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Le Maroc, mémoire de la biodiversité de la Terre

À travers ses paysages changeants dessinés par l’histoire géologique, résultant d’une remarquable diversité physique environnementale, le sol du Maroc est considéré par les paléontologues comme une bibliothèque du passé, un conservatoire d’archives de la vie et des espèces disparues. C’est au Maroc que se trouve la collection la plus complète des volumes du grand livre de la nature ! Les pages de ces volumes, admirablement exposées depuis les escarpements du Rif jusqu’aux hamadas du Sud, reflètent l’histoire géologique depuis plus de 3,2 milliards d’années.

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La géologie et la biologie font un duel pour la recherche en biodiversité, la première archive la seconde. L’exploration minutieuse du territoire du Maroc a révélé à la fois cette richesse géologique et biologique. Comme on trouve au Maroc une grande variété de roches sédimentaires, on y rencontre par conséquent des restes de fossiles d’animaux et de végétaux extrêmement variés, remontant jusqu’au Paléozoïque. L’Anti-Atlas, très riche, témoigne de cette double vie géologique et biologique, puisque on y a découvert des fossiles d’organismes allant du Cambrien au Carbonifère. Par exemple, la découverte dans cette région de fossiles de Paradelograptus nornegicus, datés de l’Ordovicien, témoigne de la migration de cette espèce vers le Maroc lorsque les super continents étaient compacts avant la dislocation de la Pangée.

À travers ses paysages changeants dessinés par l’histoire géologique, résultant d’une remarquable diversité physique environnementale, le sol du Maroc est considéré par les paléontologues comme une bibliothèque du passé, un conservatoire d’archives de la vie et des espèces disparues. C’est au Maroc que se trouve la collection la plus complète des volumes du grand livre de la nature ! Les pages de ces volumes, admirablement exposées depuis les escarpements du Rif jusqu’aux hamadas du Sud, reflètent l’histoire géologique depuis plus de 3,2 milliards d’années, et de la vie sur terre depuis le Cambrien (520 millions d’années). À travers les différents faciès de la carte géologique du Maroc, les archives fossiles du sol marocain sont donc d’excellentes références de cette biodiversité pour la mémoire de la Terre ; on peut y lire, de manière chronologique, l’histoire du Paléozoïque (520 à 250 millions d’années), du Mésozoïque (250 à 65 millions d’années) et du Cénozoïque (65 millions d’années à nos jours), et même comprendre l’évolution de l’Homme à travers les découvertes archéologiques (de 1,2 million d’année à Casablanca jusqu’à 300.000 ans à Irhoud). Le sol du Maroc recèle donc les preuves de l’existence de 75% des formes de vie sur notre planète. Et dont la signature est lisible à travers ses magnifiques paysages, ses roches, ses fossiles et ses minéraux.

Par ailleurs, dans l’Anti-Atlas, d’autres gisements ont livré de nombreux fossiles, poissons, mollusques, végétaux, dents de crocodiles. Ces fossiles découverts attestent déjà, en ces temps reculés, la présence de l’océan au Sahara. C’est dans la région d’Alnif, petite palmeraie de l’Anti-Atlas au pied du Jbel Bougafer, que se trouvent les plus importants sites fossilifères des célèbres trilobites du Sud marocain. Ces espèces marines ont vécu pendant l’ère primaire et ont disparu au Permien (290 millions d’années). Les scientifiques les étudient avec soin, car ces fossiles stratigraphiques permettent de mieux connaître les divisions chronologiques du Cambrien au Permien (ère primaire 542 à 290 millions d’années), mais surtout de dater avec précision les formations géologiques, car elles vivaient dans le substrat du fond des mers. Les gisements du Dévonien supérieur du Tafilalet, dans la région d’Erfoud-Rissani, ont aussi fourni différents groupes de vertébrés marins avec les premiers «poissons cuirassés», ou Placodermes, mais aussi des formes plus évoluées, dont j’ai ramassé moi-même un échantillon découvert à 60 cm de profondeur. Les affleurements du Permien des bassins de Khénifra et d’Argana (respectivement Moyen Atlas et Haut Atlas occidental) ont livré les plus anciens peuplements terrestres d’Afrique du Nord, comme les fossiles de dinosaures.

Apparition des dinosaures au Maroc
Les premiers fossiles connus de dinosaures datent du Trias supérieur, il y a environ 230 millions d’années. Les dinosaures sont présents sur l’ensemble de la planète durant tout le Mésozoïque, (250 à 65 millions d’années). C’est au Jurassique, la période centrale de cette ère secondaire (200-145 millions d’années) que les dinosauriens vont connaître leur apogée. À cette période, d’une part, l’ouverture de la Téthys s’accentue avec la première rupture qui va donner lieu à un océan au niveau de l’actuel Gibraltar au Jurassique moyen (170-163 millions d’années). Ensuite, la Téthys sépare complètement la Pangée en deux : le Gondwana au sud et la Laurasie au nord. D’autre part, la croûte terrestre subit de profonds changements avec la scission du Gondwana en un continent africano-brésilien et un continent indo-malais. Enfin, au Jurassique supérieur (157-145 millions d’années), une fois les blocs terrestres séparés, différents dinosaures évoluent sur chacun des continents, et s’imposent sur la terre ferme alors que les Plésiosaures occupent librement les océans. Donc, plusieurs typologies de dinosaures ont peuplé la surface de la Terre. Deux grands embranchements de dinosaures sont à distinguer : les Saurischiens et les Ornithischiens. Le premier groupe s’est rapidement dispersé sur l’ensemble des continents dès le début du Jurassique. Le deuxième groupe de dinosaures regroupe des taxons qui étaient tous des herbivores. L’ensemble des dinosaures forme plus de sept cents espèces qui sont actuellement répertoriées par les paléontologues et qui ont peuplé la Terre entre 230 à 66 millions d’années bien avant l’Humanité.

Grâce à sa position géographique qui a esquissé sa destinée historique depuis 3 milliards d’années, jusqu’à sa position actuelle dans le monde contemporain, le Maroc fut une terre d’accueil pour les civilisations, de même avant l’Homme, beaucoup plus tôt, le pays fut une Terre d’accueil pour l’évolution des dinosaures. Il régnait sur son territoire plusieurs genres reconnus à l’échelle internationale. C’est au Maroc que les plus belles collections de fossiles de dinosaures ont été collectées. De nombreux sites ont été mis au jour par différents chercheurs géologues et paléontologues marocains et internationaux. Ces sites se distribuent sur un intervalle stratigraphique allant du Trias au Crétacé supérieur (230-66 millions d’années). Ces chercheurs ont découvert une grande variété de fossiles et d’empreintes de pas de dinosaures qui prouvent que le Maroc a abrité diverses espèces de dinosaures avant et après la dislocation de la Pangée.
La première découverte d’ossements de dinosaures date du Jurassique dans le Moyen Atlas, elle est faite par des légionnaires français (juillet 1925).  Ce sont des restes de sauropode du Jurassique moyen (175 à 161 millions d’années). À l’est de la ville de Demnate, au milieu de l’Atlas central, dans des couches de Lias supérieur (201 et 174 millions d’années), quarante empreintes de dinosaure théropode ont été découvertes en 1937. Dans le Moyen Atlas du Sud, à 20 km à l’ouest du village d’Ouaouizaght, dans une formation rouge d’âge bathonien (168 à 166 millions d’années), ce sont des disques vertébraux de 20 cm de diamètre et des parties de fémur d’un sauropode qui ont été mis au jour.
Dans l’Anti-Atlas, sur le plateau de Hamada, dans un niveau du Crétacé inférieur (Albien), R. Lavocat ramasse en 1948 quelques dents d’un théropode Carcharodontosaurus. En 1950, le même chercheur, lors d’une expédition dans le Sud marocain à 250 km du premier site exploré, à Kem Kem, récolte des vertèbres de grand théropode et l’omoplate d’un dinosaure sauropode géant pour lequel il crée un nouveau taxon, Rebbachisaurus Garasbae (spécimen d’environ 20 mètres de long). 

Le Haut Atlas central constitue une zone privilégiée pour l’ichnologie des dinosaures jurassiques, ce que confirment les chercheurs marocains et les paléontologues suisses Michel Monbaron et Geneviève Meurgues, qui ont étudié une carte routière des circuits de dinosaures dans l’une des régions centrales du Maroc en suivant les traces  de pas de leurs pieds.
Il y a d’innombrables découvertes récentes au Maroc de fossiles de dinosaures par d’éminents chercheurs marocains avec la collaboration des instances internationales, et vu leur importance, elles ont fait l’objet de plusieurs études détaillées dans des laboratoires étrangers puis rapatriés après au pays d’origine avec difficultés. La plus importante découverte est celle  de squelette de plésiosaure marocain Zarafasaura, le plus complet d’un spinosaure, considéré comme un trésor unique. Vieux de 66 millions d’années et mesurant une dizaine de mètres de long, identique aux fossiles de même famille de spinosaure, découverts il y a un siècle en Égypte, c’est un théropode semi-aquatique. Son nom signifie «lézard épineux». Les fossiles découverts de jeunes adultes en font le plus long théropode connu, son poids atteignait 9 tonnes. Ces dinosaures carnivores avaient un mode de vie semi-aquatique, similaire à celui des crocodiles ou des hippopotames actuels.

Ce squelette de plésiosaure marocain Zarafasaura est sorti illégalement du territoire marocain et sa mise en vente était programmée à Paris en mars 2017. Grâce à l’Association pour la protection du patrimoine géologique marocain (APPGM), la vente aux enchères à Paris a été dénoncée et bloquée suite à l’intervention Royale, puisque le rapatriement du Zarafasaura était aussi l’affaire de tout le peuple marocain. Le spécimen fut retiré de la vente et restitué au gouvernement marocain. Finalement, le plésiosaure est retourné au Maroc, suite à un accord conclu entre l’ambassade du Maroc à Paris et le vendeur du squelette. Je suis fier d’avoir contribué à ce sauvetage. C’est en effet l’auteur de cet article qui est intervenu auprès du conseiller de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Comme ce dernier l’a précisé dans une réponse qu’il m’a adressée, ce fossile est un «trésor national» et se devait de rester au Maroc, où il devrait prochainement être exposé. Zarafasaura est actuellement exposé au Muséum du ministère de l’Énergie, des mines et de l’environnement (MEME). 

Abdessamad Senhaji Rhazi, 
architecte de profession et paléontologue de passion, membre de l’association ATTARIK Foundation for Meteoritics and Planetary Science

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