Le Matin : Quels rôles les talents africains devront-ils jouer dans la transformation du continent ?
Comment créer une synergie constructive et une dynamique auprès des talents à l’échelle continentale ?
Commençons par mettre en avant cette notion de «dynamique». Un territoire est réellement une dynamique vivante, évolutive et interdépendante. La synergie existe par défaut, de par le patrimoine commun, l’histoire commune, et l’appartenance au même territoire/continent. Une synergie constructive justement viserait à mettre en avant ce qui réunit, ce qui soude, ces aspects qu’on a en commun, ces aspirations qui nous rassemblent et dont le retour sur investissement ferait émerger tout le continent. L’enjeu serait d’arriver à mener un dialogue structuré au niveau du continent, afin de monter un sociogramme continental, avec des indicateurs précis : population, capital humain, ressources et richesses, dynamique relationnelle entre les pays, enjeux financiers, axes de développements, freins aux échanges…à partir de ce sociogramme, il serait plus simple de mener des actions communes, et signer des conventions d’échange multipartites. Encore un exemple concret : en observant une simple carte de l’Organisation mondiale de la santé, concernant la mortalité suite à l’accouchement, il a été constaté que le continent ne manque pas de médecins gynécologues, ni de compétences à ce niveau-là, la simulation d’une redistribution géographique de ces compétences a même démontré qu’on aurait un médecin pour 3 accouchements par jour. Et donc, ce n’est ni un problème de ressources ni un problème de compétence, et le continent peut-être considéré le continent le plus riche en termes de ressources, mais aussi en termes de capital humain, avec un avenir prometteur et une population jeune et active.
La fuite des talents est un mal qui touche le continent. Quels enjeux pour l’avenir et quelles actions entreprendre en urgence ?
Pour être honnête, je pointerais la notion d’appartenance et d’appropriation. Malheureusement, le continent traîne une histoire de colonisation tragique, avec tout ce que cela implique comme mémoire, violence, retombées politiques économiques sociales et culturelles. Aujourd’hui, on en est certainement loin, mais l’impact sur les populations est encore important. Il y a cette notion de dénigrement des compétences locales, liée à cette histoire et cette croyance ancrée par l’époque de colonisation, où l’estime de soi a été totalement détruite, et la fascination pour ce qui est étranger puisqu’il est forcément meilleur. La solution serait de renouer avec la notion d’appartenance, cette appartenance qui implique une responsabilité envers son pays et son continent, et qui donnerait du sens à tout sacrifice, et renforcerait le sens d’abnégation. Après la libération du continent, la phase de transition a malheureusement connu sur le plan politique beaucoup de conflits souvent armés, de guerres de pouvoir, et quelques dictatures sanguinaires. Ceci a largement contribué à couper le citoyen du système décisionnel, à le couper aussi de son propre territoire, l’exemple connu du lampadaire saccagé en est la preuve : si le citoyen avait ce sentiment d’appropriation, s’il était certain que ce lampadaire de rue lui appartient, qu’il a été planté là pour lui, il ne l’aurait pas vandalisé. À plus grande échelle, les compétences locales se sentent encore «non impliquées» et donc «non concernées» par les programmes de développement locaux, le meilleur moyen de les garder serait de les impliquer, et de leur permettre de s’approprier ces projets. Pour chaque thématique, veiller à les impliquer en tant que partie prenante dans le périmètre de leur domaine, et leur permettre de participer aux prises de décision et l’implémentation de projets.Comment le management peut-il contribuer à la réussite de l’implantation d’entreprises marocaines dans le continent ?
Le Management est responsable des valeurs de l’entreprise, de son identité, du message diffusé au monde. Il lui incombe la responsabilité d’afficher son identité africaine. D’un autre côté, il a été constaté que les entreprises marocaines déjà installées en Afrique ont découvert le continent et les possibilités de business à travers le tourisme et donc par pur hasard. Il est peut-être temps d’inverser la tendance, et partir à la découverte du continent de manière organisée, avec une vraie vision entrepreneuriale. L’organisation de sommets ou de banques d’opportunités serait un bon moyen de se découvrir et de lancer une dynamique commerciale. n