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Violences fondées sur le genre, l’autre pandémie à éradiquer

La violence à l’égard de l’autre est un phénomène qui traverse le temps, les cultures et les classes sociales. Elle peut prendre de multiples formes et concerner plusieurs catégories de personnes. Longtemps considérée comme tabou, ou pire comme une pratique «normale», la violence est aujourd’hui omniprésente et surtout plus exposée. Pour étudier ce phénomène, notamment la violence subie par les femmes, d’une part, et par les hommes, d’autre part, le Haut-Commissariat au Plan (HCP) ne cesse de travailler sur des enquêtes aussi importantes que surprenantes dévoilant des chiffres qui interpellent notre société. Au-delà de nous interpeller, ces enquêtes lèvent le voile sur des réalités absurdes qu’il faut absolument changer notamment par une réglementation plus stricte, une éducation collective et un retour aux valeurs de l’éthique, de la morale et de la bienveillance.

La violence à l’égard de l’autre, une plaie de notre société

Selon une dernière enquête du Haut-Commissariat au Plan, intitulée «Différenciation de la violence entre les femmes et les hommes et sa perception masculine», les femmes sont plus exposées à la violence que les hommes dans tous les espaces de vie et pour toutes les formes de violence. Par forme de violence, l’écart entre les taux de prévalence de la violence subie par les femmes et par les hommes est de 13 points de pourcentage pour la violence économique, 12 points pour la violence sexuelle, 10 points pour la violence psychologique et de 2 points pour la violence physique.
Par espace de vie, cet écart est de 16 points dans le cadre conjugal, 11 points dans les établissements d’enseignement et de formation, 7 points dans le contexte familial et de 3 points dans les lieux publics.
Dans le cadre professionnel, la différence entre les hommes et les femmes dans la prévalence n’est pas significative (un point de plus pour les hommes), selon la note. Le HCP fait également observer qu’aussi bien pour les femmes que pour les hommes, le contexte conjugal s’avère l’espace de vie le plus marqué par la violence puisque 53% de l’ensemble des violences subies par les femmes et 39% par les hommes sont perpétrés par le (la) partenaire intime.
De même, parmi toutes les formes de violence, celle psychologique reste la forme la plus dominante. Elle représente 54% de l’ensemble des violences subies par les femmes et 73% de celles subies par les hommes, selon le HCP.
Et de rappeler que les résultats de l’Enquête nationale sur la violence à l’encontre des femmes et des hommes de 2019 révèlent que près de 50% de la population âgée de 15 à 74 ans ont subi au moins un acte de violence au cours des 12 mois précédant l’enquête, 57% des femmes et 42% des hommes. 


Violence subie par les hommes, un tabou qui se dévoile

Sans être dans l’optique «de minimiser les violences endurées par les femmes», le HCP vient de dévoiler les résultats d’une Enquête sur la prévalence de la violence subie par les hommes dans les différents espaces de vie. Il en ressort que plus de 42% des hommes ont subi au moins un acte de violence, 46% en milieu urbain et 35% en milieu rural, durant les 12 mois précédant la réalisation d’une enquête réalisée par le HCP et dévoilée en début du mois. Cette violence est plus répandue parmi les jeunes âgés de 15 à 34 ans (47% contre 29% parmi ceux âgés de 60 à 74 ans), parmi les célibataires (46% contre 40% parmi les mariés) et ceux ayant un niveau scolaire supérieur (46% contre 33% pour ceux sans niveau scolaire). «Si l’on considère la violence durant toute la vie, 70% d’hommes ont subi au moins un acte de violence, 75% parmi les citadins et 61% parmi les ruraux», note le HCP, précisant que le contexte conjugal s’avère l’espace de vie le plus marqué par la violence puisque 31% des hommes sont victimes de violence perpétrée par la partenaire (épouse, ex-épouse, fiancée ou amie intime).

La violence dans les autres contextes de vie touche près de 12% d’hommes dans le cadre familial perpétrée par un membre de la famille autre que la conjointe et 10% dans l’espace public. Ils sont 16% à être victimes de violence dans le cadre de l’exercice de leurs activités professionnelles et 12% dans le cadre de leurs études. À l’exception des lieux d’éducation et de formation, les hommes citadins sont plus exposés à la violence dans les autres espaces de vie que leurs homologues ruraux. Par forme de violence, 37% des hommes ont subi la violence psychologique au cours des 12 mois précédant l’enquête, 11% la violence physique, 2% la violence sexuelle et 1% la violence économique. Ainsi, 73% de l’ensemble des violences subies par les hommes sont dus aux violences psychologiques, 20% aux violences physiques, 4% aux violences sexuelles et 3% aux violences économiques.

La prévalence de la violence conjugale, établie à 31% durant les 12 mois précédant l’enquête, varie selon les caractéristiques démographiques et socio-économiques des hommes victimes de violence. Elle est plus élevée parmi les citadins avec 33% (27% en milieu rural), les plus jeunes âgés de 15 à 24 ans avec 61% (24% parmi ceux ayant 60 à 74 ans) et ceux ayant un niveau scolaire supérieur avec 41% (24% parmi ceux n’ayant aucun niveau scolaire).
Les violences physiques et/ou sexuelles ont été infligées à 2% des hommes (dont 1% ont été victimes de violence physique). La violence économique, pour sa part, touche moins de 1% des hommes dans ce contexte.  


Déclaration

Chakib Guessous, anthropologue, sociologue

«Il faut d’emblée noter que, contrairement aux enquêtes sur la violence faite aux femmes, cette dernière étude du HCP a été intitulée “Prévalence de la violence subie par les hommes”. Ce sont donc deux notions à différencier. Je me suis tout de suite intéressé aux raisons de cette enquête avant de regarder les résultats. Elle s’est, en effet, faite en complément à une autre enquête sur la violence faite aux femmes. J’ai noté également que l’échantillonnage considéré est très disparate, ce qui à mon avis augmente la marge d’erreur. Mais statistiquement parlant, les deux enquêtes sont valables et dévoilent des données intéressantes. Reste que l’interprétation de ces données est assez difficile à faire. L’une des idées à retenir c’est qu’on commence à parler de violence psychologique faite aux hommes. À mon avis, il est certain que la scolarisation des filles, le fait qu’elles soient instruites et moins soumises à l’homme est en train de changer la nature de la relation entre les femmes et les hommes et notamment au sein du couple. Les jeunes femmes n’acceptent plus un certain nombre de choses que leurs mères ou grand-mères admettaient auparavant. La femme essaye de négocier sa place au sein du foyer et parfois cela passe par un rapport de force. Mais juger l’étendue de ces violences reste subjectif et dépend en grande partie de l’interprétation que font les uns et les autres de certains actes non physiques bien sûr. Nous assistons en fait à un changement des paradigmes dans la vie de couple, car la société est en pleine mutation. Il faut noter aussi que la femme est en train d’évoluer en s’ouvrant sur l’enseignement, l’emploi, l’entrepreneuriat ou autre, et l’homme est, quelque part, resté dans sa zone de confort. C’est pour cela d’ailleurs que nous assistons à une hausse sans préalable des divorces. Ces changements pourraient donc par la suite réaliser l’équilibre homme-femme dans la société.» 


Les conclusions du HCP 

L’analyse des perceptions des hommes vis-à-vis de la violence en général révèle un décalage entre le vécu et le perçu des hommes quant au contexte de vie le plus violent et la forme de violence la plus répandue. En effet, si le contexte conjugal et la forme psychologique affichent les taux de prévalence les plus élevés, ce sont plutôt les lieux publics et la forme physique qui sont perçus comme les plus concernés par la violence. 
En outre, malgré la conscience masculine de la vulnérabilité des femmes à la violence, l’analyse des perceptions des hommes vis-à-vis des rôles sociaux et des rapports d’autorité au sein du couple reflète une persistance de la vision traditionnelle des rôles entre hommes et femmes au sein du couple. Cette persistance se reflète aussi par la reconnaissance au conjoint le droit de violenter et/ou de battre sa conjointe pour une quelconque faute et la considération de la violence conjugale comme étant une affaire propre du couple qu’il faut vivre en privée, surtout parmi les ruraux, les moins instruits et les anciennes générations. De telles perceptions masculines représentent un facteur de risque de victimisation majeur qui favoriserait la perpétration et la persistance de la violence à l’égard des femmes. 


Plus de la moitié des hommes méconnaissent la loi 103-13

D’un autre côté, plus de la moitié des hommes (57%) ne sont pas au courant de l’existence de la loi 103-13 relative à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes. Cette proportion est plus élevée en milieu rural (69% contre 51% en milieu urbain) et parmi les hommes sans niveau scolaire (74% contre 30% parmi ceux ayant un niveau supérieur).
Quant à la satisfaction des hommes vis-à-vis de cette loi, 17% d’entre eux la considèrent comme suffisante pour garantir totalement la protection des femmes contre la violence contre 31% d’hommes qui la jugent plutôt insuffisante, et particulièrement les citadins (35%) et ceux ayant un niveau scolaire supérieur (41%). 


La pauvreté, les conflits d’intérêt matériel et le manque de communication : principales sources de violence dans le contexte conjugal

Indépendamment de leurs caractéristiques socio-démographiques, les hommes incriminent les facteurs matériels et socio-économiques (la pauvreté et le chômage des jeunes, en l’occurrence) ainsi que les facteurs d’ordre relationnel, dont les problèmes de communication, dans la survenue de la violence. Il existe, certes, des variations selon certaines caractéristiques et selon les contextes étudiés.
Concernant la violence conjugale, les conflits d’intérêt matériel sont cités comme principales causes de la violence par 39% des hommes en milieu urbain. En milieu rural, c’est la pauvreté qui est citée en premier lieu par 44% des hommes. Les deux facteurs combinés, les conflits d’intérêt matériel et la pauvreté représentent les principaux facteurs de risque de la violence conjugale pour 74% d’hommes (73% en milieu urbain et 77% en milieu rural). Les problèmes de communication sont incriminés par plus de 6% des hommes ; 9% parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans et aussi parmi les hommes ayant un niveau scolaire supérieur. 


Sept hommes sur dix affirment le caractère privé de la violence conjugale

40% des hommes sont d’accord sur le fait que la partenaire endure la violence infligée par son conjoint pour conserver la stabilité de la famille, 15% d’entre eux sont catégoriquement d’accord et 25% sont a priori d’accord. Cette perception est plus élevée parmi les hommes sans niveau scolaire (50% contre 22% de ceux ayant le niveau supérieur), les ruraux (48% contre 36% parmi les citadins) et les plus âgés de 60 à 74 ans (46% contre 37% parmi ceux âgés de 15 à 34 ans).

À cet égard, les hommes avancent, en général, des raisons sociales pour justifier la continuité d’une relation conjugale avec un partenaire violent. 72% des hommes l’imputent principalement à la présence des enfants dans le couple, 6% à l’existence des relations familiales et 4% au manque de ressources de la femme.
En outre, 42% des hommes (51% dans le rural) affirment de manière catégorique que la violence au sein du couple est une affaire privée que la partenaire ne doit en aucun cas divulguer, 28% en sont a priori d’accord, ce qui représente un total de 70% d’hommes (76% en milieu rural et 66% en milieu urbain).
En lien avec la dimension privée de la violence conjugale, les hommes ont été également interrogés sur leurs réactions en présence d’un homme qui bat sa femme. Plus de 36% des hommes déclarent «ne rien faire» considérant cette situation comme étant une affaire privée des concernés. Cette proportion est encore plus élevée dans l’urbain (40%) et parmi les célibataires (41%). 

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