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«Entre Rabat et Paris une relation diversifiée»

A l’occasion de sa première visite officielle au Maroc, les 8 et 9 mars, le ministre français des Affaires étrangères, a accordé une interview exclusive à la MAP.

«Entre Rabat et Paris une relation diversifiée»
«Pour tout dire, j'ai de l'admiration devant ce modèle marocain», Alain Juppé, pour une visite importante destinée à renforcer la relation dense et le dialogue politique d'une extrême qualité entre le Maroc et la France. (Photo : Archive)

Alain Juppé souligne son admiration pour le modèle apaisé des réformes au Maroc et salue l’ambition réformatrice et visionnaire de S.M. le Roi Mohammed VI que la France est plus que jamais décidée à soutenir.

  Vous venez pour la première fois au Maroc en tant que chef de la diplomatie française à un moment où de profonds changements s’opèrent dans ce pays avec la nomination d’un gouvernement dirigé par le Parti Justice et développement (PJD). Face à la nouvelle donne dans la région, vous avez résumé la doctrine de la France par la formule :  «Confiance et vigilance». Comment se décline-t-elle dans le cas précis du Maroc ?

L’histoire a créé entre la France et le Maroc une relation singulière, de grande intimité, et d’amitié, à laquelle nous sommes profondément attachés. J’ai, effectivement, caractérisé notre attitude vis-à-vis des bouleversements en cours au sud de la Méditerranée par ces deux mots : confiance dans tout ce qu’apporte la démocratie, vigilance dans le respect des droits de l’Homme au nom même du respect des principes démocratiques.

Avec le Maroc, je peux dire qu’aujourd’hui c’est la confiance qui est à l’ordre du jour. Le Maroc a tout pour réussir : une population jeune, dynamique et travailleuse ; une situation géographique stratégique, aux confins de l’Europe et de l’Afrique, de l’Atlantique et de la Méditerranée ; un système politique récemment adapté et modernisé, qui concilie tradition et modernité, ouverture et équilibre. J’ai été le premier à saluer l’ambition réformatrice et visionnaire du Roi Mohammed VI qui a, très vite, pris en compte les dynamiques politiques et sociales à l’œuvre dans son pays.

La Constitution a été réformée en profondeur, des élections transparentes se sont déroulées, un nouveau gouvernement s’est mis au travail dirigé par le chef du parti arrivé en tête aux élections. Tout cela se fait de manière apaisée. Pour tout dire, j’ai de l’admiration devant ce modèle marocain.

 Les Marocains attendent beaucoup de la France pour les accompagner dans leur transition démocratique, notamment par un soutien financier. Paris a plaidé pour que le Maroc intègre la liste des bénéficiaires du Partenariat de Deauville, Est-ce qu’il faut s’attendre à des annonces chiffrées et précises ?

Lancé par la France dans le cadre de sa présidence du G8, le Partenariat de Deauville vise à apporter une réponse à la hauteur des changements extraordinaires portés par le 'printemps arabe'. Tout ne va pas aussi vite que l’on voudrait mais, notamment grâce à notre insistance, déjà 3,6 milliards d’euros ont déjà été décaissés et investis dans le cadre de ce partenariat. Des projets concrets ont été identifiés dans les différents pays bénéficiaires : pour le Maroc, il s’agit de projets d’aménagement du territoire et d’aide au développement rural.

Dans le cadre strictement bilatéral, quel coup de pouce comptez-vous donner à la coopération franco-marocaine, et dans quels secteurs prioritaires pour l’avenir ? la jeunesse, l’emploi, la mobilité, par exemple ?

Le Maroc bénéficie de notre première enveloppe de coopération dans le monde, depuis longtemps et pour encore longtemps. C’est le pays où nous avons le plus vaste réseau d’établissements culturels au monde. Ce sont les étudiants marocains qui constituent le premier contingent d’étudiants étrangers accueillis en France. Cette coopération tous azimuts repose sur un nouvel instrument, l’Institut français du Maroc, qui regroupe le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade et l’ensemble des instituts français du Maroc. Cette nouvelle structure est le gage d’une meilleure efficacité de nos actions. Dans ce cadre, nous allons lancer la deuxième «saison culturelle franco-marocaine» pour renouveler le succès de la première édition de 2011.

A l’heure de ce qu’on a appelé le «printemps arabe», la France est plus que jamais impliquée dans le soutien au Maroc qui s’est engagé dans de profondes réformes. Nos champs de coopération sont multiples, mais je veux citer deux priorités à destination de la jeunesse et de leur accès à l’emploi : la coopération universitaire, éducative et linguistique, avec un accent nouveau mis sur la formation professionnelle, ainsi que la coopération pour la recherche.

La région du Maghreb bouge et la France a salué «la dynamique en marche» sur la voie de l’intégration maghrébine, mais celle-ci bute encore sur la question du Sahara et la fermeture des frontières maroco-algériennes. Quel est le message de la France à ses différents partenaires de la région pour concrétiser cette dynamique ?

 Depuis longtemps, la France plaide auprès des pays du Maghreb, et auprès du Maroc et de l’Algérie en particulier, pour un renforcement de l’Union du Maghreb Arabe.

Le «non Maghreb» coûte trop cher et, en ces temps de crise économique, l’Afrique du Nord ne peut plus se payer le luxe d’être divisée. L’Europe, aussi, a besoin d’un Maghreb fort et uni. La réunion des ministres des affaires étrangères de l’UMA organisée à Rabat le 18 février a été un succès, que devrait prolonger le sommet des chefs d’Etat de l’UMA qui pourrait se tenir en Tunisie au second semestre. Il y a un frémissement, c’est incontestable : les choses avancent. Les esprits évoluent. J’ai pu le constater à Rome, le 20 février, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du groupe des dix : il y régnait une atmosphère très positive, en particulier entre mes homologues maghrébins. Nous encourageons l’intégration régionale. Mais nous ne nous immisçons pas.

Votre visite intervient à la veille d’un nouveau round de négociations informelles sur le Sahara, sous l’égide de l’Onu. La France soutient clairement le plan d’autonomie marocain mais jusqu’ici, aucun progrès n’a été enregistré de l’aveu de Christopher Ross lui-même. Que faut-il faire pour sortir de l’impasse?

La position de la France n’a pas varié sur le Sahara marocain. Nous jugeons indispensable que les parties parviennent, dans le cadre de l’Onu, à une solution politique juste et durable. Et nous pensons toujours que le plan d’autonomie marocain, qui est aujourd’hui la seule proposition réaliste sur la table, constitue la base sérieuse et crédible d’une solution. Il nous paraît également important que cette question continue à être traitée dans le cadre des Nations unies et qu’elle ne soit pas un obstacle dans le processus de rapprochement entre le Maroc et l’Algérie. Il me semble que c’est la voie choisie par les dirigeants de ces deux pays. Nous ne pouvons que les encourager dans ce sens.

 Vous avez plaidé en faveur de l’accord agricole Maroc-Union européenne, adopté au Parlement européen, mais le Maroc souhaite la conclusion d’accords de libre-échange «complets et approfondis», notamment pour les services. Que dites-vous à l’Union européenne dont certains membres veulent bien d’un accord de pêche, mais pas d’autres ouvertures vers le Maroc ?

Pour la France, la relation entre l’Union européenne et le Maroc doit constituer un exemple et un modèle. C’est avec le Maroc que l’Union a signé un de ses plus anciens accords d’association. C’est le Maroc, qui à ce jour, est le seul pays à bénéficier d’un «statut avancé» parmi les partenaires méditerranéens de l’UE. Les Européens sont aujourd’hui prêts à aller plus loin. Nous avons proposé et obtenu en octobre dernier qu’un accord de libre-échange complet et approfondi puisse être négocié entre l’UE et votre pays dès cette année et un mandat a été donné à la Commission européenne. C’est pour nous un élément primordial. Avec le Maroc, nous souhaitons qu’hormis les institutions, l’UE puisse, à terme, tout partager. D’ores et déjà l’accord agricole, sur lequel j’ai tenu à intervenir devant le Parlement européen, voté à une très large majorité par les députés européens, constitue un premier pas important.

Je suis convaincu que nos partenaires européens veulent une ouverture avec le Maroc. L’accord de pêche que vous évoquez a constitué un cas d’espèce très particulier, mais nous avons obtenu qu’un nouveau mandat soit donné à la Commission européenne pour qu’un nouvel accord puisse être négocié le plus vite possible.

 La France a cédé à l’Union européenne la co-présidence Nord de l’Union pour la Méditerranée (UpM), dont le secrétariat général est confié au Marocain Fathallah Sijilmassi. Ne craignez-vous que ce désengagement de la France qui portait fortement le projet, signe la fin de cette institution et renvoie le Sud de la Méditerranée au classique multilatéralisme de Bruxelles ?

 L’UpM est plus que jamais une priorité de la diplomatie française car c’est une belle et bonne idée, qui a déjà porté ses fruits avec le lancement de projets concrets, en particulier au Maghreb. Je pense notamment aux autoroutes transmaghrébines ou au plan solaire méditerranéen.

Pour que l’UpM se pérennise, pour qu’elle puisse trouver tous les financements nécessaires, il est important que l’Union européenne puisse y jouer un rôle majeur. Bien évidemment, la France continuera à jouer son rôle d’aiguillon, de proposition.

Le fait que le secrétariat général demeure marocain, après la promotion de Amrani, qui avait réalisé en quelques mois un travail remarquable, est un autre gage de durée et de succès, d’autant que chacun connaît les qualités de Sijilmassi.

Quel est l’apport du Maroc, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, aux efforts que vous ne cessez de mener pour mettre fin à la tragédie du peuple syrien ?

C’est un apport essentiel : le Maroc est le seul pays arabe membre du Conseil de sécurité. Je peux vous dire que la voix du Maroc est écoutée et respectée à New York. Le Maroc a ainsi été à la pointe des efforts de l’écrasante majorité du Conseil pour adopter une résolution soutenant le plan de la Ligue arabe pour mettre un terme au conflit dramatique en Syrie. Le veto de deux membres permanents n’a pas permis à cette initiative d’aboutir.

La concertation franco-marocaine est permanente à New York. Notre souhait est de continuer à travailler étroitement ensemble, au Conseil de sécurité et dans les autres enceintes onusiennes, ainsi désormais qu’au sein du groupe des amis du peuple syrien. Notre concertation –qui dépasse d’ailleurs les seuls sujets liés au monde arabe– a comme toujours été étroite, confiante et efficace. Elle le demeurera.

Quel rôle le Maroc pourrait-il jouer dans la lutte contre le terrorisme au Sahel?

Le développement du terrorisme dans la zone saharo-sahélienne est une préoccupation majeure pour tous les pays de la région comme pour la France, qui en a été victime à plusieurs reprises.

 La menace constituée notamment par Aqmi n’a pas diminué ces dernières années, bien au contraire.

Le Maroc peut et doit jouer un rôle essentiel dans toutes les initiatives régionales et multilatérales sur la sécurité au Sahel. Nous saluons la participation active du Maroc au groupe de travail sur le Sahel du Forum global de lutte contre le terrorisme.

Le Maroc a ainsi pu montrer son engagement et sa volonté de partager son expertise. Nous devons à présent poursuivre nos efforts tant sur le plan de la sécurité que du développement pour tarir les sources de recrutement des groupes terroristes.

Pour sa part, la France continuera d’apporter une aide bilatérale pour promouvoir le développement économique et social de l’ensemble de la région. Au niveau multilatéral, la France s’est mobilisée pour que l’Union européenne élabore une «stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel». 

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