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Les adouls en bataille pour leur dignité professionnelle

La profession du notariat adoulaire (les adouls) au Maroc traverse une crise profonde. Mécontents des dispositions de la loi 16.03 qui régit leur profession, les adouls multiplient les actions revendicatives pour obtenir une réforme législative équitable. La semaine dernière, ils ont organisé un colloque national d'envergure pour attirer l'attention sur ce qu'ils qualifient de «discrimination législative» et de «hogra législative». Entre légitimité des revendications et exigences de gouvernance, cette profession millénaire réclame sa juste place dans le système judiciaire marocain. Une mobilisation qui témoigne d'un ras-le-bol généralisé face à une législation jugée injuste et dépassée.

Dans les méandres du système judiciaire marocain, une profession millénaire pousse un cri de détresse. Les adouls du Royaume, ces notaires traditionnels, gardiens de l'authenticité juridique, ne trouvent plus leur compte dans la législation actuelle. Leur colère gronde depuis des mois, et la semaine dernière, ils ont franchi un cap décisif en organisant un colloque national retentissant pour faire entendre leur voix. Une mobilisation sans précédent qui révèle, selon eux, les failles d'un système législatif à deux vitesses.

Une mobilisation nationale inédite

L'initiative émane du Conseil régional des adouls près la Cour d'appel de Tanger et de celui de Béni Mellal, soutenus par l'Instance nationale des adouls et coordonnés avec les Conseils régionaux de Kénitra, Oujda, Marrakech et Khouribga. Cette convergence géographique témoigne de l'ampleur du mécontentement qui traverse la profession d'un bout à l'autre du territoire.

Ce colloque national scientifique et de plaidoyer s'est articulé autour d'un thème révélateur : «La loi régissant le notariat adoulaire, entre légitimité des revendications et exigence de gouvernance». Un intitulé qui résume à lui seul les tensions actuelles qui traversent cette profession en quête de reconnaissance et d'un système législatif adéquat. Cette rencontre s'inscrit dans «une nouvelle étape d'une série d'actions visant à faire aboutir une réforme profonde de la loi 16.03 relative à la profession d'adoul, en adéquation avec les dispositions de la Constitution de 2011 et les recommandations de la Charte de la réforme du système judiciaire», soulignent les organisateurs.

Les «déséquilibres fondamentaux» dénoncés

Souleïman Adkhoul, président de l'Instance nationale des adouls, a ouvert les hostilités en pointant du doigt les incohérences de la législation actuelle. Si l'instance «ne détient pas de pouvoir législatif», elle «contribue activement au débat public en proposant des recommandations et des mémorandums dans le cadre de l'approche participative adoptée par le ministère de la Justice».

Le dirigeant tire la sonnette d'alarme sur ce qu'il qualifie de «déséquilibres fondamentaux» dans la loi actuelle. Au cœur de ses préoccupations figure la responsabilité pénale solidaire des deux adouls pour un même acte, «ce qui va à l'encontre du principe de la personnalité des peines». Ce principe juridique signifie qu'une personne ne peut être punie que pour les infractions qu'elle a personnellement commises. Selon lui, cette disposition, héritée d'une autre époque, soulève des questions juridiques fondamentales sur l'équité et la justice individuelle. Les problématiques s'étendent également à «l'authenticité de l'acte adoulaire et au régime de l'habilitation dans certains actes sensibles comme le mariage et le divorce», des domaines cruciaux où la modernisation des procédures s'impose avec urgence.

«Une bataille d'existence»

La véhémence du propos atteint son paroxysme avec l'intervention de Maître Idriss Trali, président du Conseil régional des adouls près la Cour d'appel de Béni Mellal. Pour lui, les enjeux dépassent largement le cadre corporatiste : «C'est une bataille d'existence : être ou ne pas être». Me Trali dénonce avec vigueur ce qu'il qualifie de «discrimination législative actuelle entre les différentes professions notariales» qui «ne reflète pas l'esprit de justice constitutionnelle». Son analyse va plus loin en pointant une «hogra législative», concept fort qui évoque l'injustice systémique, «où des lois sont rapidement adoptées pour certaines professions au détriment d'autres, en violation du principe d'égalité des chances et de justice législative». Cette inégalité de traitement constitue le nœud du problème. Pendant que certaines professions juridiques bénéficient de réformes rapides et favorables, les adouls estiment être relégués au second plan, victimes d'un système à géométrie variable.

L'appel à une révision complète

Face à cette situation, Me Trali appelle à «une révision complète de la loi 16.03 pour rétablir l'équilibre au sein du système national du notariat». Son constat est sans appel : «La réalité de la profession ne peut perdurer sous des contraintes législatives injustes, alors que d'autres professions bénéficient de tous les droits et privilèges». Cette revendication s'inscrit dans une logique de rééquilibrage du paysage notarial marocain. Les adouls, forts de leur tradition séculaire et de leur rôle essentiel dans l'authentification des actes, refusent d'accepter un statut de citoyens de seconde zone dans l'univers juridique national.

Un sentiment d'exclusion généralisé

Maître Saïd Essroukh, président du Conseil régional des adouls près la Cour d'appel de Tanger et membre du bureau exécutif national, apporte un éclairage complémentaire sur les motivations de cette mobilisation. Le choix du thème du colloque «n'était pas fortuit, mais traduisait un sentiment général d'exclusion chez les adouls». Son diagnostic est particulièrement sévère envers l'autorité de tutelle : «Il y a une impression claire que l'autorité de tutelle soit manque d'un canal de communication efficace, soit choisit délibérément de geler et contourner les revendications sans réelle réforme». Cette accusation de surdité administrative révèle un fossé de communication préoccupant entre la profession et sa tutelle. L'incompréhension mutuelle nourrit les frustrations et radicalise les positions, ont dénoncés les adouls.

Me Essroukh place ses espoirs dans les révisions attendues, actuellement en discussion devant le Parlement, «qu'il considère comme» une étape cruciale dans le processus de réforme. Il insiste sur la nécessité d'un «débat sérieux tenant compte de l'intérêt général». Sa mise en garde porte sur «le maintien du système des deux adouls sans adaptation de la loi aux prochaines réformes du Code de la famille». Cette préoccupation révèle l'interconnexion entre les différentes réformes juridiques et la nécessité d'une approche cohérente et globale.

Une approche institutionnelle revendiquée

Loin de tout corporatisme étroit, Me Essroukh précise que «l'Instance nationale des adouls ne s'inscrit pas dans une logique étroite de revendication corporatiste, mais plaide pour une approche fondée sur les droits et les institutions». L'objectif affiché consiste à «rendre à la profession adoulaire sa juste place en tant que service public délégué par l'État».

Ce colloque a ainsi réuni des «magistrats, des avocats et des universitaires à côté des représentants de la profession» autour des «grands défis auxquels fait face le plan de la justice, sous des angles juridiques, institutionnels et sociaux. Cette diversité des participants confère une légitimité académique et professionnelle aux conclusions de la rencontre», estiment les organisateurs. Les recommandations émises soulignent «la nécessité d'intégrer les revendications des adouls dans la version finale du projet de loi régissant leur profession». L'objectif vise à «faire évoluer le notariat adoulaire vers un système plus professionnel, équitable et efficace».

Un ultimatum à peine voilé

Le message final adressé «au ministère de la Justice et au Parlement» ne laisse aucune doute sur la détermination des adouls. «La profession du notariat adoulaire traverse un tournant décisif, et les adouls ne toléreront aucune réforme qui ne leur rendrait pas justice». Ils affirment «leur détermination à poursuivre leur mobilisation, leur plaidoyer et leur encadrement par tous les moyens légaux jusqu'au rétablissement de l'équilibre professionnel et législatif».
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