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Le «Jardin secret», un musée botanique chargé d’histoire

C’est l’histoire d’un lieu magique à Marrakech, de deux Marocains de cœur et d’une équipe engagée pour la sauvegarde d’un lieu laissé à l’abandon pendant des années. Niché au cœur de la médina et dissimulé derrière des murs de 30 pieds de hauteur, le «Jardin secret» est un espace de détente, d’évasion, de fraîcheur, d’histoire et de magie. Ce vaste musée botanique est le fruit d’un travail d’équipe passionnée, engagée et fière de présenter ce jardin pour la quiétude de l’esprit et le plaisir des sens.

Marrakech, ville aux mille et une merveilles, ne cesse de se dévoiler à ceux qui prennent le temps d’en admirer les rues, les ruelles, les murailles et les monuments. Elle raconte une histoire hors du commun, dont elle conserve aujourd’hui encore un patrimoine culturel très riche. L’une de ces histoires nous a été racontée par Fatima Benbrahim, gérante du jardin secret niché en plein milieu de la médina, au détour de la rue mythique de Mouassine. Caché derrière un grand mur à la couleur de la ville, le visiteur entre dans l’un des plus antiques Riads de la médina, un lieu qui a conservé intacts les témoignages de son extraordinaire valeur culturelle liée à l’art des jardins, à l’architecture et à l’hydraulique.
Si ce lieu est chargé d’histoire, sa renaissance sera à jamais liée à ses nouveaux propriétaires qui sont parvenus à le réhabiliter pour en faire un véritable coin de paradis en plein milieu de la ville. «Les prioritaires voulaient au départ construire un établissement hôtelier, mais, grâce à des recherches sur le lieu, ils ont découvert son histoire et ont décidé de le restaurer pour lui redonner son charme d’antan», nous explique Fatima. Fière d’appartenir à cette histoire, elle nous raconte dans les détails le parcours difficile de l’acquisition de ce lieu et surtout la détermination de Lauro Milan, créateur et gestionnaire du projet, et de toute son équipe pour restaurer ce lieu et reproduire fidèlement les détails du Riad construit à l’époque des Saâdiines. Et c’est, en effet, cette histoire qui procure à cet endroit une âme qui nous a séduits et qui enchante les visiteurs. 


Le «Jardin secret», une histoire fabuleuse

Les origines du «Jardin secret» remontent à la deuxième moitié du XVIe siècle, quand le sultan Saâdien Moulay «Abd-Allah avait entrepris l’urbanisation de ce qui est aujourd’hui le quartier Mouassine. Le palais a été détruit à la fin du XVIIe siècle, mais reconstruit vers la moitié du XIXe siècle, par le caïd Al-Hajj 
«Abd-Allah U-Bihi. Peu de temps après, il meurt suite à un empoisonnement. La propriété était alors passée aux mains du Qadi Moulay Mustapha, grand juge qui entretenait des rapports étroits avec la famille régnante. En 1912, le Qadi a échangé le palais contre la demeure de Fès de Al-Hajj Muhammad Loukrissi. Ce dernier, déjà chef de la corporation des horlogers de Marrakech, avait été élu en 1908 chambellan du sultan Moulay Abd Al-Hafid. Dès 1912, Al-Hajj Muhammad Loukrissi s’est fait transféré dans ce palais où il a vécu jusqu’en 1934, année de sa mort. Après cela, la propriété a commencé à ne plus être entretenue et est tombée rapidement en ruine.


Fatima Benbrahim, le cœur battant du «Jardin secret»

«À la base, le «Jardin secret» était l’un des plus beaux Riads de la ville ocre. Malheureusement, il a été abandonné et occupé par des habitats insalubres. Après son acquisition, l’idée initiale était d’y construire un hôtel ou un Riad de luxe, mais les acquéreurs ont découvert que ce lieu avait une histoire. Ainsi, ils ont décidé de le sauvegarder et de renoncer à l’idée de le détruire. Ils ont souhaité faire revivre ce patrimoine et ce lieu chargé d’histoire. Pour ma part, je considère ce projet comme un réel cadeau pour la ville. Ce lieu paisible, situé au cœur de la médina, raconte notre histoire et nous transporte dans un autre monde.
Sur le plan personnel, j’estime que j’ai eu beaucoup de chance pour avoir vécu cette aventure dès le début. J’ai été témoin des difficultés et des obstacles que les acquéreurs ont dû affronter tout au long du processus de l’achat et j’ai été touchée par leurs engagement et détermination pour réaliser notre rêve à tous : celui de sauver ce patrimoine et d’en faire un lieu mythique en plein milieu de la ville. C’est une œuvre qu’ils ont réalisée avec amour et avec du cœur, j’espère que nous, Marocains, nous soyons aussi jaloux de notre histoire, et pourquoi pas copier ce projet ailleurs pour sauvegarder notre patrimoine.
Ce projet c’est mon bébé, je suis fière d’appartenir à cette équipe qui gère et qui fait vivre cet endroit qui représente aussi notre culture et notre histoire. J’appelle les Marocains à découvrir ce patrimoine et à visiter la médina de Marrakech qui représente notre identité… c’est notre histoire à tous.»


Le «Jardin secret», un nom plein de sens

Le choix du nom «Jardin secret» n’est pas anodin. Comme nous raconte 
Fatima Benbrahim, cette appellation reflète la position même du lieu. «Quand on passe dans la ruelle «Massime», on remarque qu’il y a de grands murs. Personne ne soupçonne que derrière ces murs se cache un jardin splendide qui raconte une belle histoire», explique-t-elle. De plus, l’endroit recèle de nombreux secrets que les acquéreurs ont découverts en lançant les travaux d’aménagement. «Parmi les secrets que nous avons découverts ici, il y a le système hydraulique qui était enfoui sous les décombres, mais gardé intact. Au fil des travaux, l’endroit a livré ses secrets petit à petit dévoilant ainsi tous ses secrets qui seront mis en valeur lors de réhabilitation des espaces du jardin.


Le «Jardin secret», un havre de paix

Les espaces verts du «Jardin secret» sont aujourd’hui répartis en Jardin exotique et en Jardin islamique. L’aménagement de ceux-ci a été conçu par le paysagiste Tom Stuart-Smith. Le Jardin exotique abrite des plantes originaires des cinq continents. «Ces plantes se sont adaptées au climat local. Elles nécessitent une surveillance particulière et un entretien continu», nous explique Mohamed, le responsable des espaces jardins.
Le Jardin islamique a, quant à lui, été restauré dans le respect de l’aspect qu’il avait au XIXe siècle. Il est réparti en quatre espaces distincts avec un point d’eau au centre. Cette disposition fait partie de la grande tradition des jardins d’Orient conçus pour être le reflet terrestre du Paradis. Le jardin est la représentation du paradis sur terre, il répond à des règles géométriques strictes, dans lequel l’ordre musulman s’impose sur le désordre de la nature sauvage. On y trouve d’ailleurs quatre arbres cités dans le Coran : le palmier-dattier, le figuier, l’olivier et le grenadier, qui côtoient les allées plantées de massifs colorés et odorants (roses, jasmins, œillets…), ainsi que les plantes aromatiques (basilic, menthe, verveine, citronnelle…). Presque toutes les plantes destinées au jardin proviennent du Maroc lui-même. Les palmiers, les arbres d’agrumes et les oliviers ont été transplantés et viennent d’exploitations agricoles locales.


Mohamed, Monsieur jardin !

«Le «Jardin secret» se compose de deux parties un peu contrastées : le Jardin exotique qui est moderne et romantique et le Jardin islamique qui respecte la particularité des jardins arabo-musulmans et également andalous. Hormis le palmier centenaire que nous avons gardé, le reste des plantes a été intégré en parallèle des travaux de restauration du lieu, et cela a nécessité un travail colossal de la part de toutes les équipes.»


Un patrimoine architectural valorisé

Le «Jardin secret» est formé de deux ensembles bien distincts, chacun d’entre eux étant considéré comme un Riad. Entouré de hauts murs sans fenêtres, le Riad, de plan rectangulaire, s’articule autour d’un vaste jardin. Au centre de ce dernier, que le croisement de deux allées surélevées divise en quatre parterres, s’élève une vasque en marbre. Les pavillons du «Jardin secret», précédés par des portiques à arcs brisés et à linteaux en bois, ont des plafonds aux poutres apparentes, des portes à deux battants et des fenêtres basses. L’importance du palais, dont témoignent d’abord ses dimensions considérables, est soulignée par la présence du hammam privé, de la «Qubba» et de la tour : se dressant au-dessus de la médina, la tour et la «Qubba» symbolisaient la richesse et le pouvoir de leur propriétaire. Au niveau ornemental, le «Jardin secret» est caractérisé par l’important usage du «Tadelakt», appliqué sur des murs en briques et en pisé. L’excellence de l’artisanat local est également attestée par les «zelliges» et les «Bejmat» provenant de Fès, par le bois de cèdre marqueté, ainsi que par les plâtres sculptés à la main et les peintures géométriques réalisées par des maîtres décorateurs.
La tour du «Jardin secret» atteint la même hauteur que certains des minarets de la ville et offre une vue unique sur la médina et ses alentours, ainsi que sur les montagnes de l’Atlas. Il n’existe presque plus de constructions de ce genre à Marrakech.
(Source : lejardinsecretmarrakech.com)


Un système hydraulique ingénieux

 

L’un des secrets de ce lieu est son système hydraulique que les propriétaires ont découvert lors des premiers travaux de restauration et ont décidé de sauvegarder et de réhabiliter. «Nous avons découvert des conduits d’eau et des traces de bassins enfouis sous les décombres. Et la décision était vite prise, il fallait réhabiliter ce système ingénieux, mais pour cela, il y a eu d’abord un travail de recherche pour comprendre les mécanismes de fonctionnement adoptés par nos ancêtres», explique Fatima.
Comme presque toujours dans les jardins islamiques, au cœur du «Jardin secret» se trouve une source. Les fontaines, les vasques en marbre et les bassins du Riad donnent lieu à des jeux de lumière, tandis que le murmure continu de l’eau favorise la sérénité du milieu et l’introspection. «Au XIe, une tradition hydraulique millénaire et la proximité de la chaîne de montagnes de l’Atlas avaient conduit les Almoravides à la réalisation de la première «Khettara» de la cité. La «Khettara» est une galerie drainante souterraine à travers laquelle l’eau était acheminée jusqu’aux mosquées, aux hammams et aux fontaines de la cité. L’eau alimentait aussi quelques grandes demeures, parmi lesquelles figure le «Jardin secret», qui disposait par conséquent d’eau domestique, un privilège rare et un signe supplémentaire de sa richesse. On peut ainsi encore voir aujourd’hui les témoignages du système hydrique initial du Riad, formé de conduites, de bassins et de canaux savamment reliés entre eux», explique-t-on dans les affiches qui illustrent ce système.

Les parcours de l’eau
Les parcours de l’eau montrent bien la façon dont l’eau provenant de l’Atlas était distribuée à l’intérieur du palais pour irriguer les jardins et alimenter les cuisines, le hammam et les fontaines. On peut ainsi voir le système originaire de gestion de l’eau du complexe, qui remonte à plus d’un siècle et qui est le fruit d’une technique hydraulique ingénieuse.


La restauration, un travail de passionnés

Pour expliquer le processus de restauration du Jardin, il convient de se référer au livre publié par Tom Stuart-Smith à l’occasion de l’ouverture du «Jardin secret», en mars 2016. «La restauration du Riad se déroula sur trois ans, entre 2013 et 2016, et a été directement supervisée par Lauro Milan et Sante Giovanni Albonetti, respectivement gestionnaire du projet et superviseur du Jardin. Les nouveaux bâtiments ont été conçus par Karim El Achak, les plans du jardin ayant été préparés par le paysagiste Tom Stuart Smith, qui s’est aussi occupé de la plantation. Les travaux avaient commencé par l’élimination des logements et des gravats qui encombraient le jardin. Il était en grande partie impossible de voir la disposition originale des allées et des canaux d’eau, un certain nombre de bâtiments ayant été construits sur le jardin depuis les années 1930.
Néanmoins, on a vite compris qu’il y avait beaucoup plus de vestiges du jardin initial que prévu, que les bâtiments récents avaient été construits directement sur l’ancien jardin sans fondations. Une fois le site parfaitement dégagé, la disposition des allées et les parcours de l’eau étaient devenus plus clairs. Les experts du LAAC (Laboratoire d’archéologie et d’architecture de la ville) de Grenade, en Espagne, ont fait une analyse des restes qui a révélé une partie de la configuration de la construction d’époque saadienne, sur laquelle avait été construit le Palais alaouite. On a aussi découvert les fondations d’un pavillon de jardin antérieur, à l’extrémité ouest du Jardin exotique. Il était alors évident qu’il fallait redessiner ce dernier de manière à intégrer ces découvertes, et construire directement sur les fondations du pavillon perdu.
Pour le travail de restauration, on a utilisé, dans la mesure du possible, des matériaux traditionnels, afin de respecter les techniques locales de construction du XIXe siècle, mais on a aussi pris soin de faire une distinction entre les nouvelles constructions et les anciennes.»

Extrait du livre «Le Jardin secret Médina-Marrakech»

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