aux proches de faire leur deuil et à la Nation de garder en mémoire ces personnes emportées par la pandémie.


Entretien avec Dr Houria Rhoulam, psychiatre, pédopsychiatre, spécialiste en neurosciences

«Le deuil est généralement facilité par notre présence auprès de la personne en fin de vie, or dans les conditions actuelles, c’est comme si ce moment inestimable était volé aux proches !»

Le Matin : L’épidémie et les restrictions sanitaires ont impacté le processus de deuil que traversent les famillves de victimes de la Covid-19. Quelles en sont les conséquences psychologiques ?
Dr Houria Rhoulam
: Le deuil est un processus naturel d’adaptation et de résilience qui peut être très éprouvant. Bien qu’il existe un processus commun à tous les deuils, chaque deuil est unique et singulier. Il dépend de plusieurs facteurs, à savoir les relations qui existaient entre la personne décédée et l’endeuillé, les croyances, la culture, les antécédents de la personne et le soutien social disponible.
Dans les conditions actuelles, de pandémie et de restrictions sanitaires, sachant qu’une partie de l’énergie de la personne endeuillée est déjà mobilisée, et lorsque le deuil est aussi confiné, cela représente donc un défi supplémentaire.
Le deuil est généralement facilité par notre présence auprès de la personne en fin de vie, or dans les conditions actuelles, c’est comme si ce moment inestimable était volé aux proches !
L’entraide et la solidarité font défaut, les rituels funéraires qui soulignent le départ et donnent un sens à cet événement tragique sont réduits au maximum, les habitudes et les activités de routine qui permettent une certaine réconciliation avec la vie sont très réduites. Par conséquent, l’évolution vers le deuil pathologique est de plus en plus fréquente… Je reçois au cabinet des patients qui souffrent d’un mal-être dévastateur qui se pérennise, ou des addictions qui flambent suite à la perte d’un être cher. Des études sont en cours de réalisation pour évaluer le retentissement à long terme et sur un plus large échantillon.

Comment les personnes endeuillées perçoivent-elles les bilans quotidiens des décès ?
Dans le contexte actuel, et avec tous les facteurs aggravants cités, l’endeuillé à tendance à voir le défunt comme défavorisé. Privé des droits les plus basiques et de tout ce qui pourrait lui rendre hommage.
En plus de sa propre souffrance, la personne peut souffrir pour l’être cher. Ce dernier ne pouvait profiter de la présence de ses proches en fin de vie, a peut-être reçu un traitement de masse lors de la délivrance des soins médicaux, vu la surcharge et le manque de moyens et n’a pas eu de funérailles classiques, comme tous les morts depuis la nuit des temps. Un sentiment de culpabilité s’installe chez l’endeuillé, alors qu’en réalité, il n’a rien à se reprocher.
Quand l’annonce quotidienne du bilan des décès vient lui rappeler tout ça et réduire le décès d’un être cher, événement lourd d’émotions ayant bouleversé toute sa vie, à un banal cas parmi tant d’autres, sa souffrance devient plus profonde avec une croyance erronée que personne ne peut le comprendre ni l’aider.

Comment expliquer aux enfants le décès d’un proche, notamment la perte des grands-parents, alors qu’ils étaient séparés depuis des mois ?
La pandémie actuelle est une réalité inhabituelle où il est impossible de prédire qui sera contaminé, qui résistera à l’infection et qui y succombera. On est dans un climat d’incertitude totale…
Sachant que c’est un sujet très délicat et difficile à évoquer avec ses enfants, il ne faut absolument pas attendre qu’une personne chère décède pour en parler, et en même temps il ne faut jamais évoquer le décès ou la mort avant que cela n’arrive.
Si les parents sont inquiets pour un proche qui se bat contre la maladie, que ce soit la Covid-19 ou une autre maladie mortelle, dans un contexte d’éloignement et de séparation, il faut expliquer aux petits la gravité des choses. On peut, par exemple, leur dire que leur grand-mère a été contaminée par le coronavirus, qu’elle est actuellement hospitalisée, que son état peut s’aggraver, mais que les médecins font tout le nécessaire pour l’aider à aller mieux, et qu’on les tiendra informer de l’évolution.
Il faut savoir que plus on parle aux enfants plus ils se sentiront respectés et en sécurité. En maintenant également une bonne relation de confiance, ils comprendront mieux l’état émotionnel de leurs parents, qui sont souvent tristes ou inquiets, et seront préparés à ce qui pourrait arriver.
Une fois la personne décédée, il faut l’annoncer à l’enfant le plus rapidement possible pour éviter qu’il ne l’apprenne autrement, avec des mots simples et directs. On peut, par exemple, dire : «J’ai une mauvaise nouvelle ! Tu te rappelles que grand-mère était malade et que son état s’était aggravé. Malheureusement, les médecins n’ont pas réussi à l’aider, elle est désormais auprès de Dieu, puisse-t-elle reposer en paix».
Ce n’est pas facile ! C’est un moment chargé d’émotions qu’il ne faut absolument pas cacher. On peut pleurer avec son enfant. Il faut savoir, cependant, que leurs réactions peuvent varier de la tristesse à l’indifférence. Quelle que soit leur réaction, il faut réconforter ses petits, répondre à leurs questions, s’ils en ont, et leur expliquer les choses simplement par exemple : «Son cœur s’est arrêté de battre». Et surtout éviter de dire qu’elle dort pour toujours, cela peut être très angoissant.

Comment se reconstruire après de telles expériences ?
Généralement, le deuil ne dure qu’un temps. Il est normal d’être anéanti et perturbé, mais il faut s’accorder du temps et de la bienveillance pour se rétablir.
Il faut toujours respecter son deuil, être attentif à ses émotions et les exprimer. Le deuil se vit en communauté, donc garder les liens et éviter de s’isoler. Certaines personnes pensent qu’en évitant le contact, la souffrance sera moindre. Ils ne font que la retarder. Malgré la peine ressentie, il faut essayer de reprendre ses activités ainsi qu’une certaine routine habituelle. Il faut à tout prix éviter de sombrer dans des addictions qui peuvent entraver le processus d’acceptation.
Il arrive parfois que le deuil s’éternise, entraînant des troubles psychiques et somatiques souvent chroniques et pouvant justifier une consultation médicale spécialisée. Si la personne endeuillée ressent un trouble persistant du sommeil et de l’appétit, un isolement avec perte d’intérêt, un retentissement social et professionnel de son mal-être, une augmentation de la consommation des drogues, une souffrance émotionnelle intense ou une indifférence totale, une envie de mort ou des pensées suicidaires, il ne faut pas tarder à demander l’avis d’un professionnel de santé psychique, qui aidera à surmonter ces souffrances et éviter des complications plus graves. 


Questions à 

Hicham Mounib, coach-ingénieur énergétique, formateur en coaching neuro-quantique & chercheur en neurosciences

Quel accompagnement de coach pour faire le deuil d’un proche décédé de la Covid-19 ?
Faut-il prévoir un accompagnement spécifique pour un deuil Covid-19 ? La question mérite d’être posée. Car ce cas spécifique est en plus lié à un contexte social difficile à l’échelle nationale et dans le monde. La personne qui demande ce genre d’accompagnement a déjà quelque part fait un peu de chemin vers un deuil serein. Peut-être est-elle en phase de pré-acceptation et souhaite accélérer ce processus ? Ou peut-être que le déni est tellement puissant que sa douleur provoque une réaction littéralement reptilienne qui consiste à demander de l’aide. Dans tous les cas, que ce soit lié à la Covid ou non, les étapes classiques du deuil sont à observer avec la plus grande attention.
Maintenant spécifiquement en cette pandémie, il y a une optique d’inconscient collectif à ne pas négliger lors de l’accompagnement. Au-delà des particularités de chaque personne, il serait prudent de passer par des questions de ce type : Comment le coaché voyait-il la pandémie avant le décès du proche et comment la voit-il maintenant ? Est-il en train de vivre un sentiment de solitude, à réaliser que très peu de personnes en sont décédées ? Et donc pourquoi un de mes proches parmi toutes ces infimes possibilités ? Comment se connecter au deuil des autres proches dans le même cas ? Comment cela peut-il contribuer à atténuer la douleur et à relativiser la solitude ? Comment contenir ses émotions ou sa rage à la vue des personnes qui continuent à ne pas respecter les gestes barrières ?

Le confinement et les restrictions sanitaires ont chamboulé le processus de deuil. Quel impact sur les personnes endeuillées ?
Le plus difficile à mon sens, c’est de ne pas pouvoir vivre la phase de l’inhumation. Il y a dans cette phase une reconnaissance d’une étape passée, matérielle, physique. Mais aussi une étape grégaire propre à l’être humain, étant le seul mammifère à inhumer ses morts et à le faire en groupe.
Bien que l’assurance du proche par rapport à cet acte existe – il sait que l’enterrement a eu lieu –, il reste néanmoins un vide à combler : celui de l’accompagnement jusqu’à la mort. Souvent le proche le vit comme une impuissance qui peut se transformer en culpabilité : Ai-je vraiment fait tout ce que j’ai pu ? N’y avait-il pas un moyen d’être proche d’une manière ou d’une autre ? Et si je ne méritais pas en tant que proche d’accompagner mon père, ma mère ou ma sœur, ou mon frère ? Peut-être que c’est ma punition pour un quelconque acte dont je me sentirais coupable ? Le fait est que la culpabilité est juste inutile, voire nocive. Il va falloir permettre à la personne d’avoir d’autres choix pour vivre son deuil plus sereinement et chercher à la rassurer.

Comment se reconstruire après une telle expérience ?
Étape ultime, mais ô combien nécessaire, la reconstruction ou plutôt la mise en mouvement vers la réalité à construire et qui nous attend. Une des étapes du deuil est la quête de sens. «Si cela m’arrive à moi, dans ces circonstances, c’est que cela a bien un sens ? Il y a bien une leçon à tirer de ce qui arrive ?... On suggérera aussi au coaché les questions suivantes : Quel niveau de résilience, parfois caché, avez-vous découvert en vous ? Qu’est-ce que cette découverte change pour vous ? Si le défunt pouvait voir le progrès que vous avez accompli, qu’en penserait-il ?» Il s’agit en fait de mettre plusieurs couches relativistes pour ouvrir la voie au coaché à se détacher petit à petit de l’émotion (après lui avoir permis de s’exprimer) et de se rattacher petit à petit à l’information pure du deuil et de ce que cela change dans son existence. De cette manière, une visibilité d’un lendemain, où il sera en paix, est enfin possible. 


 Les phases du deuil

Bien que pour les musulmans le deuil implique une grande croyance en le destin divin, ce qui procure une grande capacité à supporter la séparation, le processus du deuil doit se faire globalement en 5 étapes :
• L’annonce ou le choc qui surviennent lorsqu’on apprend la perte et qui vont provoquer une réaction plus ou moins maîtrisée, voire créer un véritable traumatisme.
• Le déni ou le refus d’accepter la réalité. Cette phase peut être particulièrement longue et psychologiquement douloureuse lorsque le décès est brutal, comme c’est le cas en pleine pandémie.
• La phase d’acceptation qui va permettre d’extérioriser sa peine et d’admettre que c’est la volonté de Dieu et que le défunt aurait souhaité que la vie continue pour ses proches. Ainsi, tout en étant affectée et triste, la personne va essayer de sortir de ce malheur et se reconstruire.
• La phase de pardon qui permet d’une part de pardonner au monde extérieur et de se pardonner à soi-même de n’avoir rien pu faire pour empêcher le décès.
• La phase de quête de sens dans laquelle on cherche à tirer les leçons de cette épreuve et on commence à se sentir prêt à avancer et à renouer avec une certaine sérénité en donnant à un nouveau du sens à sa vie.

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