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La pandémie de l’incertitude et la diplomatie de la résilience (1/3)

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L’incertitude est, selon toute vraisemblance, le fléau que notre civilisation humaine supporte le moins et combat le plus. Là où nos sociétés «organisées» ont cette tendance naturelle à créer les cadres de leurs propres évolutions, la pandémie mondiale de Covid-19 est venue imposer une réalité à laquelle il a fallu s’adapter. Le caractère intrinsèquement transfrontalier de la menace a remis en question des principes auparavant considérés comme acquis et a signalé avec acuité l’urgence d’assurer et de renforcer la capacité de résilience du système international. 
La principale rupture opérée par la crise sanitaire est que l’Homme est devenu moins l’architecte de son destin qu’il n’est le sujet d’un lendemain incertain. Or la passivité est toujours vectrice de vulnérabilité. Aux premières heures de la pandémie, l’alarmisme observé aux quatre coins du monde dénotait un sentiment de peur, mais surtout une volonté de maîtrise. Prendre le dessus sur le virus, pour endiguer sa propagation, était le combat premier d’une communauté internationale engagée dans un bras de fer contre l’incertitude, un bras de fer pour la survie. 

Mais, si l’ambition était commune et mondiale, les moyens mis en œuvre n’étaient malheureusement pas toujours aussi globaux et concertés. Dans l’urgence, il y a eu des défaillances et beaucoup de confusion. Il y a eu une ruée vers le néant, tant les gouvernements étaient pris au dépourvu et les sociétés prises de panique. Toutefois, le choc a rapidement laissé place à la prise de conscience. Les choses et les événements ont commencé à faire sens, on comprenait mieux le virus, ses origines, ses modes de transmission et inéluctablement on réduisit ainsi progressivement la part d’inconnu. Les prérogatives régaliennes de l’État-Nation ont été pleinement déployées pour la gestion et la lutte contre la propagation de la pandémie. Les mesures sanitaires, sécuritaires et économiques ont réussi, à des degrés divers, à assurer la préservation des vies humaines et la survie des économies. 

Néanmoins, alors qu’une certaine introversion nationaliste commençait à prévaloir, l’importance vitale du système international est apparue de façon soudaine et exacerbée. En effet, dans l’effort d’endiguement du virus et de ses incertitudes, le diplomate a été à l’avant-garde pour dessiner, accompagner et permettre l’éclosion du renouveau organisationnel d’un monde en quête de cohérence. Le monde a vite fait de comprendre que le rôle du diplomate n’a rien de conjoncturel et tout du fondamental. La société internationale opère progressivement sa mutation et le diplomate en est l’une des chevilles ouvrières. Dès lors, l’enjeu premier est de réorganiser et d’outiller les appareils diplomatiques pour devenir un filet de sécurité permanent pour nos sociétés et une boussole qui oriente la marche à suivre dans les relations internationales. 
Aujourd’hui, la crise porte le nom de Covid, demain elle pourrait porter un autre nom ou avoir une autre forme. L’anticipation de l’avenir passe alors inéluctablement par la maîtrise du champ international dont les diplomates sont, à plus d’un égard, les acteurs les plus sensibles et déterminants.

Le renouveau organisationnel des «imbrications monde»
La diplomatie et le diplomate sont les maillages d’un monde qui se protège des menaces, qui en plus d’être sécuritaires, économiques ou climatiques sont devenues aujourd’hui, également sanitaires. L’expérience a montré que l’efficience de l’action diplomatique conditionne, dans une large mesure, la résilience d’une mondialisation où l’interaction transfrontalière ne peut plus se permettre d’être rampante. 
Le déclenchement de la pandémie a, dans un premier temps, suscité des doutes sur la capacité et l’intégrité des organisations internationales à faire face au poids des puissances en compétition. Les jeux de pouvoir et les rapports de force, dont les financements étatiques sont l’une des principales matérialisations, ont dévoilé l’ampleur de la dépendance de ces organisations à la bonne volonté des États souverains. La prise de conscience de cet état de fait, dans les circonstances dramatiques de la crise de Covid, a affecté, dans une certaine mesure, la confiance publique dans les organisations internationales. 

Le coronavirus Covid a mis à nu les manquements institutionnels d’une gouvernance multilatérale alourdie par des redondances bureaucratiques et des défaillances opérationnelles. Les institutions financières, politiques, sécuritaires et économiques qui fondent le système multilatéral   ont dans une trop large mesure fait montre d’une efficience imparfaite face à la crise. 
Dès lors, il apparaît clairement qu’il y a une refonte nécessaire à opérer, dans le sens d’un renfoncement des mécanismes et des procédés de ces institutions multilatérales pour leur permettre de mener à bien les missions capitales qui leur incombent. Il s’agit de les restructurer et d’accélérer et faire aboutir les processus de réforme initiés, il y a des années déjà, pour prendre en considération l’imbrication de nos destins entre eux.
Nous nous sommes rendu compte que nous vivons dans un monde où la vulnérabilité des uns est celle des autres. La gouvernance monde doit gagner en flexibilité sans perdre en crédibilité. Il ne s’agit pas d’imposer la décision du plus fort sur le moins fort, mais de trouver les consensus d’une cohérence globale où chaque partie assumerait ses devoirs et bénéficierait de ses droits. Les rapports de force doivent laisser place au «rapport d’interdépendance».
L’échec des tentatives de légiférer de façon contraignante a laissé place à un système où l’engagement volontaire prime sur la règlementation. Il s’avère plus utile de réguler et planifier, toujours dans la concertation, et jamais dans l’unilatéralité, fut-elle celle des organisations interétatiques. La diplomatie doit se plier aux impératifs «d’un multilatéralisme assumé et choisi». Assumé parce qu’il implique des responsabilités et choisi parce qu’il implique des arbitrages stratégiques. 

En tout état de cause, l’unilatéralisme n’a aucune cohérence dans un monde d’inter-vulnérabilité. Aucun pays au monde, fut-il le plus riche ou le plus puissant, ne peut se prévaloir d’apporter à lui seul des réponses justes et efficientes aux enjeux transversaux qui s’érigent de part et d’autre de la scène internationale. Il conviendra, désormais d’inscrire l’action dans le cadre d’un multilatéralisme de complémentarité qui soit fondé sur un socle commun de valeurs, de visions et de stratégies.

Par Youssef Amrani, 
ambassadeur de Sa Majesté en Afrique du Sud

 

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