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L’émouvant adieu de Son disciple et compagnon, Maître Azzeddine Kettani

Mohamed El Mernissi, professeur à la Faculté de droit et pionnier de l’arbitrage, nous a quittés le 11 février des suites de la Covid-19, laissant derrière lui une communauté du droit des affaires affligée et plusieurs générations d’étudiants et de juristes qu’il a formées, endeuillées. Sa longue carrière qui a débuté il y a plus de 50 ans, en a fait l’un des experts les plus reconnus en arbitrage commercial et en droit des sociétés. Son disciple et compagnon, Maître Azzeddine Kettani, avocat et professeur des Facultés de droit, livre un témoignage émouvant sur les qualités du défunt.

L’émouvant adieu de Son disciple et compagnon, Maître Azzeddine Kettani
Le défunt Mohamed El Mernissi.

La douleur que la résignation ne vaincra pas ! Le décès brutal qui laisse sans voix, la disparition qui laisse le vide que ni les larmes, ni la compassion ne comblent.
Le meilleur d’entre nous est parti. Mon ami d’enfance, d’adolescence, de faculté, de toujours,  mon compagnon, mon confident, mon complice, mon conseiller, mon collègue, le Professeur, le Savant, l’Érudit, le Conciliateur, l’Arbitre, le Sage, le Discret, le Modeste, le Fidèle, le Mari exemplaire, le Père et Grand-Père bienveillant, le Bienfaiteur, l’honnête homme, le Voyageur vient d’embarquer pour  le Grand Voyage, Le dernier, au son de «Qadam raml almaya» qu’il affectionnait tout particulièrement . Si Mohamed El Mernissi n’est plus. Son téléphone s’est tu pour toujours.
Il n’arpentera plus les couloirs de la Faculté, ne dispensera plus son savoir aux étudiants qu’il a toujours aimés et qui le lui rendaient bien, avec admiration  et respect ; ceux que tous les professeurs, les doyens et recteurs successifs, ses collègues et confrères lui témoignaient et d’autres qui ont gravi les marches qui mènent au succès dans de hautes fonctions et qui jadis furent ses étudiants. Mon ami n’avait guère besoin de lauriers et pourtant ils étaient autour de son cou, il en était couvert. Il le savait avec humilité et restait toujours égal à lui-même n’en tirant aucune gloire. Comme pour dire Adieu, il légua l’an dernier à la postérité une œuvre de 20 ans, le seul traité de droit marocain faisant autorité en droit des sociétés. Il y a mis toute sa richesse, la seule qui  comptait à ses yeux, celle de la connaissance. Je le pleure et le pleurerai encore. Il m’a apporté pendant plusieurs décennies, par sa fidèle amitié, le réconfort, la joie ou le soutien nécessaire dans les moments de chagrin. Je prie et prierai encore et toujours pour que Dieu l’accueille avec miséricorde.
Nous nous sommes connus enfants à Fès, de parents déjà amis et honnêtes commerçants qui nous ont inculqué très tôt des valeurs dont on ne se défait pas, et avec lesquelles il ne transigeait pas .La probité, l‘honnêteté, la sincérité, la rigueur sont entre autres celles qui commandaient tout ce qu’il faisait. Au collège, il était le plus studieux d’entre nous, à la Faculté de droit de Rabat, le plus sérieux, d’une curiosité juridique sans borne qu’il mit à profit ensuite à Paris en préparant son doctorat couronné d’une belle thèse et rejoignit le barreau de Paris pour un temps avant de se rendre à l’évidence, à savoir qu’il était fait d’abord pour l’enseignement.

C’est alors qu’il  répondit à l’appel du pays en me rejoignant à la Faculté de Rabat. Ce fut des retrouvailles aussi joyeuses que laborieuses et riches. Nous étions un tout petit groupe d’enseignants marocains qui avait la charge de plusieurs matières en même temps, en qui, les doyens successifs placèrent une confiance sans limite dont nous nous sommes efforcés d’être dignes. Cette confiance fut confirmée par nos gouvernants de toute tendance et voilà que tu  fis partie avec compétence et abnégation de différentes commissions de réforme de notre législation, et voilà que l’on fit appel à toi pour siéger au premier Conseil de la concurrence et dans d’autres organes, répondant toujours présent sans réserve, malgré les charges de ton cabinet  de conseil. Oui un cabinet dont on a rapidement découvert la raison d’être :  apporter aux étudiants le regard d’un praticien au moyen des dossiers importants que tu eus à traiter et enrichir ces dossiers par le contact constant et constamment renouvelé avec le droit et ses théories tel que tu étais chargé de les exposer en amphithéâtre. Et comme l’arbitrage est rapidement devenu ta passion, tu en devins le maître incontesté au plan national et international et tu créas au sein de la CCI-Maroc, La Cour marocaine d’arbitrage qui fait autorité parmi les institutions d’arbitrage. Elles nous manqueront d’ailleurs ces réunions dans ton bureau, devenu celui de cette Cour, agrémentées de  thé et de délicieux gâteaux qui encourageaient l’assiduité.
Plus de 50 ans se sont ainsi écoulés au service de la Faculté et du droit et la retraite administrative est arrivée, mais il n’y eut pas de retraite de l’université et nous continuâmes ensemble côte à côte, bénévolement mais passionnément, à assurer nos cours, toi en droit commercial et des sociétés, moi en droit des obligations, mais toi comme moi, nous eûmes à enseigner pratiquement toutes les matières de droit privé et nous en avons été très heureux  à plus d’un titre. En effet, sans en tirer aucune gloire, nous nous sommes notamment réjouis, plus d’une fois, en apprenant que tel ou tel ancien étudiant ou telle ou telle ancienne étudiante ont accédé à de hautes fonctions publiques ou ont brillamment réussi dans leur vie professionnelle.
Si Mohammed n’aimait pas  les témoignages de reconnaissance à son endroit, sauf celui qu’il reçut de Sa Majesté le Roi Mohamed VI quand il l’honora de la distinction de chevalier de l’Ordre du Trône, mais il n’en était pas avare vis-à-vis des autres. Il était généreux avec les autres et très exigeant envers lui-même. Ils nous manqueront aussi ces petits dîners à 4 ou 5 vieux amis, toujours les mêmes, pendant lesquels  seulement entre nous, nous remémorions l’insouciance de notre enfance, la douceur de notre adolescence, les bons et les mauvais jours passés et aussi un ami qui venait de partir, de nous quitter. Cette fois c’est toi, contre toute attente, qui a quitté la table.

SI Mohammed, tu es parti sans terminer ton cours du mercredi de «droit de la restructuration des entreprises» au Master 1 de droit des affaires, ni ton cours sur la résolution des conflits du master 2. Je t’ai excusé auprès de nos étudiants communs. Mais ils n’ont pas compris. Moi non plus.
La mort a vaincu tes passions, même celle que nous partagions pour Fès notre ville natale, et nous n’avons même pas pu exhausser ta dernière volonté, celle  d’y être enterré, à Leguebeb, aux côtés de ton très cher père. En fait tu as changé d’avis pour rester près de Jeannick que tu appelais tendrement Charikat Al Hayat, de Saad et Lamyaa tous inconsolables et de tes amis  à qui tu as faussé compagnie !
Quant à toi et moi, nous continuerons ainsi à Casablanca, à refaire le monde comme nous l’avons fait, en vain, tous les jours depuis près de 60 ans. Alors pas d’adieux mais un au revoir en larmes, car tu n’es pas mort. Personne ne le croit. 

Par Azzedine Kettani, 
professeur à la Faculté de droit

 

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