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L’hépatite C tue treize Marocains par jour !

Le monde entier a célébré, hier mercredi 28 juillet, la dixième Journée mondiale contre l’hépatite. Il s’agit d’une occasion pour mieux faire connaître l’hépatite virale, cette inflammation du foie à l’origine de différentes maladies graves. Le thème retenu pour cette année est «L’hépatite ne peut plus attendre». D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une personne meurt toutes les 30 secondes d’une hépatite virale, même pendant la crise actuelle liée à la Covid-19. Au Maroc, l’Association de lutte contre le sida (ALCS) affirme que l’hépatite C tue 13 Marocains par jour et appelle toutes les parties prenantes à se mobiliser pour lutter contre ce tueur silencieux.

L’hépatite C tue treize Marocains par jour !

Des porteurs du virus qui s’ignorent faute de dépistage

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un total de 325 millions de personnes serait atteint d’hépatite virale B (HVB) ou C (HVC) de par le monde, causant près de 1,1 million de décès par an.
Au Maroc, le ministère de la Santé a indiqué, dans un communiqué publié à l’occasion de la Journée mondiale contre l’hépatite virale, que la prévalence des hépatites virales en population générale est estimée à 2,5% pour l’HVB et 1,2% pour l’HVC. Des études limitées à certains groupes vulnérables avaient rapporté des prévalences plus élevées, notamment chez les hémodialysés, les injecteurs de drogues et les personnes vivant avec le VIH. De son côté, l’Association de lutte contre le sida a rappelé que l’hépatite est une infection virale insidieuse, transmissible par le sang et qui peut se résorber d’elle-même ou développer des formes graves provoquant une cirrhose, voire un cancer du foie. «Au Maroc, on estime que 400.000 personnes vivent avec le virus de l’hépatite C, mais l’écrasante majorité l’ignore faute de dépistage», déplore l’Association.

«Très peu de personnes connaissent leur statut sérologique et, parmi les personnes diagnostiquées, peu ont accès au traitement. En effet, celui-ci coûte assez cher et n’est toujours pas disponible dans les centres de soins du ministère de la Santé. Seules les personnes ayant les moyens financiers de se soigner dans le secteur privé ont réussi à être prises en charge et soignées. Conséquences : plus de 5.600 nouvelles infections et 5.000 décès liés aux complications de l’hépatite C sont enregistrés chaque année au Maroc», indique l’ALCS dans un communiqué. Et d’ajouter qu’«Au regard des progrès de la médecine, cette situation est aujourd’hui inacceptable. Les techniques de dépistage et de diagnostic se sont simplifiées, les médicaments sont d’une efficacité remarquable. Éliminer cette pandémie est donc désormais atteignable. L’Organisation mondiale de la santé l’a d’ailleurs confirmé dans sa première stratégie mondiale et a fixé la réalisation de cet objectif de santé publique d’ici à 2030».

Par ailleurs, l’Association souligne que le virus de l’hépatite C affecte de manière disproportionnée les populations marginalisées, notamment les personnes usagères de drogues par injection. Souvent stigmatisées et criminalisées, ces personnes ont une prévalence relativement alarmante de 79% à Nador et 45% à Tanger alors que la prévalence chez la population générale est de 1,2%. «C’est au sein de ces communautés que l’ALCS, membre fondateur du réseau international Coalition Plus, soutient et mobilise les personnes infectées ou affectées par l’hépatite C. Depuis 2015, grâce au soutien d’Unitaid à travers le projet “Accès aux traitements anti VIH/VHC” mis en œuvre dans 7 pays dont le Maroc. L’ALCS a développé des services spécifiques à base communautaire pour offrir aux populations les plus vulnérables un meilleur accès au dépistage et à l’aide à la mise sous traitement», lit-on dans le communiqué de l’Association.  

«Destination Élimination», l’histoire d’une mobilisation en 61 photos

L’Association de lutte contre le sida et Coalition Plus, réseau international d’associations de lutte contre le sida et les hépatites virales, présentent l’exposition photographique virtuelle, «Destination Élimination». Quelque 61 photos signées de six photographes racontant le parcours intime et politique de femmes et d’hommes mobilisés contre une pandémie méconnue, celle de l’hépatite C. «Mettre en lumière leur combat, c’est rappeler ce qui est pour nous une évidence : l’élimination de l’hépatite C ne pourra devenir réalité que si les communautés les plus vulnérables sont systématiquement impliquées dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de santé qui leurs sont destinés», alerte Pr Mehdi Karkouri, président de l’ALCS.
«Cette exposition photographique témoigne de l’hommage que nous souhaitons adresser à tous/toutes ces militant(e)s engagé(e)s dans la lutte contre l’hépatite C dans le monde, lutte encore trop souvent ignorée. Nous avons pu, avec eux et avec elles, nouer le dialogue avec les autorités, faire reconnaître les besoins des communautés et obtenir des avancées substantielles qui ont permis d’améliorer non seulement la santé, mais aussi la vie de très nombreuses personnes», renchérit Hakima Himmich, présidente de Coalition Plus. 

Le grand coup de main de l’ALCS 

Au-delà de la prise en charge, l’ALCS œuvre à faire évoluer, avec l’appui de Coalition Plus, les politiques publiques de lutte contre l’hépatite C afin que soient mieux pris en compte les besoins des personnes concernées et qu’un accès universel aux traitements soit garanti.
«Au bout de six ans de mobilisation communautaire du réseau Coalition Plus, des milliers de vies ont été sauvées et d’importantes victoires ont été obtenues dans le but ultime de parvenir à l’élimination de la pandémie d’ici 2030», indique l’Association.
Au cours de ses années de combat, l’ALCS a pu contribuer à la lutte contre les barrières aux soins de l’hépatite C, en accompagnant le ministère de la Santé à élaborer son premier plan stratégique national de lutte contre les hépatites virales 2016-2021 (plan qui n’est malheureusement toujours pas déployé) et à réviser les guidelines ce qui a permis de décentraliser le diagnostic et réduire considérablement son coût. L’Association a également plaidé pour le financement du plan stratégique national de lutte contre les hépatites virales au Parlement et au niveau des régions et a œuvré pour la promotion du dépistage, en formant des centaines de volontaires et agents communautaires sur la sensibilisation, le dépistage et le counselling du virus de l’hépatite. 

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Questions à Mehdi Karkouri, président de l’ALCS

«La généralisation de l’accès au traitement du virus de l’hépatite C au Maroc permettrait de sauver plus de 71.000 vies»

Comment pouvez-vous décrire la situation des personnes atteintes d’hépatite C au Maroc ?
En termes épidémiologiques, on estime que 400.000 Marocains environ vivraient avec le virus de l’hépatite C et 5.000 Marocains en meurent chaque année. Une étude a été réalisée par le ministère de la Santé, mais nous n’en avons toujours pas les résultats. Il existe un traitement capable de guérir complètement l’hépatite virale C depuis quelques années, sous forme de comprimés, avec très peu, voire pas du tout d’effets secondaires. Ce traitement est disponible au Maroc, produit sous forme de générique par l’industrie pharmaceutique marocaine et coûte, environ 13.000 dirhams la cure. C’est beaucoup moins que les prix européens, mais toujours très élevé pour notre pouvoir d’achat, d’autant plus que les personnes les plus démunies, les Ramedistes, en sont exclues, car ce traitement n’est pas disponible dans les hôpitaux.

Grâce à notre affiliation au réseau «Coalition Plus», très impliqué dans ces questions, nous avons pu mener une étude sur le coût de l’inaction et dont les conclusions sont sans appel. La généralisation de l’accès au traitement du VHC au Maroc permettrait de sauver plus de 71.000 vies, de prévenir 140.000 nouvelles infections, la survenue de cancer chez 37.375 Marocains et la cirrhose décompensée chez 29.814 Marocains d’ici 2050. Cela permettrait également d’épargner 20% des coûts totaux relatifs à la prise en charge médicale et soulager le Budget de l’État et des citoyens en évitant un coût relatif à la prise en charge de l’infection et de ses complications estimées entre 44 à 52% du produit national brut.

Quel impact a eu la pandémie Covid-19 sur ces personnes ?
Les personnes qui vivent avec une hépatite virale sont exposées et fragilisées en cas d’infection au Sars-CoV-2. Ces personnes doivent donc être encore plus prudentes que les autres et respecter scrupuleusement toutes les mesures barrières pour se protéger.
Pour les personnes déclarées, elles ont été prioritaires pour l’accès à la vaccination contre le coronavirus et ont pu se protéger. Malheureusement, toutes les populations vulnérables, et ce, sont celles qui sont le plus touchées par l’hépatite C, ne pourront pas avoir accès à la vaccination parce qu’elles ne disposent que rarement d’une pièce d’identité, sésame indispensable à la vaccination.

Que pensez-vous du plan national du ministère de la Santé pour lutter contre l’hépatite ?
Nous attendons depuis 2016 que le plan stratégique de lutte contre les hépatites virales soit mis en œuvre. C’est là la priorité. Ce plan stratégique a été élaboré par le ministère de la Santé pour les années 2016-2021 par une approche participative multisectorielle. Ce plan souligne «les principes et les éléments d’orientation pour restructurer la réponse nationale aux hépatites virales, les résultats attendus dans les six prochaines années ainsi que les stratégies à même de garantir des services de prévention de dépistage et de prise en charge des hépatites virales accessibles à la population pour la période 2016-2021».
Malheureusement, il n’a, à ce jour, pas été financé ni mis en œuvre. Dès lors que le plan sera lancé, il sera possible de prendre en charge les personnes atteintes par le virus de l’hépatite C.

Quelles sont, d’après vous, les solutions pour venir à bout de cette pandémie ?
D’abord et avant tout : lancer en urgence le plan stratégique national. Celui-ci comprend un volet dépistage, indispensable pour identifier les personnes porteuses du virus, et un volet traitement. Ce qui permettrait de prendre en charge les personnes qui en ont le plus besoin et qui sont les plus vulnérables. En plus des recommandations précédemment citées, il apparait important de permettre aux médecins généralistes, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, de suivre les personnes nouvellement infectées par le virus de l’hépatite C (et ne présentant aucun signe de complication ou de comorbidité). Grâce à l’implication des médecins généralistes, le processus de prise en charge des personnes affectées par le VHC sera accéléré.
En résumé, nous demandons urgemment au ministère de la Santé d’accorder la priorité qu’il mérite au problème de l’hépatite virale C, de mettre en œuvre le plan stratégique national de lutte contre les hépatites virales, de lancer des campagnes de dépistage du VHC et d’impliquer les médecins généralistes dans le suivi et le traitement des personnes affectées par le VHC (sans aucune comorbidité).

Quelles sont les actions de l’ALCS pour lutter contre cette maladie au Maroc ?
C’est en raison de nombreuses similitudes entre le VIH et les virus de l’hépatite virale que les associations de lutte contre le sida, de par le monde, se sont intéressées également à la lutte contre les hépatites virales. L’ALCS n’est pas une exception et mène depuis 2014 plusieurs actions visant l’accès universel aux soins de l’hépatite C au Maroc, actions qui ont été structurées à partir de septembre 2016 dans le cadre de son programme de plaidoyer. Dès lors, une accélération du processus d’inclusion des hépatites dans les programmes de l’ALCS a été induite. Les associations de lutte contre le sida peuvent mettre à disposition de la lutte contre les hépatites virales leur expertise, en termes de dépistage, orientation, soutien et prise en charge des personnes concernées.
Il ne s’agit pas uniquement de tester, mais il est indispensable de traiter pour arrêter l’hémorragie ! Le traitement existe au Maroc, il est produit localement, mais il n’est accessible qu’à une frange minoritaire des Marocains à cause de son coût. Aujourd’hui, il faut débourser, en traitement autour de 13.000 dirhams, sans compter les honoraires des médecins spécialisés ni ceux des bilans biologiques !  n

 

 

 

 

 

 

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