Compétition
Deuxième édition de la Ligue nationale d’improvisation théâtrale Nojoum
Après Fès, Agadir et Tanger, les éliminatoires de la deuxième édition de la Ligue nationale d’improvisation théâtrale Nojoum (LNIN), organisée par la Fondation Ali Zaoua, se poursuivent actuellement à Casablanca.
Cette compétition réunit une vingtaine d’équipes qui se disputent le titre de «Meilleure équipe d’improvisateurs». Elles représentent quatre régions du Maroc : Grand Casablanca-Rabat, Tanger-Tétouan, Agadir-Souss et Fès-Meknès.La grande finale opposant les vainqueurs des 4 régions participantes sera organisée en octobre prochain à l’occasion de l’ouverture du nouveau Centre culturel Les Étoiles de Jamaâ El Fna à Marrakech.«Cette année, la LNIN connait la participation de 120 comédiens professionnels et semi-professionnels sélectionnés à l’issue d’un casting national organisé du 1er au 14 février 2021 dans quatre grandes régions du pays», explique le comédien et metteur en scène Ismail El Fallahi, directeur de la LNIN.Les gagnants du casting ont bénéficié d’une formation aux techniques d’improvisation théâtrale dispensée par Ismail El Fallahi et d’autres comédiens et intervenants régionaux de grand calibre tels que Hassan El Allioui (Agadir), Abdelali Fahim (Fès) et Mouhsine Hamoud (Tanger).Ce projet initié par la Fondation Ali Zaoua a pour principal objectif de promouvoir l’improvisation théâtrale et de faire des «matchs d’impro» une discipline à part entière au Maroc comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays à l’international. «L’improvisation théâtrale offre au comédien la possibilité de remplir plusieurs missions en étant à la fois metteur en scène, scénographe, dramaturge et acteur. Cette discipline fait appel à la créativité des comédiens, mais aussi à leur sens de l’écoute et de l’échange. Trois éléments qui sont développés au fur et à mesure de la pratique», explique Ismail El Fallahi.Rappelons que le coup d’envoi des éliminatoires a été donné le dimanche 11 avril sur la scène du théâtre du Centre culturel Les Étoiles de Sidi Moumen, transformé pour l’occasion en patinoire.Tout au long de cette compétition qui dure presque 2 mois, la Ligue reçoit des artistes nationaux et internationaux qui se produisent et participent aux matchs. D’autres sont là pour enfiler le costume des arbitres ou des coachs. «Malheureusement pour cette édition et à cause de la pandémie de la Covid-19, l’accès du public sera limité lors des compétitions, mais nous avons mis en place un système de live streaming pour que tous les amateurs d’improvisation puissent nous suivre sur les réseaux sociaux», conclut Ismail El Fallahi.Questions au comédien et metteur en scène Ismail El Fallahi
«On mise surtout sur la darija»
Le Matin : Vous avez franchi plusieurs phases éliminatoires de la Ligue nationale d’improvisation théâtrale Nojoum. Que pensez-vous du niveau des participants à cette compétition ?Ismail El Fallahi : Le niveau des participants est très bien et s’améliore au fil des matchs grâce aux formations et aux échanges avec le public qui nous suit en direct ou sur le live. Les équipes sont de plus en plus averties des points à améliorer.
On s’adapte selon les demandes du public en termes de thèmes et de catégories de jeu.Cette compétition permettra-t-elle de créer de nouvelles troupes d’improvisation théâtrale ?
Il n’y avait pas beaucoup de troupes au lancement de ce projet. Nous avons créé 8 au début et actuellement nous en sommes à 20. Ces équipes continueront à faire des spectacles après la fin de la ligue et à communiquer entre elles. C’est ainsi que la discipline d’impro théâtrale se développera au Maroc. L’année prochaine, nous serons dans d’autres régions comme Marrakech. Des personnes de Rabat viennent jouer dans le centre les Étoiles de Casablanca. La discipline évolue, car elle est très demandée par le public. Tout le monde s’intéresse à l’impro : petits et grands, anciens adeptes du théâtre ou nouveaux amoureux de cette discipline.Est-ce qu’il y a une différence entre ce que vous faites et ce que font les improvisateurs francophones ?
Le concept est le même que celui créé au Québec, mais nous l’avons adapté à notre culture. On a introduit la darija. Même si les improvisateurs peuvent jouer en français, amazigh ou d’autres langues, on mise surtout sur la darija. Dans les thèmes et catégories de jeu, on introduit ce qui est spécifique au Maroc, sa culture, son théâtre, ses écrivains... Grâce à l’improvisation théâtrale, on essaie aussi de ressusciter la halqa qui fait partie de notre patrimoine culturel.Analyse chiffrée de la saison artistique 2019-2020 des spectacles d’improvisation à Rabat
La troupe Zen Boum Bah a fait une analyse des spectacles d’impro présentés au Maroc, lors de la saison artistique 2019-2020 (deux premiers trimestres, de septembre 2019 à mars 2020, la saison ayant été arrêtée pour cause de la Covid-19). Selon cette analyse, 17 spectacles ont été organisés à Rabat par les troupes Compagnie d’improvisation rbatia (CIR), La Marocaine d’impro (LAMI) et les Zen Boum Bah). Parmi ces shows, la soirée des demi-finales de la deuxième édition du Tournoi national du théâtre d’improvisation (TNT d’Impro) regroupant ces 3 troupes et les S’toon Zoo de Casablanca, organisée à la salle Bahnini le 19 février 2020, la petite et grande finale du TNT d’impro ayant eu lieu à Casablanca à la F.O.L. le 21 février 2020.
«Sur Rabat, on constate donc un rythme élevé de 10 spectacles payants par trimestre. La saison artistique 2019-2020 a connu une affluence du public respectable, une moyenne estimée de 80 à 90 personnes par spectacle. Les spectacles sont généralement organisés à la salle Gérard Philipe de l’Institut français, à la Villa des arts de Rabat de la Fondation ONA ou à Louzine Studios, un espace culturel multidisciplinaire privé au quartier de l’Océan à Rabat», indique Zen Boum Bah.Questions à la troupe de théâtre d’improvisation «Zen Boum Bah !»
«Il nous semble que la discipline de théâtre d’improvisation reste très concentrée sur Rabat et Casablanca».
Le Matin : Comment vous voyez l’évolution du théâtre d’improvisation au Maroc ?
Selon notre connaissance, l’improvisation théâtrale au Maroc a connu ses prémisses dans les années 1990, mais a connu son essor à partir des années 2010 et en particulier depuis les 5 ou 6 dernières années. Ces dernières années, nous constatons effectivement beaucoup plus de spectacles et de personnes pratiquant cette discipline, soit à travers la participation aux divers ateliers de formation, soit en tant que comédiens dans une troupe. Par contre, il nous semble que la discipline reste très concentrée sur Rabat et Casablanca, malgré quelques spectacles organisés de manière anecdotique dans d’autres villes comme Agadir, Kénitra, Marrakech ou Tanger… Les villes de Rabat et de Casablanca ont la chance de voir ainsi émerger 4 équipes qui pratiquent la discipline de manière sérieuse, à savoir les S’toon Zoo, LAMI, la CIR et les Zen Boum Bah. Ces équipes s’entraînent chaque semaine, organisent des spectacles récurrents, recrutent de manière sélective des personnes qui ont suivi des cours d’impro pendant plusieurs années, soit plus de 100 heures de formation minimum aux techniques de l’improvisation. En termes de spectacles, les formats les plus récurrents restent le cabaret ou le match d’impro avec des improvisations courtes (de 2 à 8 minutes).
Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers et chercher à améliorer en continu la qualité de nos spectacles, explorer de nouveaux univers de jeu, voire de diversifier les types de spectacles.Nous constatons aussi plus d’interactions entre les troupes existantes. La création des Zen Boum Bah en 2019 a par exemple permis de faire 2 éditions du tournoi national d’impro regroupant les 4 équipes en 2019 et 2020. C’était un franc succès !À votre avis, comment peut-on développer cette discipline ?
Mokhtar Chemaou, président de Zen Boum Bah : Déjà que les médias comme vous en parlent ! Nous vous en remercions. De manière générale, nous avons besoin de communiquer plus, notamment à travers nos réseaux sociaux, mais aussi qu’on parle plus de nous grâce à de la visibilité dans les médias.
Par ailleurs, il nous semble nécessaire d’augmenter le nombre de personnes qui pratiquent la discipline, c’est-à-dire avoir plus d’ateliers pour agrandir le vivier de comédiens de qualité, qui pourraient soit être recrutés en troupe, soit qu’ils constituent leur propre groupe. Pour cela, il faut donner les moyens à la discipline de se développer : lieux de répétitions, salles de spectacles adaptés, possibilité d’échanges, mobilisations de sponsors, d’aides… C’est une discipline qui ne demande pas beaucoup de moyens et qui est à la portée des petits et des grands. Elle est aussi un excellent moyen de prendre confiance en soi, de ne pas avoir peur de l’échec, d’apprendre à écouter, d’interagir de façon naturelle avec les autres, de sociabiliser et d’apprendre les subtilités d’une langue, et tout cela dans une manière ludique. Au Canada, la pratique de l’improvisation théâtrale figure parmi les enseignements au niveau des écoles du primaire et du collège. En 2010, Jamel Debbouze, pur produit de l’improvisation théâtrale, et Marc Ladreit de Lacharrière, un dirigeant d’entreprise et milliardaire français, ont réussi à mobiliser les politiques en France pour créer le «Trophée d’impro Culture et Diversité» qui permet d’offrir des ateliers d’improvisation durant toute l’année à des collégiens dans 45 collèges et d’organiser un championnat d’improvisation. Ça serait bien de généraliser la discipline dans les collèges marocains par exemple.J’espère également que nous nous organiserons encore plus entre troupes, que nous densifierons le jeu entre nous et que nous viserons tous à améliorer la qualité de notre jeu et de nos spectacles.Zakia Bennouna, membre co-fondatrice de Zen Boum-Bah : La discipline de l’improvisation théâtrale gagnerait à s’ouvrir davantage en termes d’approche, d’univers, de sujets abordés. L’improvisation a certes des principes et des codes communs aux improvisateurs de tout horizon, mais l’approche héritée initialement de l’Amérique du Nord puis de l’Europe peut évoluer et doit évoluer chez nous pour être appropriée et assimilée dans le milieu et la culture dans laquelle elle s’exerce. L’exigence de la qualité de jeu n’exclut pas l’exploration et une certaine liberté artistique que nous gagnerons à développer à l’avenir.
Le développement de la discipline passera aussi par un élargissement du cercle de l’improvisation : cibler un public plus large et démocratiser l’accès à la discipline en intégrant un vivier diversifié, d’horizons culturels et sociaux différents. Il s’agit par ailleurs de professionnaliser l’impro en créant un parcours type cohérent et partagé, accessible à la fois à des comédiens professionnels ainsi qu’à des comédiens amateurs. Cela passera également par le développement de partenariats culturels au niveau national et international, dans le domaine dédié à l’improvisation (partage d’expériences et de compétences, formations, échanges, master class...) mais aussi avec des artistes d’autres domaines qui viendraient enrichir l’univers de l’impro.L’improvisation peut aussi toucher un public plus large si nous parvenons à aborder des sujets de société plus diversifiés, impactant, qui touchent les subtilités de nos cultures.Le challenge sera de réussir à concilier entre l’identité marocaine et l’âme de l’improvisation avec le respect de ses principes et de ses spécificités.Ahmed El Falah, comédien et metteur en scène, membre de Zen Boum Bah : Il existe plusieurs types d’improvisations. Les plus pratiqués au Maroc restent le match et le cabaret.
Le match d’improvisation est le concept le plus populaire, car le public y joue un rôle très important dans la construction du spectacle. Il vote pour les improvisations qu’il a préférées, permettant de comptabiliser des points afin de faire gagner une des deux équipes sur scène. Le souffle de compétitivité et de sport que les québécois.e.s ont mis dans cette discipline explique l’engouement du public.Le match et le cabaret d’improvisation théâtrale sont des concepts importés par des comédien(ne)s français(e)s. Ce qui explique l’influence francophone sur la pratique de l’improvisation au Maroc orientée «divertissement».Le match et le cabaret ne sont pas les seuls concepts d’improvisation au Maroc. Et le divertissement n’est pas la seule finalité. Et heureusement ! Je pense que l’improvisation théâtrale peut être un moyen efficace à travers lequel nous pouvons porter la parole sur des sujets de société qui touchent les marocain(ne)s.Le spectacle «Révolution» en est la preuve. «Révolution» est une pièce de théâtre d’une heure, 100% improvisée, que j’ai créée en 2019. Durant ce spectacle, les comédiens découvrent sur scène, en même temps que le public, les péripéties de l’histoire qu’ils racontent. Sans texte, sans canevas, sans trame mais une généreuse envie de créer un spectacle où on voit l’impact d’une décision sur un groupe d’individus.À travers ce spectacle, j’ai pu innover en sortant des formats «classiques» d’improvisation, et j’ai pu joindre l’utile à l’agréable en soulevant des questions philosophiques relatives à notre société et ses modes de fonctionnement.«Révolution» était pour moi un vrai déclic, car il m’a confirmé l’idée que je me faisais de l’impro comme une discipline potentiellement porteuse de messages et de valeurs. J’ai également réalisé que l’improvisation est un moyen efficace de développement personnel, ce déclic m’ayant amené à utiliser l’improvisation dans le travail associatif. En effet, mon amie Sanam Monteiro et moi-même avons décidé de travailler, en collaboration avec la Fondation Orient Occident, sur l’intégration des réfugié(e)s à travers l’improvisation. Nous avons pu accompagner durant cette belle expérience, des mineurs non accompagnés, des minorités visibles victimes de discriminations et des femmes victimes de violences.Qu’est-ce qui accroche le public dans un spectacle d’impro ?
Un spectacle d’improvisation a la particularité d’être interactif, intense, unique et éphémère. Le spectateur sait qu’il assiste à un spectacle écrit spontanément devant le public et qui n’aura pas lieu ailleurs ni une autre fois. Le spectateur est aussi partie prenante du spectacle en quelque sorte lorsqu’il participe à la proposition des thèmes abordés ou lorsqu’il procède à un vote pour une équipe dans le cadre des matchs. Le public peut également se reconnaitre dans les personnages incarnés sur scène.
Le public est aussi friand de l’effet surprise, les comédiens étant mis face à la contrainte de créer une histoire, de la faire avancer, de trouver des issues à leur impro et d’incarner les personnages et les émotions dans le même moment en direct. Ces contraintes avec lesquelles les comédiens valsent sans cesse sont appréciées par le public.Comment vivez-vous la fermeture des espaces culturels ?
Le spectacle vivant a subi de plein fouet comme d’autres secteurs les conséquences de la crise sanitaire mettant en difficulté des pans entiers de l’économie. Nous concernant, nous sommes pour la plupart d’entre nous salariés, nous ne sommes pas dépendants économiquement des recettes de nos spectacles. Nous ne portons donc pas nos plaintes sur l’aspect financier mais plutôt sur l’asphyxie que nous vivons tous sur le plan culturel. Par contre pour ceux qui en vivent c’est plus dur et nous espérons vraiment que nous arriverons bientôt au bout de cette épreuve. Toutefois, les artistes professionnels au sein des troupes vivent en général plus des ateliers payants pour le grand public ou par les interventions en entreprises et autres activités artistiques que par les spectacles d’improvisation eux-mêmes.
Concernant l’improvisation en particulier, cette crise est venue fragiliser davantage la relation au public encore difficile à élargir ou à fidéliser, la discipline n’étant pas encore largement populaire au Maroc.Mais la carence culturelle induite par la crise et le besoin plus affirmé de retrouver une vie culturelle et sociale peut être un défi pour nous : attirer davantage le public dans nos salles et mieux communiquer autour de notre discipline.Heureusement, nous avons pu continuer les entraînements grâce notamment à des initiatives comme celle de la Fondation Hiba qui nous a permis d’utiliser le cinéma de la Renaissance pour nos entrainements. L’institut français et d’autres lieux artistiques ont aussi permis d’accueillir différents artistiques pour répéter dans leur salle que ce soit pour la discipline du théâtre, ou des groupes de musiques…Sur la fermeture des espaces culturels, nous avons lu une récente lettre ouverte de la Chambre marocaine des salles de cinéma qui expose, d’une part, les résultats d’une étude démontrant que s’asseoir dans une salle de cinéma ou de théâtre, avec une jauge réduite et en portant un masque, est moins risqué que d’aller au coiffeur avec un masque ou de faire ses courses au supermarché, et d’autre part montre un benchmarking avec d’autres pays qui ont ouvert leurs salles de spectacles malgré une situation de transmission du virus plus critique qu’au Maroc. Nous espérons vraiment l’ouverture de ces espaces pour les artistes et le public.La créativité et les différentes formes d’art étant des sources d’expression et de réflexion individuelles et collectives, nous aurions aimé voir en l’art et la culture une alternative et un levier pour une sortie de crise innovante.Présentation des «Zen Boum Bah !»
L’amitié née des belles rencontres au sein des ateliers d’improvisation, une passion partagée et le goût de l’aventure ont propulsé la création des «Zen Boum Bah !» en 2019. Cette troupe rbatie compte aujourd’hui 11 improvisateurs, dont 6 filles ainsi qu’une chargée de communication. S’inspirant de la spontanéité, de la musicalité et de la candeur du jeu de notre enfance «Zen Boum Bah !», l’authentique chifoumi marocain, les «Zen Boum Bah !» ont basé leur identité sur la spontanéité, la complicité, la bienveillance et la joie du partage dans le jeu. Depuis sa création, la troupe s’entraîne régulièrement et a organisé plusieurs spectacles et matchs avec d’autres équipes et a participé aux deux éditions du Tournoi national du théâtre d’impro. La troupe partage sur sa page Facebook «https://www.facebook.com/zenboumbah», ses nouveautés et réalisations.