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«J’ai désiré, par le biais de l’écriture, faire pénétrer les lecteurs dans le monde intérieur du peintre»

Artiste-peintre, écrivaine et poète, Loubaba Laalej mène une carrière très prolifique. Depuis son jeune âge, elle a plongé dans l’écriture. Petit à petit, le pinceau entre en action reflétant l’âme d’une artiste-née, jusqu’au moment où les deux vocations deviennent pour elle inséparables. S’ensuivirent plusieurs publications et créations picturales, dont le récent titre «Icônes de la plasticité au féminin». Ce nouvel ouvrage, que Loubaba Laalej vient de publier à l’occasion de la Journée internationale de la femme, rassemble des textes et des œuvres de femmes créatrices, passionnées, courageuses et talentueuses, dont le génie leur a permis de s’extraire de l’ombre de l’homme artiste. À travers cet entretien, nous allons en savoir plus sur cette artiste éprise de mots et de couleurs.

«J’ai désiré, par le biais de l’écriture, faire pénétrer les lecteurs dans le monde intérieur du peintre»

Le Matin : En général, vos écrits ont une relation étroite avec la peinture. Est-ce un choix ou une évidence, puisque vous êtes aussi artiste-peintre ?
Loubaba Laalej
: Les 7 nains ne m’ont pas trouvée bébé, plongée dans un bac de couleurs, le pinceau à la main ! Dans ma vie, j’ai ressenti très tôt l’évidence d’être née artiste... je parle de l’art avec un grand A... les choses sont venues à moi sans forcer. J’aimais la musique, j’écoutais la poésie avec admiration et j’espérais revenir diplômée d’une grande école de danse américaine. Le destin en a voulu autrement, je criais à tous ceux qui voulaient l’entendre : «artiste je serai ou je ne serai pas. C’est le vœu de ma vie, il est sans concession ! Ce sera ça ou rien.» J’avais des désirs tout en ne sachant rien de moi. Petit à petit, une femme aux seins nus a inondé mes cahiers de classe. Je la dessinais partout. C’était toujours la même. Plus tard, j’ai écrit mes impressions dans mon journal secret. J’ai été encouragée. La peinture s’est imposée à moi d’elle-même.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sur votre peinture ? 
Est-ce, selon vous, un autre style d’écriture qui vous permet d’exprimer votre démarche plastique par des mots ?
Volontairement, j’ai choisi de ne pas écrire sur la peinture en tant que mouvement artistique conventionnel. Je n’appartiens à aucun courant. Dans mes livres, j’ai désiré par le biais de l’écriture faire pénétrer les lecteurs dans le monde intérieur du peintre. J’ai tenu à livrer ses états d’âme, ses humeurs et sa psychologie. Par ma plume, j’ai surtout voulu démontrer les nombreux liens qui existent entre les arts, que ce soit la musique, le théâtre, la poésie, la sculpture et même la danse. J’ai toujours fait les choses par plaisir et amour, sinon je ne les faisais pas. C’est ma rébellion à moi ! J’ai commencé par l’art brut, puis je suis venue à la calligraphie, le noir et blanc, les jardins intérieurs qui ont naturellement abouti à l’émergence fantastique et à la matière. C’est une évolution qui s’est faite d’elle-même. Je suis une artiste chercheuse inspirée. Mon monde symbolique parle de mon désir de liberté, de ma vision de la femme et du monde en passant par le couple, l’amour et le sacré. J’interroge à la fois l’environnement et moi-même. J’engage mon intériorité dans sa liberté tout en apportant une vision optimiste de la vie. J’aime les contes qui se terminent bien. J’ai besoin de mes fées. Mon inspiration découle de mon monde intérieur. Je n’ai jamais voulu me laisser influencer par qui que ce soit ni par quoi que ce soit. C’est bien sûr mon choix et il vaut ce qu’il vaut par l’inspiration de mes voyages et de ma spiritualité. 

Croyez-vous que vos écrits représentent une nouvelle expérience dans la littérature ?
Mon expérience est certes nouvelle, mais ce n’est pas à moi d’en juger. Le savoir est si vaste et je ne prétends à rien. Ce que j’affirme c’est mon désir de partager l’expérience que je vis et elle vaut ce qu’elle vaut. Moi, je suis déjà heureuse d’éprouver du plaisir. Cet amour que je ressens pour l’art, je veux qu’il enchante les autres. Le temps d’une lecture. Le moment d’une contemplation picturale. Comme j’aime à le dire, la vie n’est pas si rose ! Le bonheur est dans les choses simples ! Peut-être suis-je en train d’offrir le regard d’une autre perspective qui ouvre sur la joie de l’instant présent. Pour moi, l’art est un ensemble qui réunit plusieurs branches. La peinture et l’écriture dans mon œuvre sont intimement liées. J’écris avec mon pinceau les formes, les couleurs et les scènes imagées dans l’un et l’autre. Je décris mon amour de la vie, celle qui s’émerveille comme un enfant éternel qui danse son âme. Peindre est d’abord un plaisir qui me  permet de communiquer aux autres ma vision, d’amener l’invisible au visible, de mettre le point sur l’irréel et le réel, c’est aussi la possibilité de transmettre la poésie de la vie en les faisant sortir de la guerre duelle. Rêver, c’est changer sa perspective. Mon monde est celui de l’imaginaire, celui qui se raconte par les formes et les couleurs. Je crée la vision de mes rêves sans les planifier. J’ai cette conscience que mes toiles interrogent sans répétition. C’est un ressenti que je partage dans l’humilité par un regard réciproquement  libre quant à  la beauté  du représenté  et de la représentation dans son essence la plus pure. N’oubliez pas que mon premier désir est évasion et enchantement. La couleur et la lumière sont basiques dans ma palette. Sans lumière, il y aurait le chaos. Je ne puis même pas l’imaginer.  La couleur, quant à elle, remplace les mots. C’est le préverbal qui invite à contempler dans le silence ce qui aurait pu être sa parole.

Après les arts plastiques, vous passez au Melhoun. Pourquoi ce genre musical plus précisément ?
Il est vrai que j’ai consacré tout un livre au Melhoun et à la peinture, préfacé par les écrivains et chercheurs Ahmed Fassi, Fouad Guessous et Samir Lotfi. Ce n’est pas seulement la beauté mélodieuse du Melhoun qui m’a attirée. Ce n’est pas juste la fierté de la Marocaine que je suis face à un patrimoine immatériel qui a été reconnu et qui est en phase de devenir universel ! Le Melhoun est cet art qui fait ressentir ce qu’il y a de plus précieux et de plus chaleureux en soi. Il ouvre les sourires et enchante les cœurs. Il informe l’esprit et rassemble le peuple autour de lui. Il est le sortilège de cette parole chantée. Il est le poème d’une mémoire séculaire portée. Il est notre identité culturelle d’une valeur intemporelle. C’est un héritage socioculturel et un art engagé. Il est poétique. Il honore la femme. Or celle-ci est le noyau de mes écrits et l’héroïne de mes tableaux. Le Melhoun parle d’amour, cette force qui régit l’univers. Le Melhoun est imagé et coloré. Il invite l’écrivain et le peintre. II m’a enlacé en déclenchant mon imaginaire ! Le Melhoun et moi, c’est encore une histoire d’amour ! Toute mon adolescence, j’ai entendu ma mère. Elle chantait d’une voix chaleureuse. Nous vivions en France, notre père, qui tenait à nous enraciner, mes sœurs et moi, dans nos traditions, nous a initiées à son écoute. Le Melhoun nous a reliées à nos origines. Vers lui, je m’épanche avec flamme.

Et votre ouvrage en deux tomes «Musique et plasticité», quelle est sa spécificité ?
Ces deux tomes de «Musique et plasticité» touchent à tous les genres. Le lien subtil de deux magies qui s’entrelacent. La musique peut  vivre sans paroles, se suffire à elle-même. Les sons pénètrent les esprits et les corps en douceur. L’âme frémit et rayonne jusqu’aux profondeurs. La musique nous baigne de ses ondes et nous fait vibrer dans ses vertus ! Elle nous transporte au pays des anges sans s’imposer ! Ses miracles s’opèrent çà et là et guérissent nos maux. Nos cœurs s’ouvrent, nos chagrins et peines s’envolent…

Lequel des deux vous interpelle le plus, l’écrit ou la représentation picturale ?
Dans mon parcours, l’écriture a précédé la peinture. En France, toutes les jeunes filles ont lu le «Journal d’Anne Frank». Avoir son journal secret est devenu une mode. Je n’ai pas échappé à cet engouement. Je lui ai confié mes premiers écrits. Ma famille m’a encouragée. Écrire et peindre est pour moi un couple inséparable. Ce sont deux entités harmonieuses qui s’aiment et qui ne songent pas à se quitter ! Elles partagent leur vision des choses sans se comparer. Renoncer à l’écriture pour peindre exclusivement ou vice versa, c’est comme si on m’obligeait à m’amputer d’un bras. Je ne pourrais m’y résigner. Pour moi, l’écriture permet de lever le mystère de la peinture tout en révélant le message de l’artiste. J’ai une fascination pour les deux. Dans un monde dominé par la matière dans lequel les modes se créent pour se défaire encore plus vite, l’originalité serait de faire place à l’enfant joyeux en nous qui vit sa propre nature sans état d’âme. La représentation picturale est comme l’écrit du mot. La toile se construit sans idée préconçue. Il n’y a ni croquis ni schéma, elle résulte de l’inspiration du moment. Une fois finie, j’y pose un regard aussi pénétrant que contemplatif.  Je suis dans le plaisir de l’accouchement et je m’émerveille de chaque nouveau bébé.

Vous avez dit que le poète et le peintre visitent leur riche et intense intériorité. Est-ce de la même manière ou différemment, puisque vous êtes les deux ?
C’est le sujet de mon livre «Poésie et peinture». Le poète comme le peintre rendent visible l’invisible. Ils se rejoignent dans l’infini. Ils sont complices à travers leurs deux versions de l’imaginaire. L’un et l’autre créent une beauté en action. Le verbe se mêle à la chair. Leur lien racine est une histoire de créativité. Ils méditent et conçoivent avant de contempler. L’intensité vient de la passion qui couve en eux. Elle est un instant fébrile. Même larmes du cœur et même émotion. Ce sont deux visionnaires. Le poète inspiré communique son humeur au peintre. Il en fera les couleurs de l’instant ! C’est une étoile étrange, abstraite qui suggère. Le poète reprend le flambeau mû par l’angoisse de la plume. Ensemble, ils vont danser l’éternel et en perpétuer la beauté ! Les mots du poète sont devenus les formes colorées du peintre. Ce couple rayonne dans la complicité et la complétude. Le but et la finalité recherchés par rapport à mes peintures et à mes textes poétiques est de faire évader les gens de leur quotidien, casser les barrières et les structures. Toute cette programmation reçue depuis qu’on était jeune.

Pensez-vous que ces thématiques écrites avec une touche féminine auraient été abordées de la même manière par un artiste-peintre ?
L’expression des couleurs, des formes, des lumières et le choix des sujets diffèrent déjà d’une femme à l’autre ! La réponse se nuance. Les sensibilités ne sont pas les mêmes. Sans parler de parité ni de place, je pose une autre question : l’artiste homme l’est-il avec un grand H ? L’artiste femme l’est-elle avec un grand F ? Personnellement, je crois à l’androgyne femme ou homme, artiste ou pas nous ne sommes pas les deux. Parions, allons ensemble dans un vernissage mixte, d’artistes débutants dont on ne connaît pas encore la touche, cachons les noms ! Je crois que le jeu en vaudrait la chandelle. J’ai écrit dans mon anthologie «Icônes de la plasticité au féminin» : «De tout temps, il y eut des femmes créatrices de talent. Elles ne pouvaient s’exprimer librement. L’artiste homme, qui tenait à sa place, leur fit de l’ombre. Il faisait de l’art son privilège ! La passion, le courage, le talent et le génie n’ont pas de sexe». Sans discrimination d’ordre sexuel, l’artiste est celui qui a la capacité d’emporter, de transporter les autres dans son propre monde pour les inviter à le questionner, mais aussi c’est celui qui leur permet de s’oublier, de déposer leur quotidien et de se mettre 
à nouveau à rêver. 

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