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Le savoir-faire communautaire au cœur de la lutte contre la pandémie et ses impacts

Face à une pandémie qui a accaparé l’attention générale des acteurs de la santé publique, la promotion et la mise en œuvre de la participation communautaire s’imposent comme un choix stratégique pour le secteur. Un récent rapport du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme place même le savoir-faire communautaire au cœur de la riposte en santé. Au Maroc, l’Association de lutte contre le sida tire la sonnette d’alarme pour mettre le savoir-faire communautaire au cœur de la riposte en santé.

Le savoir-faire communautaire au cœur de la lutte contre  la pandémie et ses impacts

La santé communautaire est un domaine de la santé publique qui implique une réelle participation de la communauté à l’amélioration de sa santé contribuant ainsi à résoudre certains problèmes du secteur et développer une dynamique communautaire d’auto-responsabilisation par l’implication active des différents acteurs dans le processus de planification, de mise en œuvre et de suivi-évaluation. Ce rôle a été très clairement mis en avant face à l’ampleur des perturbations des services de santé causées par la pandémie et qui ont directement impacté la prise en charge d’autres maladies.
Un récent rapport du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme fait, en effet, le constat que plusieurs pays à revenu faible et intermédiaire ont dû s’appuyer sur les agents de santé et notamment les agents de santé communautaire dans ce contexte de pandémie pour assurer la continuité des soins. «Pour l’instant, il semble que nous ayons évité le scénario catastrophe en termes d’impact sur ces trois maladies. Toutefois, nous ne nous berçons d’aucune illusion quant à la gravité des effets perturbateurs à long terme de la Covid-19 sur les systèmes de santé que le Fonds mondial cherche à renforcer. Nous n’atteindrons jamais nos objectifs de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme tant que la Covid-19 ne sera pas endiguée et que les systèmes de santé seront menacés», alerte l’Organisation. 


Qu’est-ce que la santé communautaire ?

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé communautaire est le processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités. Cette vision participative de la santé est inscrite même dans la constitution de l’OMS. 


Des initiatives pour renforcer les systèmes de santé communautaire

En septembre 2019, un accord-cadre tripartite a été signé par le ministère de l’Intérieur (Coordination nationale de l’Initiative nationale pour le développement humain – INDH), le ministère de la Santé et l’Unicef pour donner un nouvel élan aux efforts visant l’amélioration de la santé maternelle et infantile au Maroc à travers le renforcement des systèmes de santé communautaire.
L’objectif de cet accord est donc d’identifier les axes d’interventions efficaces et à fort impact moyennant une chaîne de résultats engageant l’ensemble des partenaires en mettant l’accent sur l’ensemble des déterminants de la santé qui peuvent constituer un frein à la réduction de la mortalité maternelle, néonatale et infantile. Aux termes de cet accord-cadre, les trois parties s’engagent à consolider la coopération dans le cadre du Programme Santé et de conjuguer leurs efforts en vue de remédier efficacement aux inégalités d’accès des enfants, des femmes en âge de procréer, des femmes enceintes et accouchées aux services de santé.
L’Unicef entend ainsi fournir un appui technique, à travers l’expertise de spécialistes, à la réalisation des objectifs du sous-programme INDH III axé sur la santé-nutrition maternelle et infantile, en collaboration avec le ministère de la Santé, dont les interventions communautaires en santé déjà initiées et les services de santé et nutrition primaires qui seront appuyés à travers les activités proposées.
Plus précisément, l’accord vise sept composantes spécifiques, à savoir l’amélioration du dispositif communautaire en santé à travers le développement et le renforcement des systèmes de santé primaires au niveau communautaire, basés sur les personnes relais communautaires, ainsi que la promotion de l’accès aux services de nutrition et de santé maternelle, néonatale et infantile et soutenir le développement de l’enfant dans les 1.000 premiers jours par le développement de concepts complémentaires tels que la «baby box». L’accord-cadre a, en outre, pour objectif de contribuer à l’amélioration de l’état nutritionnel de la mère et de l’enfant moyennant des activités intégrées et multisectorielles focalisées principalement sur la réponse au retard de croissance et des carences en micronutriments.
Par ailleurs, ce partenariat tripartite s’assure du respect d’un nombre de principes directeurs, dont le ciblage (zones sanitaires vulnérables et sous-couvertes, bénéficiaires identifiés), la concertation, la convergence des interventions, la cohérence par rapport aux orientations et lignes directrices des programmes du ministère de la Santé, la participation effective et implication des services déconcentrés, la participation des associations locales et de la population locale, outre la durabilité et pérennité, la qualité des services offerts et la transparence. 


L’Association de lutte contre le sida tire la sonnette d’alarme

Conscients de ces risques majeurs, l’Association de lutte contre le sida (ALCS) et Coalition Plus, réseau international d’associations communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales, rappellent qu’il est désormais indispensable d’investir aussi dans les systèmes de santé communautaires pour atteindre les objectifs que s’est fixés la communauté internationale dans la lutte contre les grandes épidémies (sida, tuberculose et paludisme).
Pour les aider à jouer pleinement leur rôle, il est nécessaire de fournir de la formation, une protection et des équipements de protection individuelle (EPI) aux agents de santé communautaire à tous les niveaux.
«C’est ce que les associations membres et partenaires de Coalition Plus ont fait, dès avril 2020, pour permettre la continuité des services aux plus vulnérables et éloignés du soin.
Dans leur pays où elles étaient déjà des acteurs clés dans la lutte contre le sida et les hépatites virales, les associations membres et partenaires de Coalition Plus ont proposé leur expertise aux autorités nationales afin d’assurer la continuité des soins dans ce contexte exceptionnel», affirme l’association à travers un communiqué.
Au Maroc, l’ALCS, membre de Coalition Plus, a été autorisée à distribuer les antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH sur leur lieu de résidence, ce qui a permis de maintenir dans le soin de nombreux patients, notamment ceux vivant dans des zones reculées. L’ALCS affirme, par ailleurs, que grâce au fonds d’urgence mis en place par Coalition Plus avec le soutien de ses principaux bailleurs tels que l’Unitaid, l’Agence française de développement, Expertise France, la Fondation Robert Carr et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, elle a pu maintenir, et ce, dans tous ses locaux, les services liés à la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST), des hépatites et du VIH/Sida. Ainsi, le dépistage du VIH a continué à être pratiqué et était effectué par un médecin ou par un intervenant associatif formé. De plus, des matériels de prévention du VIH et du VHC ainsi que des masques ont été mis à la disposition des bénéficiaires des services de l’association.
Par ailleurs, en plus des médiateurs thérapeutiques et sociaux qui ont assuré la dispensation du traitement aux personnes vivant avec le VIH, les autres acteurs de l’ALCS ont assuré le lien avec l’ensemble des bénéficiaires à qui ils ont donné des conseils et des informations sur la Covid-19. Ces acteurs ont aussi accompagné les bénéficiaires du Régime d’assistance médicale (Ramed) dans leurs démarches d’accès aux indemnités mises en place par les pouvoirs publics et à l’aide médicale d’urgence organisée par l’ALCS grâce aux donateurs et aux bailleurs de fonds. 


Renforcer le système de santé communautaire

Malgré le rôle crucial qu’ils jouent dans un contexte mondial aussi particulier, les acteurs communautaires restent trop peu reconnus et intégrés dans les systèmes de santé au niveau national. Afin de mieux lutter contre les pandémies et atténuer leurs impacts sur les populations, l’ALCS demande :
• Le maintien des efforts dans la lutte contre les pandémies, pour ne pas perdre les acquis des dernières décennies, en matière de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
• Le développement et soutien d’une approche intégrée des systèmes de santé.
• Le renforcement du financement des systèmes de santé communautaire afin de garantir l’accès à la santé de tous.
• La reconnaissance et la légitimation du système de santé communautaire en tant que structure complémentaire du système public, car il amène le soin aux bénéficiaires et personnes éloignées du soin, dans un cadre adapté au mode vie et besoins des personnes, et permettent ainsi de ne «laisser personne de côté», comme le recommande l’OMS.
• La reconnaissance, la valorisation et la rémunération des ressources humaines et de l’expertise communautaires pour qu’elles ne soient plus des fonctions précaires, mais des métiers pérennes. 


L’ALCS, une association engagée

Pr Mehdi Karkouri, président de l’ALCS.

Créée en 1988 par le Pr Hakima Himmich, l’Association de lutte contre le sida est la première et la plus importante association de lutte contre le VIH/Sida au Maroc et dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Militante et communautaire, l’ALCS est impliquée à la fois dans la prévention de l’infection à VIH, l’accès aux soins et la prise en charge médicale et psychosociale des personnes vivant avec le VIH. L’ALCS a joué un rôle essentiel dans l’introduction et la généralisation des thérapies antirétrovirales au Maroc. L’association, présidée depuis 2018 par le Pr Mehdi Karkouri, continue de plaider pour l’accès aux génériques et la réduction des coûts des nouvelles molécules et des outils de diagnostic et de suivi.  


Les prestations de services de santé perturbées

L’enquête du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, réalisée dans 24 pays en Afrique et 7 pays en Asie, révèle que la crise sanitaire liée à la Covid-19 a fortement perturbé la prestation des services de santé. Dans le cas de la lutte contre le VIH, les données sont particulièrement alarmantes.
En effet, durant la période d’avril à septembre 2020, le dépistage a chuté de 41% en comparaison avec la même période en 2019. Les services d’orientation des patients et de traitement du VIH ou autre infection sexuellement transmissible ont diminué de 37% durant la même période. Ces perturbations menacent même les progrès réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre le sida puisque l’orientation des patients et le dépistage du VIH sont des étapes incontournables pour prendre en charge l’infection, accéder aux traitements et réduire les risques de décès et de transmission.
En ce qui concerne la tuberculose, qui était considérée, avant la pandémie, comme étant la première cause de décès par maladie infectieuse au monde, l’enquête note que l’orientation des patients suspectés vers le diagnostic et le traitement a chuté de 59% aux deuxième et troisième trimestres de 2020 par rapport à la même période en 2019. «Quand on sait qu’une personne ayant une tuberculose active non traitée peut transmettre la maladie à 15 personnes en une année, on comprend que l’effondrement des services d’orientation menace gravement les progrès que nous avons accomplis contre cette pathologie et pourrait entraîner une résurgence des infections», note le rapport.
Quant aux diagnostics du paludisme, le rapport indique qu’ils ont baissé de 31%. Les établissements sondés en Afrique ont enregistré une baisse des diagnostics du paludisme de 17% et une baisse des services de traitement du paludisme de 15%. 


Un système de santé résistant et pérenne pour affronter les perturbations

Selon ce rapport, un système de santé résistant et pérenne est le fondement essentiel de la lutte contre les maladies infectieuses, qu’il s’agisse d’éradiquer les épidémies de VIH, de tuberculose ou de paludisme, de combattre de nouvelles pandémies comme la Covid-19 ou de préparer les futures interventions en temps de crise sanitaire. Face à ce constat, le rapport indique que «les agents de santé et les agents de santé communautaires qui fournissent des soins et des services dans des contextes formels et informels sont au cœur des systèmes de santé résistants et pérennes. La Covid-19 a directement menacé leur sécurité et leur capacité à faire leur travail. (...) Toutes les catégories d’agents de santé ont été touchées, ce qui démontre encore une fois la nécessité de fournir de la formation, une protection et des équipements de protection individuelle (EPI) aux agents de santé à tous les niveaux». Et de conclure que pour lutter contre la Covid-19 et atténuer ses impacts sur le VIH, la tuberculose et le paludisme, nous devons investir dans les systèmes de santé et dans les ripostes communautaires. 


À propos de Coalition Plus

Pr  Hakima Himmich, présidente de Coalition Plus.

Union internationale d’ONG communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales fondée en 2008, Coalition Plus intervient dans 52 pays et auprès d’une centaine d’organisations de la société civile. À travers le principe de gouvernance partagée qui la régit, l’Union implique 16 organisations adhérentes et plus de 100 associations partenaires dans 52 pays du Nord et du Sud, dans la prise de décision. Elle est actuellement présidée par le Pr Hakima Himmich. 

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