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«Je n’avais pas seulement besoin d’avoir un enfant, je voulais donner un foyer à cette maman avec son fils»

«Moi, fils unique de 3 mamans» est le premier ouvrage biographique de Nadia Chraïbi qui y raconte une belle et vraie histoire d’une mère célibataire et son fils. Préfacé par l’ancienne ministre Nouzha Skalli, ce livre met l’accent sur la question de la kafala, avec tous ses mérites et ses inconvénients que l’auteur et les défenseurs des droits de la femme et de l’enfant aspirent à voir un jour revus dans notre pays. On y découvre, d’une manière très touchante, comment un enfant, rejeté lui et sa maman par la famille et la société, peut être sauvé. Comment peut-on facilement donner à ce petit être la chance de s’épanouir et de grandir comme tous les autres enfants ? Mais surtout pourquoi cette kafala a des limites et ne peut offrir certaines choses qui sont importantes dans la vie de cet enfant quand il devient adulte ?

«Je n’avais pas seulement besoin d’avoir un enfant, je voulais donner  un foyer à cette maman avec son fils»
Nadia Chraïbi signant son livre à Rabat.

Le Matin : Outre l’histoire vraie que vous racontez dans ce livre, quel est le message que vous voulez faire passer ?
Nadia Chraïbi
: Le plus important pour moi était de dire qu’il y a dans la kafala d’autres formes qu’on peut acquérir. Aujourd’hui, elle nous dit qu’il est préférable de séparer l’enfant de sa maman. Ce qui était inédit à l’époque. Mais pour moi, je n’avais pas juste besoin d’avoir un enfant, j’avais besoin de donner un foyer à cette maman avec son fils. La solution la plus logique pour moi et la plus importante pour la mère était de lui proposer une kafala pour son fils et surtout ne pas la séparer de lui.

Yazid est un enfant qui vient d’ailleurs, il ne fait pas partie de la famille. Comment se sont déroulées son éducation et son intégration dans votre milieu familial ?
Il est arrivé chez nous encore bébé, à l’âge de six mois. En ce temps-là, ma mère était alitée. On a remarqué que la présence de ce bébé lui a apporté de la joie, de la lumière et ceci nous a tous un peu fascinés. Il s’est créé un lien avec notre maman comme s’il faisait partie de la famille. Il s’était intégré de lui-même et s’est fait une place. Il avait conquis le cœur de tout le monde de façon extraordinaire. Quant à son éducation, il y a eu un deal avec la maman du bébé. Ainsi, elle me disait tout ce qui est école et décision concernant son avenir, je te laisse faire, le reste je m’en occupe. Tout marchait bien de cette manière avec un consensus.

A-t-il eu la même éducation que les enfants de la famille ?
Pratiquement la même. Aucune différence, sauf que lui n’a pas encore connu son père. La différence aussi, c’est que Yazid a eu droit à trois femmes à la maison. Sa maman biologique, moi qu’il appelle Yaya et ma sœur qu’il appelle Oumna.

Maintenant qu’il est adolescent (14 ans), est-ce qu’il n’a pas montré des difficultés, sachant qu’il est au courant de son histoire ?
Il passe son adolescence comme tous les enfants, pas plus. Il est complètement intégré dans la famille. C’est ce que j’essaye d’expliquer dans le livre. Ce n’est pas le nom de famille qui importe, mais veiller à donner à cet enfant tout l’amour et la protection dont il a besoin.

Que pensez-vous de sa maman biologique ?
Elle a beaucoup de mérite, car c’est une maman qui n’a pas abandonné son enfant, qui n’a pas essayé de le tuer ou de le cacher. Elle a cherché du soutien, en se présentant à l’association Insaf qui l’a prise en charge, elle et son bébé.

Expliquez-nous un peu ce que veut dire kafala au Maroc ?
C’est une procédure légale qui permet à une personne de prendre en charge administrativement et financièrement un enfant. Il y a, bien sûr, des conditions. La personne qui désire faire une kafala doit être musulmane, avec un casier judiciaire vierge, avoir les moyens pour éduquer l’enfant. C’est toute une enquête qui se fait autour de la personne désirant prendre un enfant en charge. Les seules limites que je trouve à cette loi est le fait que l’enfant ne peut pas être héritier et que la kafala s’arrête à 18 ans.

Comment Rabha est-elle arrivée chez vous ?
Comme moi et ma sœur, nous travaillons pour l’Association Insaf, nous l’avions connue là-bas. Donc, on l’a fait venir à la maison avec son enfant pour s’occuper de notre mère. Elle est devenue comme une dame de compagnie de maman et la relation s’est tout de suite installée entre elles. Puis, toute la famille l’a adoptée avec son enfant. On aurait pu lui louer une maison pour vivre avec Yazid. Mais on voulait lui offrir une famille.

Croyez-vous que ce livre éclaircira certaines choses dans ce sens ?
Je l’espère en tout cas. Il y a une partie didactique que j’ai essayé de développer avec l’aide de Naïma Senhaji, militante pour les droits de la femme et de l’enfant ; puis j’ai essayé de faire parler cet enfant avec son cœur. Il racontait pratiquement sa vie et on a essayé de lui raconter comment il est arrivé chez nous et comment il est traité dans cette famille. 


Témoignages

La maman biologique de Yazid

 «Quand j’étais dans l’Association Insaf, une relation de respect s’est tissée entre moi et la sœur de Nadia Chraïbi. À chaque fois qu’elle venait, elle passait me voir et voir mon bébé dans la crèche. Un jour, elle m’a proposé de travailler chez sa maman alitée. J’ai accepté avec la seule condition de rester avec mon fils qui avait, dans le temps, à peine 6 mois. Parce qu’en cette période, la relation avec ma famille a été presque coupée, jusqu’à l’âge de 4 ans et demi de mon enfant. J’ai été accueillie dans cette grande et respectable famille d’une manière que je ne me serais jamais imaginée. Toute la peur et l’angoisse que j’avais en tête se sont dissipées dès que j’ai franchi le seuil de la maison des Chraïbi. Lhajja, elle-même Allah Yerhamha, dès qu’elle m’a vue, elle a demandé après mon fils. Je n’ai jamais oublié ce moment. Je me suis sentie dans une paix et une sécurité totale. Durant l’éducation de mon fils, on a veillé, petit à petit, à ce qu’il sache tout de son existence. Cette famille a donné un foyer à mon fils, beaucoup d’amour, des cousins, des cousines, des tantes, des oncles… Il n’y a que la mort qui peut nous séparer. Mon seul objectif et celui de Nadia est d’éduquer cet enfant et lui donner une bonne instruction. Je ne cesserai jamais de remercier cette famille pour tout ce qu’elle a fait pour moi et pour mon fils. Mon message pour toute mère célibataire, quelles que soient ses conditions, est de ne pas laisser tomber son bébé, parce que malgré le destin qu’elle a rencontré dans la vie, elle ne doit pas corriger une erreur par une autre plus grande. Si elle donne son fils ou sa fille, elle ne vivra jamais en paix. Un dernier conseil pour les familles de ces mères célibataires est de ne pas les abandonner dans leur détresse, car personne ne choisit son sort.» 

La sociologue Naïma Senhaji

 «C’est une très belle expérience parce que le livre raconte une histoire vécue. C’est aussi une recherche sur les aspects juridique et sociétaux de la kafala. Car les gens croient que la kafala est facile. Ce qui n’est le cas ni pour Al kafil ni pour Al moutakafal. Car les familles qui optent pour l’adoption ne s’attendent pas à tous les problèmes qu’ils vont avoir. D’abord, il y a les problèmes de paperasses administratives et des procédures. C’est pour cela que le côté législatif dans le livre, auquel j’ai un peu contribué, est un plaidoyer pour faire évoluer cette loi que nous avons déjà. Le volet important aussi est la reconnaissance du père. Car l’enfant a le droit de connaître ses origines et ses droits. En résumé, la kafala au Maroc a bien évolué et permet aux enfants une vie décente et à des familles d’avoir des enfants. Mais sur le plan législatif et social, on doit encore évoluer.»

 

 

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