C’est à une véritable initiation au droit de la concurrence et aux rôle et missions du Conseil de la concurrence que s’est livré Ahmed Rahhou, président de cette instance constitutionnelle, devant une assistance attentive et séduite. Invité par nos confrères de «Finances News» mardi dernier, Ahmed Rahhou a, sans langue de bois et avec un langage accessible et profond, souvent didactique, rappelé la genèse du concept de régulation. Rappelant que l’activité économique n’est pas née au Maroc à partir du protectorat, mais bien avant, car le Maroc avait une industrie sucrière et exportait du blé depuis des siècles, au même titre que le commerce domestique des produits agricoles ou la production artisanale. De même, la régulation des marchés et la protection des consommateurs était assurée par des commis de l’État, tels que l’institution du Mouhtassib.
À l’aube de l’indépendance, notre pays avait pris la sage décision de ne pas détricoter les instances héritées du protectorat, qui ont tout de même contribué à moderniser notre économie. Il a plutôt opté pour les faire évoluer. C’est ainsi que dans les années 60 du siècle dernier, la plupart des produits étaient régulés par l’État. Mais le Maroc ayant fait le choix du libéralisme et de la libre entreprise, il a au fur et à mesure libéralisé les prix pour que seule subsiste une liste de 18 produits et services dont les prix sont administrés.
Dès les années 1990, avec la sophistication et la complexité de plusieurs secteurs économiques, l’État a compris que ces secteurs avaient besoin de visibilité pour se développer, sans être impactés par les changements de gouvernements ou de politiques. Citant le cas des télécoms, M. Rahhou a indiqué que le retrait de l’État de ce secteur au début des années 1990 avait conduit à une certaine méconnaissance du potentiel de ce secteur qui allait connaître un essor extraordinaire grâce à la création de l’ANRT (Agence nationale de régulation des télécommunications), qui avait pris le relais du ministère des PTT (Poste-Télégraphe-Téléphone). Depuis lors, d’autres instances de régulation ont vu le jour, venues compléter le panorama, l’État tenant le raisonnement suivant : certaines activités ne seront pas directement régentées par l’État, mais par des instances auxquelles l’État déléguera ses compétences, dotées d’autonomie et appelées conseil, autorité, instance, etc., qui ont une vision sur le long terme et donnent de la visibilité aux investisseurs.
La régulation bancaire qui existait dans le monde occidental bien avant, a été instaurée dès l’indépendance, avec la création de la Banque du Maroc. Cette régulation s’imposait, car, rappelle M. Rahhou, nous avons un métier où le nombre d’acteurs est limité, dont l’accès est régulé. Cette mission de la Banque centrale n’est pas toujours apparente pour le commun des mortels, qui pense à ses autres missions comme l’émission de monnaie fiduciaire, la gestion des réserves de change ou la maîtrise de l’inflation. Il en est de même du régulateur du secteur de l’assurance, l’ACAPS (Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale), dont les fonctions étaient assurées au sein de l’administration, pour l’ériger en autorité autonome. D’autres exemples sont donnés comme l’AMMC (Autorité marocaine du marché des capitaux). Dans tous ces cas de figure, l’autorité gouvernementale fixe les orientations et l’autorité de régulation assure le contrôle avec une certaine autonomie. Cette démarche est bienfaitrice, dans la mesure où ces autorités peuvent attirer l’attention de l’État sur des mesures ou des réformes nécessaires pour tel ou tel secteur. Ahmed Rahhou rappelle qu’un régulateur est souvent un défenseur du secteur, car un secteur qui échoue, c’est aussi un régulateur qui échoue ! Le régulateur oblige les opérateurs sous sa coupe à respecter les textes, mais ce faisant, il contribue à leur résilience et leur pérennité.
C’est dans cet ordre d’idées que le Conseil de la concurrence, avec les 12 membres composant son Conseil et ses 60 collaborateurs, joue un rôle transversal aux côtés des régulateurs sectoriels, car il a une vision globale et il peut les inviter à tenir compte de tel ou tel aspect qui risque d’avoir un impact négatif sur d’autres secteurs, ou encore s’il constate des entraves à l’entrée, interdites par la loi. Citant la nomination du nouveau président de l’Autorité de régulation de l’énergie, Ahmed Rahhou rappelle qu’à travers cette décision, il y a une volonté de faire évoluer ce secteur et lui permettre de capter une partie des investissements importants qui vont le concerner.
Cette démarche de l’État, consistant à moins gérer les secteurs et en confier les rênes à des régulateurs, sera certainement poursuivie dans les années à venir. M. Rahhou cite le cas des ports, où nous sommes passés de l’ODEP à Marsa Maroc et plus tard l’Agence nationale des ports, ajoutant qu’à terme, l’ONDA (Office national des aéroports) devrait suivre le même schéma, surtout si l’État venait à concéder un aéroport à un opérateur privé. Et pourquoi pas pour la Poste, ajoute-t-il. Le secteur de la santé n’est pas en reste, l’Agence de la santé a récemment été créée, l’Agence du sang et l’Agence du médicament. Même des secteurs régaliens commencent à être confiés à des autorités de régulation. Le jeu de la concurrence, rappelle le président du Conseil de la concurrence, n’est pas d’avoir des «bagarres» pour qu’il y ait le maximum de morts. Son objet est qu’il n’y ait pas de gens qui profitent d’une situation ou d’une rente. Deux préoccupations guident le Conseil de la concurrence : il faut que le consommateur ait le service et il faut qu’il y ait de l’innovation. Donnant plus de détails sur les missions du Conseil, M. Rahhou rappelle son rôle de contrôle à priori qui consiste à donner un accord préalable sur les opérations de concentration (quand une entreprise change de contrôle par rachat, fusion ou acquisition, etc.). L’explication est simple, dit-il, il est plus facile de donner un avis négatif dès le départ que de venir démonter une opération déjà intervenue. De plus, la publication de l’opération et le délai de 10 jours pour que toute personne du secteur intéressée puisse formuler une réserve ou une opposition, M. Rahhou faisant le parallèle avec le prêtre, lors d’un mariage à l’église, quand il demande si quelqu’un s’oppose à ce mariage, qu’il le dise ou qu’il se taise à jamais. La bonne concurrence veut que ce qui touche un secteur ne soit pas caché. Désormais, les opérations de concentration non portées à la connaissance du Conseil seront passibles d’amendes.
M. Rahhou a par ailleurs plaidé pour que toute entreprise se sentant victime de concurrence déloyale se plaigne au Conseil. Pourvu qu’elle précise ce qu’elle reproche, à qui elle le reproche et sur la base de quel texte. Si une infraction est établie, le Conseil sévira. Précisant que le dispositif juridique actuel est adapté, M. Rahhou rappelle que la loi autorise le Conseil à s’auto-saisir, soit pour émettre des avis ou des recommandations, soit pour mener des enquêtes contentieuses qui permettent de faire des perquisitions et qui peuvent déboucher sur des amendes si les infractions sont avérées. Les avis quant à eux s’adressent soit aux secteurs pour attirer leur attention sur des pratiques, soit au gouvernement pour modifier des lois ou des règlements. À cet égard, il compte passer en revue prochainement les secteurs qui ont un impact sur le pouvoir d’achat des citoyens ou ceux qui touchent beaucoup de monde sans forcément avoir un impact sur le pouvoir d’achat, comme par exemple les cafés.
Évoquant les soldes, M. Rahhou rappelle que ce sont des ventes à perte (déstockage par exemple) qui sont autorisées, parce qu’elles sont limitées dans le temps et qu’elles sont permises à toutes les entreprises. En revanche, le dumping est interdit, vu qu’il provoque des distorsions et des incidences négatives durables sur les concurrents. S’agissant des opérations en commun par des entreprises, M. Rahhou fait le distinguo entre deux entreprises concurrentes qui coopèrent, ce qui peut s’apparenter à une entente, mais il est des cas où des entreprises peuvent réaliser des choses en commun, ce qui peut être bénéfique pour le secteur, voire pour le pays. À cet effet, le Conseil est sur le point d’émettre une note expliquant ce qui est permis et sous quelles conditions. n
À l’aube de l’indépendance, notre pays avait pris la sage décision de ne pas détricoter les instances héritées du protectorat, qui ont tout de même contribué à moderniser notre économie. Il a plutôt opté pour les faire évoluer. C’est ainsi que dans les années 60 du siècle dernier, la plupart des produits étaient régulés par l’État. Mais le Maroc ayant fait le choix du libéralisme et de la libre entreprise, il a au fur et à mesure libéralisé les prix pour que seule subsiste une liste de 18 produits et services dont les prix sont administrés.
Dès les années 1990, avec la sophistication et la complexité de plusieurs secteurs économiques, l’État a compris que ces secteurs avaient besoin de visibilité pour se développer, sans être impactés par les changements de gouvernements ou de politiques. Citant le cas des télécoms, M. Rahhou a indiqué que le retrait de l’État de ce secteur au début des années 1990 avait conduit à une certaine méconnaissance du potentiel de ce secteur qui allait connaître un essor extraordinaire grâce à la création de l’ANRT (Agence nationale de régulation des télécommunications), qui avait pris le relais du ministère des PTT (Poste-Télégraphe-Téléphone). Depuis lors, d’autres instances de régulation ont vu le jour, venues compléter le panorama, l’État tenant le raisonnement suivant : certaines activités ne seront pas directement régentées par l’État, mais par des instances auxquelles l’État déléguera ses compétences, dotées d’autonomie et appelées conseil, autorité, instance, etc., qui ont une vision sur le long terme et donnent de la visibilité aux investisseurs.
La régulation bancaire qui existait dans le monde occidental bien avant, a été instaurée dès l’indépendance, avec la création de la Banque du Maroc. Cette régulation s’imposait, car, rappelle M. Rahhou, nous avons un métier où le nombre d’acteurs est limité, dont l’accès est régulé. Cette mission de la Banque centrale n’est pas toujours apparente pour le commun des mortels, qui pense à ses autres missions comme l’émission de monnaie fiduciaire, la gestion des réserves de change ou la maîtrise de l’inflation. Il en est de même du régulateur du secteur de l’assurance, l’ACAPS (Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale), dont les fonctions étaient assurées au sein de l’administration, pour l’ériger en autorité autonome. D’autres exemples sont donnés comme l’AMMC (Autorité marocaine du marché des capitaux). Dans tous ces cas de figure, l’autorité gouvernementale fixe les orientations et l’autorité de régulation assure le contrôle avec une certaine autonomie. Cette démarche est bienfaitrice, dans la mesure où ces autorités peuvent attirer l’attention de l’État sur des mesures ou des réformes nécessaires pour tel ou tel secteur. Ahmed Rahhou rappelle qu’un régulateur est souvent un défenseur du secteur, car un secteur qui échoue, c’est aussi un régulateur qui échoue ! Le régulateur oblige les opérateurs sous sa coupe à respecter les textes, mais ce faisant, il contribue à leur résilience et leur pérennité.
C’est dans cet ordre d’idées que le Conseil de la concurrence, avec les 12 membres composant son Conseil et ses 60 collaborateurs, joue un rôle transversal aux côtés des régulateurs sectoriels, car il a une vision globale et il peut les inviter à tenir compte de tel ou tel aspect qui risque d’avoir un impact négatif sur d’autres secteurs, ou encore s’il constate des entraves à l’entrée, interdites par la loi. Citant la nomination du nouveau président de l’Autorité de régulation de l’énergie, Ahmed Rahhou rappelle qu’à travers cette décision, il y a une volonté de faire évoluer ce secteur et lui permettre de capter une partie des investissements importants qui vont le concerner.
Cette démarche de l’État, consistant à moins gérer les secteurs et en confier les rênes à des régulateurs, sera certainement poursuivie dans les années à venir. M. Rahhou cite le cas des ports, où nous sommes passés de l’ODEP à Marsa Maroc et plus tard l’Agence nationale des ports, ajoutant qu’à terme, l’ONDA (Office national des aéroports) devrait suivre le même schéma, surtout si l’État venait à concéder un aéroport à un opérateur privé. Et pourquoi pas pour la Poste, ajoute-t-il. Le secteur de la santé n’est pas en reste, l’Agence de la santé a récemment été créée, l’Agence du sang et l’Agence du médicament. Même des secteurs régaliens commencent à être confiés à des autorités de régulation. Le jeu de la concurrence, rappelle le président du Conseil de la concurrence, n’est pas d’avoir des «bagarres» pour qu’il y ait le maximum de morts. Son objet est qu’il n’y ait pas de gens qui profitent d’une situation ou d’une rente. Deux préoccupations guident le Conseil de la concurrence : il faut que le consommateur ait le service et il faut qu’il y ait de l’innovation. Donnant plus de détails sur les missions du Conseil, M. Rahhou rappelle son rôle de contrôle à priori qui consiste à donner un accord préalable sur les opérations de concentration (quand une entreprise change de contrôle par rachat, fusion ou acquisition, etc.). L’explication est simple, dit-il, il est plus facile de donner un avis négatif dès le départ que de venir démonter une opération déjà intervenue. De plus, la publication de l’opération et le délai de 10 jours pour que toute personne du secteur intéressée puisse formuler une réserve ou une opposition, M. Rahhou faisant le parallèle avec le prêtre, lors d’un mariage à l’église, quand il demande si quelqu’un s’oppose à ce mariage, qu’il le dise ou qu’il se taise à jamais. La bonne concurrence veut que ce qui touche un secteur ne soit pas caché. Désormais, les opérations de concentration non portées à la connaissance du Conseil seront passibles d’amendes.
M. Rahhou a par ailleurs plaidé pour que toute entreprise se sentant victime de concurrence déloyale se plaigne au Conseil. Pourvu qu’elle précise ce qu’elle reproche, à qui elle le reproche et sur la base de quel texte. Si une infraction est établie, le Conseil sévira. Précisant que le dispositif juridique actuel est adapté, M. Rahhou rappelle que la loi autorise le Conseil à s’auto-saisir, soit pour émettre des avis ou des recommandations, soit pour mener des enquêtes contentieuses qui permettent de faire des perquisitions et qui peuvent déboucher sur des amendes si les infractions sont avérées. Les avis quant à eux s’adressent soit aux secteurs pour attirer leur attention sur des pratiques, soit au gouvernement pour modifier des lois ou des règlements. À cet égard, il compte passer en revue prochainement les secteurs qui ont un impact sur le pouvoir d’achat des citoyens ou ceux qui touchent beaucoup de monde sans forcément avoir un impact sur le pouvoir d’achat, comme par exemple les cafés.
Évoquant les soldes, M. Rahhou rappelle que ce sont des ventes à perte (déstockage par exemple) qui sont autorisées, parce qu’elles sont limitées dans le temps et qu’elles sont permises à toutes les entreprises. En revanche, le dumping est interdit, vu qu’il provoque des distorsions et des incidences négatives durables sur les concurrents. S’agissant des opérations en commun par des entreprises, M. Rahhou fait le distinguo entre deux entreprises concurrentes qui coopèrent, ce qui peut s’apparenter à une entente, mais il est des cas où des entreprises peuvent réaliser des choses en commun, ce qui peut être bénéfique pour le secteur, voire pour le pays. À cet effet, le Conseil est sur le point d’émettre une note expliquant ce qui est permis et sous quelles conditions. n