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Sécurité sociale des travailleurs domestiques : Pas facile d’appliquer la loi !

Sécurité sociale des travailleurs domestiques :  Pas facile d’appliquer la loi !

Bien que le cadre juridique concernant le secteur du travail domestique soit clair et que la déclaration des employés de maison à la sécurité sociale soit devenue obligatoire depuis plusieurs mois, les Marocains ont encore du mal à régulariser leur situation. Employeurs et employés appréhendent toujours cette étape. 
La preuve en chiffres : le nombre de contrats signés à ce jour ne dépasse pas les 3.722 pour 2.759 employeurs.
La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) n’a enregistré que 3.253 déclarations au 2 mars 2021. Comment peut-on expliquer cette situation ? Serait-ce un manque de communication et de sensibilisation, ou tout simplement la peur du changement ?
Après des années d’attente, la loi n° 19.12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et des travailleurs domestiques a finalement été adoptée en octobre 2018. Quelque 18 mois plus tard, en juin 2020, le décret n° 2.18.686 relatif aux conditions d’application du régime de la CNSS aux employés de maison est entré en vigueur obligeant les employeurs à régulariser leur situation en fournissant à la CNSS les pièces nécessaires pour l’affiliation et la déclaration des employés domestiques. Mais seule une poignée de personnes a franchi le pas.
En effet, malgré les efforts fournis par les autorités publiques et la société civile, de nombreuses personnes ignorent toujours l’existence de cette loi. D’autres refusent tout simplement de s’y conformer. La difficulté d’intervention des inspecteurs du travail et des assistantes sociales ne facilite pas la tâche. Comme le travail domestique se déroule dans un espace privé, à savoir la maison, cela rend difficile le contrôle des agents qui doivent y accéder pour vérifier si les employés respectent les règlements en matière de travail domestique, notamment en ce qui concerne les mineurs. 


Pour mieux comprendre

Que peut-on entendre par employeur ou travailleur domestique ? Comment est organisée la relation entre employeur et employé(e) de maison ? Quelle est la durée du contrat de travail des travailleurs domestiques ? Quels sont les droits et obligations des parties signataires du contrat de travail domestique ?  Qu’en est-il de la protection sociale du travailleur domestique ? Quelles sont les conséquences juridiques du licenciement abusif ?... Toutes ces interrogations et bien d’autres trouvent leurs réponses dans le «Guide pratique pour l’application de la loi sur les travailleuses et les travailleurs domestiques» (loi 19-12 entrée en vigueur le 3 juin dernier) réalisé par Monsieur Mohammed Haitami, président-directeur général du Groupe Le Matin. Juriste de formation, M. Haitami revient en détail sur les règles régissant notamment les relations entre chefs de familles et travailleurs domestiques. Ce recueil se veut un ouvrage de référence pour mieux connaître les droits et obligations des travailleurs et des employeurs des employés de maison, les formalités et les démarches à accomplir, notamment par l’employeur, pour être en conformité avec la loi. «Le contrat de travail type, les différents formulaires, le mode de calcul des cotisations, les litiges et le calcul des indemnités, les principaux textes juridiques, les guides de la CNSS ainsi que des questions/réponses en font un outil indispensable pour toute personne souhaitant régulariser la situation de ses employés de maison ou embaucher un travailleur domestique», explique l’auteur. Ce guide aide également à se poser les bonnes questions en consultant la partie «Foire aux questions» qui regroupe un ensemble de réponses aux questions les plus fréquemment posées par les parties concernées par l’emploi des travailleurs domestiques toutes catégories confondues. Et ce n’est pas tout, le guide est enrichi par des liens utiles joints en annexes pour plus d’informations sur «l’embauche d’un (e) employé (e) de maison». 


Le ministère de tutelle accompagne la mise en œuvre de la loi

Le ministère du Travail et de l’insertion professionnelle a mis en place, depuis plusieurs mois, une série de mesures pour accompagner la mise en œuvre de la loi 19.12. Il s’agit, entre autres, de cellules de communication pour permettre aux travailleurs domestiques de prendre contact avec l’inspecteur du travail en cas du non-respect par l’employeur de la loi, de campagnes de sensibilisation organisées dans différentes villes du Royaume, de sessions de formation au profit des agents d’inspection… Le ministère a également élaboré un guide abordant les mécanismes de la mise en œuvre optimale de cette loi, à travers la mise en place d’outils pratiques de coordination et de coopération. «La mise en œuvre de la loi n°19-12 reste tributaire du renforcement de la coopération entre les différentes institutions chargées de son implémentation. Il s’agit notamment des instances de contrôle incarnées par les inspecteurs de travail ainsi que l’autorité judiciaire, particulièrement le Parquet général», a déclaré récemment Mohamed Amekraz, ministre du Travail et de l’insertion professionnelle.

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Témoignages

Mohamed 38 ans, père de famille

«Je n’étais pas au courant de l’existence de cette loi qui nous oblige à signer un contrat avec les employés de maison et les déclarer à la CNSS. C’est la première fois que j’entends parler de cette loi et je suis vraiment très étonné de cette nouvelle, surtout dans les conditions dans lesquelles nous vivons actuellement, avec la crise sanitaire. Ce n’est franchement pas le moment de nous imposer ce genre de chose. D’ailleurs, même notre aide ménagère ne réclame pas ce droit et elle est contente comme ça avec nous.»

Rabiâa, femme de ménage à Casablanca

«Le fait d’être déclarée à la sécurité sociale n’a pas que des avantages pour moi. Nous n’aurions pas que des droits, mais aussi des obligations et cela sera écrit noir sur blanc dans le contrat. Actuellement, je gagne bien ma vie, car les personnes chez qui je travaille me permettent de partir à 14 h, ce qui me laisse tout l’après-midi. J’en profite pour proposer mes services d’aide ménagère à d’autres personnes. Je suis bien payée par chaque client. Si je dois travailler chez une seule personne, je suis sûre de toucher un salaire inférieur à celui que je touche maintenant. Pour l’assurance maladie, j’ai le Ramed et souvent mes patrons me donnent de l’argent pour faire des consultations privées pour moi et mes enfants quand c’est urgent.»


Comment déclarer son employé à la CNSS

Pour déclarer les employés domestiques à la Caisse nationale de sécurité sociale, il suffit de déposer auprès de l’agence CNSS dont relève le domicile de l’employeur le dossier contenant les différentes pièces à fournir. Il s’agit du permis d’engagement, le certificat d’identification bancaire de l’employeur, une copie originale de la carte d’identité nationale, une copie originale du contrat de travail, une demande d’enregistrement à la sécurité sociale pour chaque travailleur domestique, une copie de sa CIN ou une copie du certificat de naissance et un certificat d’identification bancaire si disponible. Et lorsqu’il y a une quelconque modification des données concernant l’employeur et/ou l’employé, ces derniers sont tenus de le signaler dans un délai ne dépassant pas un mois.


Les sanctions

À la question :  Dans le cas où l’employeur ne procéderait pas à l’immatriculation du personnel domestique, quel effet juridique ? Maître Oulkhouir a répondu que «Les dispositions de la loi sont assez timorées, mais nous ne pouvons que fermement inviter les employeurs à les respecter. À défaut, les sanctions suivantes sont encourues : 
• L’employeur sera sanctionné d’une amende de 3.000 à  5.000 DH si un contrat n’a pas été établi entre l’employé et l’employeur.
• L’employeur risque une amende de 25.000 à 30.000 DH s’il s’avère qu’il a obligé une personne à travailler chez lui. En cas de récidive, il encourt une peine d’emprisonnent d’un à trois mois.
• Le non-respect du salaire minimum entraîne une sanction pécuniaire de 500 à 1.200 DH.  
• Le non-respect des règles relatives au travail des mineurs de 16 à 18 ans est passible d’une amande de 25.000 à 30.000. Et en cas de récidive, une peine d’emprisonnent d’un à trois mois est encourue.


Entretien avec Me Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Paris, spécialiste du contentieux social

«Grâce à ce texte de loi, le travail domestique sera encadré et rélementé en fixant les droits du personnel de maison et les obligations des employeurs»

Le Matin : Qu’apporte exactement la loi 19-12 aux personnes concernées ?
Mohamed Oulkhouir : Cette loi vise à réglementer les relations entre ces travailleurs et leurs employeurs, et à leur garantir la protection sociale et les droits économiques et sociaux pour les protéger contre tout abus. Elle édicte aussi la durée des congés et des repos en plus des indemnités de licenciement.
Le but de cette loi est d’améliorer le statut des travailleurs et travailleuses domestiques caractérisés actuellement par la précarité, l’absence de respect de leurs droits fondamentaux, leur exposition à diverses formes d’agression, de marginalisation et d’exploitation économique, sociale et autres.
Grâce à ce texte de loi, le travail domestique sera encadré et réglementé en fixant les droits du personnel de maison et les obligations des employeurs. En effet, cette législation impose de fait la relation entre l’employeur et son personnel au contrôle des inspecteurs du travail. L’intervention de ces derniers aura lieu en cas de plaintes d’une des parties. Elle prévoit notamment les cas qui peuvent déclencher un contrôle : les plaintes de l’employé, de son tuteur ou d’une association. Une procédure qui devrait donner lieu à un entretien avec les deux parties et un PV sur la conciliation ou constatant les violations commises. Ce PV est, par la suite, transmis au Parquet général qui saisit la police judiciaire pour qu’elle réalise les vérifications nécessaires au domicile. Si effectivement les dispositions ne sont pas honorées, les patrons (employeurs) devront faire face à des peines d’emprisonnement ou d’amende.

Droits et obligations, contrat de travail, liste des tâches interdites, affiliation à la CNSS… Pensez-vous que le législateur marocain a accordé une pleine sécurité au travailleur(se) domestique ?
La loi apporte manifestement plus de sécurité juridique qu’autrefois. Pour ce qui est de la rémunération, le salaire minimum est à 60% du SMIG du droit commun soit près de 1.542 DH par mois (13,46 DH bruts par heure) et la durée de travail maximum à 48 heures par semaine. Les avantages liés au logement et à l’alimentation ne peuvent être déduits de la rémunération de base.
En ce qui concerne le repos hebdomadaire, il est fixé à 1 jour, mais il peut être reporté après accord entre les deux parties, à condition qu’il soit récupéré dans un délai ne dépassant pas trois mois. Dans le cas contraire, des sanctions sont prévues en cas de non-respect des exigences de la loi, ce qui signifie une amende de 500 à 1.200 DH. Quant à l’employée qui reprend le travail après la grossesse, elle a droit à une heure pour l’allaitement pendant 12 mois consécutifs.
Les travailleurs domestiques bénéficieront d’un congé payé après 6 mois de travail continu. Il équivaut à un jour et demi de travail effectif par mois de service. Le congé peut, après accord entre le travailleur domestique et l’employeur, être fractionné ou cumulé sur deux années consécutives. De même, les fêtes nationales et religieuses seront chômées et payées.
La mise en place de la CNSS pour cette catégorie apportera davantage de protections et de garanties aux travailleurs domestiques.

Quelles sont, d’après vous, les limites à l’application de cette loi ?
Malgré cette loi, la fin de l’exploitation éhontée des petites bonnes devra encore attendre un peu. Certes, l’âge minimum du travailleur domestique a été fixé à 18 ans par la loi mais avec une période transitoire de 5 ans pendant laquelle il est permis d’employer des personnes de 16 à 18 ans sous réserve de l’accord de leur tuteur et d’une visite médicale tous les six mois. Ce qui reporte à 2023 la fin de cette vieille pratique qui consiste à recruter comme domestiques des petites filles malléables et corvéables du matin au soir.
Lorsqu’elle sera totalement effective, la loi n°19-12 apportera certainement quelques avancées timides, même si elles sont clairement insuffisantes et maintiennent les travailleurs et les travailleuses domestiques dans un statut de salarié de seconde zone. Ainsi, le salaire à verser en numéraire à ces travailleurs domestiques est fixé à 60% (1.542 DH) au moins du SMIG applicable dans les secteurs de l’industrie, du commerce et des professions libérales. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de vivre avec un SMIG entier dans les centres urbains alors avec 60% !
Si le salaire est réduit, les horaires ne le sont pas puisque légalement il leur faudra travailler 48 heures par semaine contre 44 heures pour les salariés de droit commun. En pratique, il est certain qu’en l’absence de protection légale spécifique, ces domestiques travailleront bien plus que 48 heures par semaine. Ces domestiques bénéficieront en cas de rupture de contrat de l’indemnité de licenciement mais pas des dommages et intérêts pour rupture abusive, ce qui conforte ce statut de salariés de seconde zone.
L’ancienneté acquise avant l’entrée en vigueur de la loi n’est pas non plus prise en compte.

Vos conseils ?
Un seul conseil principalement, respecter les dispositions légales applicables. 

Dossier réalisé par Hajjar El Haiti et Najat Mouhssine

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