Le Matin : Qu’est-ce qu’un Rais de la musique amazigh ? Qu’est-ce qu’il faut comme critères pour mériter ce nom ?
Est-ce que cette anthologie rassemble tous les Rrways de la musique et du chant amazighs au Maroc ?
La réalisation de l’Anthologie des Rrways a été une aventure très intéressante, riche en découvertes et en rencontres. Elle offre aujourd’hui le panorama le plus large possible de l’art des Rrways. Le projet a nécessité la mobilisation de 80 musiciens, dont 50 interprètes, qui ont été enregistrés pendant près de trois mois au studio Hiba à Casablanca. De talentueux musiciens, sélectionnés parmi les plus fins connaisseurs de la tradition de Tirruysa, ont participé à cette anthologie pour accompagner les Tarrwaysin et les Rrways. Et en plus de ceux qui figurent dans cette Anthologie, on a cité pour mémoire les Rrways Boubakr Azaâri, Mohamed Outznakht,Mohamed Boudraa, Abdellah Bendriss, Mohamed Oumourak, Mohamed Ou Taouloukoult, Mohamed Aggilloul, Lahoucine Chena, Mohamed Abaâmran ainsi que les Tarrwaysin Abouch Tamassit, Ftouma Talgricht, Saâdia Tatiguit ou encore Zehra Talbensirt. Je pense que la majorité des figures de cet art sont présentes dans cette Anthologie.
Pour la sélection des 100 titres de l’Anthologie, avez-vous eu recours à une commission spécialisée dans la musique amazighe ?
Cette Anthologie a pu voir le jour grâce à l’implication et à la mobilisation spontanée de nombreux chercheurs, musicologues, techniciens et artistes dont une cinquantaine d’interprètes venus de plusieurs villes du Maroc, avec la volonté commune de partager leur art et de contribuer à sa préservation et à sa transmission. En tout, il a fallu deux ans de recherches, des centaines d’heures d’enregistrement, de mixage, de mastering et de discussion afin de rassembler dans un ouvrage de qualité les morceaux les plus significatifs des répertoires anciens, mais également des nouveaux ambassadeurs de la musique des Rrways. Nous avons enregistré plus de 150 titres, dont nous avons gardé 100 titres.Croyez-vous que cette musique pourra être perpétuée par les jeunes générations ou bien elle sera considérée comme un patrimoine précieux à sauvegarder ?
Les jeunes Rrways et Tarrwaysin ont donné un nouvel élan à un style qui, dans un contexte de mondialisation, souffre d’un problème de transmission. De ce fait, la nouvelle génération a grandi tout en bénéficiant d’un enseignement scolaire général que n’a pas connu la génération précédente, traditionnellement formée au contact d’un Raïss. Ces jeunes n’hésitent pas à fusionner avec d’autres tendances et à pousser la fraternisation entre instruments traditionnels et modernes. Cette Anthologie «Rrways, Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes» est cette fois-ci un hommage aux Tarrwaysin et aux Rrways, trésors humains vivants, ainsi qu’à toutes les personnes qui perpétuent cette tradition artistique qui fait partie intégrante du patrimoine musical national. L’art des Rrways perd malheureusement de son influence auprès de la population marocaine, au profit d’autres formes musicales plus modernes. En réalisant cet ouvrage, j’ai donc voulu apporter ma pierre à l’édifice dans la préservation des formes artistiques traditionnelles, car elles constituent le patrimoine culturel marocain et sont essentielles pour construire une mémoire collective pour les générations futures. L’art des Rrways, à travers cette anthologie, a pour vocation d’être sauvegardé et diffusé par le biais des plateformes. Mais le propre de l’art est aussi son perpétuel mouvement. Ainsi, la musique des Rrways dans sa tradition la plus pure offre un socle à de nouveaux artistes qui la perpétuent tout en la fusionnant avec d’autres styles musicaux. L’art des Rrways n’est donc pas figé, il évolue au fil du temps, mais n’est pas près de disparaître.Vous avez dirigé ce travail depuis les premières recherches, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées au cours de l’accomplissement de ce projet de sauvegarde patrimoniale ?
Au départ, nous souhaitions parcourir le Maroc et aller directement à la rencontre des artistes, puis les enregistrer à l’aide d’un studio portatif et itinérant. Mais nous avons finalement abandonné cette idée, car le studio Hiba offrait une meilleure qualité d’enregistrement et permettait de réunir plusieurs artistes de différentes régions dans un même lieu, et créer ainsi une émulation. Pour pouvoir réaliser l’Anthologie, nous avons dû faire face à plusieurs contraintes. D’abord, il s’est avéré difficile de récupérer les droits d’exploitation des œuvres déjà enregistrées sous forme de vinyles par «les anciens». En effet, les sociétés de production actives dans les années 1970 ont fermé et il a été compliqué d’identifier tous les héritiers et ayants droit des labels et des artistes disparus. Nous avons, donc, décidé de travailler avec les artistes d’aujourd’hui, la nouvelle génération, mais aussi les artistes d’un certain âge qui ont arrêté de se produire depuis de nombreuses années. Ensuite, le budget a été dépassé, et on a dû faire une ré-allocation des budgets pour couvrir les frais non prévus. Il était très difficile de trouver des mécènes en cette période de crise. Enfin, le projet a été retardé par la pandémie de la Covid-19. Malgré ces difficultés, nous nous sommes adaptés et avons trouvé des solutions afin que l’Anthologie puisse voir le jour malgré le retrait de quelques partenaires. Nous sommes très heureux de la parution de cet ouvrage, j’espère qu’il va contribuer à faire rayonner la musique amazighe et le patrimoine immatériel de notre pays.