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«La pandémie de l’incertitude et la diplomatie de la résilience» (2/3)

Dans la première partie de sa tribune, Youssef Amrani, ambassadeur du Maroc en Afrique du Sud, avait évoqué les répercussions de la pandémie de la Covid-19 sur solidarité internationale. Le diplomate avait également souligné que l’unilatéralisme était une approche inefficace dans un monde interdépendant. Dans cette deuxième partie de sa tribune, «La pandémie de l’incertitude et la diplomatie de la résilience», M. Amrani relève comment, face au capitalisme déshumanisé, «la diplomatie africaine a opposé une véritable voix de la raison», tout en rappelant les défis qui attendent l’UA à cet égard.

«La pandémie de l’incertitude et la diplomatie de la résilience» (2/3)
Youssef Amrani.

Le nationalisme des vaccins est peut-être le symptôme le plus éloquent de cette mondialisation qui ne s’est que trop départie des exigences d’un humanisme priorisé dans les relations internationale. Là où plusieurs études montrent qu’une répartition équitable du vaccin à travers le monde serait le moyen le plus efficace de protéger le maximum de vies humaines, on observe aujourd’hui une inégalité, qui ne se justifie ni dans ses moyens ni dans ses finalités. Qu’en est-il de la cohérence, de l’empathie et de l’interdépendance ? Resteront-ils des idéaux et des vœux pieux ?  L’Afrique a été en tout état de cause à l’avant-garde de cette diplomatie qui s’organise autour des valeurs cardinales que sont le partage et la solidarité. Face au capitalisme déshumanisé, la diplomatie africaine a opposé une véritable voix de la raison, en se faisant l’avocat d’une décision internationale qui ne se fait pas au détriment, mais pour et avec les Nations. Loin de moi l’idée de taire les lacunes existantes dans la configuration actuelle de cette voix africaine, mais l’on doit reconnaître que le virus a été un élément catalyseur dans cette Ambition d’unité portée et chérie par les nations qui fondent l’identité du continent. L’effort engagé n’est certes pas suffisant, mais il a le mérite d’exister. Tout l’enjeu pour la diplomatie africaine sera d’outiller ses mécanismes de déploiement à l’international pour porter un même message et poursuivre une même ambition. C’est là que le rôle de l’Union africaine devient capital et déterminant. Dans ses procédés comme dans ses mécanismes, l’UA doit épouser pleinement cette exigence de convergence africaine pour représenter au mieux les intérêts et les aspirations du continent, avec pour impératif premier de rester cette institution qui fédère les positions africaines autour d’un seul et même projet, et non celle qui divise. L’UA de demain doit être plus inclusive, plus cohérente et plus organisée. Les idéologies révolues doivent laissez place au pragmatisme en faisant prévaloir le droit et l’action sur toute autre considération politicienne non avenue.

Négociation diplomatique : Un multilatéralisme d’unité et non de concurrence
Le constat de l’inégalité est criant sur la scène internationale. La diplomatie africaine doit prendre en charge un véritable débat de fond en posant les questions qui s’imposent tout en tentant d’y apporter une réponse adéquate. Relocaliser les ressources africaines en Afrique, faire confiance à nos compétences et redresser nos économies sont les préalables incontestables d’un continent qui fait de l’émergence sa priorité. 

 Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait alors rappelé qu’une «Afrique dynamique et développée n’est pas un simple rêve pour demain, cela peut être une réalité d’aujourd’hui, mais à la condition d’agir. C’est donc le temps de le faire ou de l’entreprendre. L’importance de l’action c’est qu’elle donne la crédibilité au travail politique et permet de réaliser les objectifs escomptés.» Il est évident que le marché concurrentiel des vaccins laisse aujourd’hui sur le banc de touche nombre de pays qui, par faute de moyens, se retrouvent livrés «à la bonne volonté» du dominant. Lorsque les firmes détentrices du vaccin n’obéissent qu’à des logiques mercantiles, alors qu’il s’agit d’un remède vital et qui devrait être accessible à tous, quelles leçons cela donne-t-il aux générations futures ? 
 Un autre aspect inquiétant est celui des perspectives de reprise économique et les risques d’élargissement des fossés de développement humain. Les problèmes fondamentaux d’hier, tels que les disparités de développement et l’impact du changement climatique, viennent s’ajouter à ceux d’aujourd’hui et font planer un sentiment d’inconnu quant à leur effet et les solutions à y apporter. L’aggravation des déséquilibres structurels de l’avant Covid, est l’un des principaux risques pesant sur le système international et la coopération multilatérale.  D’autre part, le coronavirus a mis la lumière sur la fragilité des chaînes d’approvisionnement, et leurs potentielles répercussions sur la création de valeur dans le contexte d’une mondialisation grippée par les effets restrictifs d’une crise qui, à plusieurs égards, n’est pas seulement sanitaire, mais également économique.

La division du travail dans un monde globalisé a pris un coup d’une violence sans précédent. Mais le plus inquiétant serait que les mémoires ne retiennent aucune leçon de cet épisode que nous traversons. L’on voit déjà des pressions exacerbées portées par les chefs d’entreprise à travers le monde pour une reprise de l’activité économique dans le sens d’un retour aux cadences et aux procédés d’hier, comme si le virus n’avait été qu’une parenthèse dans le fonctionnement d’un monde qui n’aurait rien à se reprocher. 
L’année 2020 a redéfini et reconfiguré de nombreux emplois et entreprises allant jusqu’à remodeler la façon même dont s’effectuent l’interaction et la transaction internationales. Confrontés à la pandémie, à l’effondrement du commerce international ainsi qu’à des itinéraires de voyage paralysés, de nombreuses entreprises ont vu leurs activités et leurs situations professionnelles radicalement modifiées. Pour accompagner les agents économiques dans cette refonte des modes opératoires, les diplomates ont été à la manœuvre en conditionnant par leur action la confiance et la pérennité conférées au système de transaction internationale et donc plus globalement à la mondialisation. 

L’exercice de l’action diplomatique a, dans une large mesure, permis de préserver la résilience de la chaîne d’approvisionnement mondiale, assuré la continuité des paiements et identifié les sources étrangères les plus opportunes d’approvisionnement en produits pharmaceutiques et médicaux. Les diplomates ont été les interlocuteurs premiers des pouvoirs publics, tant ils avaient la capacité d’orienter au mieux une décision internationale rapide et cohérente. L’exigence pour le diplomate a donc été de gagner en maîtrise du terrain pour se positionner au cœur des circuits, non seulement de la décision publique, mais également dans la recherche scientifique, l’orientation des stratégies économiques et, plus globalement, dans l’édifice d’une gouvernance monde reconfigurée. 

Les questions de rapatriements, les contrats de vaccination, la gestion des opinions publiques sont autant d’impératifs pour une diplomatie qui ne saurait s’exercer ou même éclore dans la contigüité des salons fermés à New York, au risque de perde toute pertinence. La diplomatie de demain s’exerce dans les couloirs des ministères des Affaires étrangères, mais également dans ceux des grandes multinationales, des laboratoires, des associations et d’autres représentants des sociétés civiles, sans oublier les plateaux de télévision et les universités. Si le diplomate déserte ces couloirs, il déserte le terrain et l’objet même de son action. Face à un spectre élargi d’acteurs de la société internationale, le diplomate s’impose comme un pivot qui transmet l’information et négocie 
la décision. 

 C’est là que la négociation diplomatique devient le pivot d’une cohérence multilatérale renforcée. Les décisions ne doivent plus se prendre dans des cercles fermés des puissances, mais doivent obéir à un effort d’inclusion beaucoup plus large et, de fait, moins égoïste. La décision internationale a trop longtemps obéi à des principes unipolaires, dans le sens où ce sont souvent les mêmes agents qui décident de la même façon pour poursuivre, en priorité, leurs intérêts particuliers. Dans le système tel qu’il est configuré actuellement, il existe une forme d’accaparation du pouvoir décisionnel qui se retrouve concentré dans des citadelles fermées aux parents pauvres de l’influence diplomatique. Mais à la lumière de la crise que nous traversons, il est possible d’observer l’émergence d’une multipolarité qui, en effritant les murs de cette citadelle, desserre l’emprise de l’égoïsme diplomatique. 

Par Youssef Amrani, ambassadeur de Sa Majesté 
en Afrique du Sud

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