La relation entre la jeunesse marocaine et le politique n’est pas au beau fixe. Curieuse et friande de débats, cette génération refuse pourtant de s’impliquer dans les organisations partisanes jugées figées et peu crédibles. C’est ce hiatus, révélateur d’un malaise plus profond, qu’Anace Heddan, directeur général de l’association Les Citoyens, s’est proposé d’analyser sur le plateau de l’émission «L’Info en Face» du 17 septembre.
Sept jeunes sur dix se détournent des élus
Une enquête menée en 2024 par cette association auprès de 1.200 jeunes répartis dans les douze régions du Royaume met en lumière un constat qui fait froid dans le dos : près de 70% déclarent ne pas accorder leur confiance aux élus. Mais cette défiance ne saurait être confondue avec de l’indifférence, tient à préciser l’invité. «Nos jeunes ne sont pas dépolitisés, Ils portent une conscience civique vive, une soif de débat et une volonté d’agir, mais refusent les formes traditionnelles de participation partisane», souligne Anace Heddan. Pour une large majorité, l’espace associatif apparaît désormais comme le lieu légitime de l’engagement, jugé plus crédible, plus créatif et mieux adapté aux aspirations de la jeunesse.
Un Maroc à deux vitesses
Toujours dans le registre de l’engagement citoyen, M. Heddan met en garde contre les fractures sociales et territoriales qui menacent la cohésion nationale. «Nous avons un Maroc du TGV et un Maroc de l’enclavement», alerte-t-il. Derrière cette image, c’est toute la question de l’équité territoriale et sociale qui se pose : celle d’un pays avancé dans certains domaines, mais encore marqué par de profondes inégalités dans l’accès aux services essentiels. Si ces écarts continuent de se creuser, prévient-il, c’est l’idée même de citoyenneté partagée qui risque de se déliter. La réponse, insiste-t-il, doit être à la hauteur du défi : revenir aux fondements de la dignité sociale en garantissant à tous une école publique de qualité, un système de santé accessible et des services de base qui ne sauraient être considérés comme des privilèges, mais comme des droits. D’où l’importance de mener des politiques publiques pertinences, ce qui relève de la responsabilité des partis.
Une offre politique en décalage
En effet, pour l’invité de «L’Info en Face», la responsabilité des partis politiques est clairement mise en cause. Selon lui, ils ont progressivement déserté leurs fonctions essentielles : former les citoyens, incarner une représentation crédible et assumer des positions claires dans le débat public. «L’offre politique reste archaïque. Les jeunes reprochent aux partis de ne pas avoir d’orientation claire ni de cap identifiable», affirme-t-il.
Cette incapacité à se réinventer se traduit par une crise de représentativité criante : moins de 6% des députés ont aujourd’hui moins de 34 ans, alors que la moitié de la population marocaine a moins de 35 ans. Ce fossé générationnel illustre la distance croissante entre une jeunesse nombreuse, avide d’expression et d’inclusion, et un système partisan perçu comme figé, incapable de refléter ses aspirations. Ce déséquilibre structurel alimente la défiance et accentue la fracture entre gouvernants et gouvernés.
Cette incapacité à se réinventer se traduit par une crise de représentativité criante : moins de 6% des députés ont aujourd’hui moins de 34 ans, alors que la moitié de la population marocaine a moins de 35 ans. Ce fossé générationnel illustre la distance croissante entre une jeunesse nombreuse, avide d’expression et d’inclusion, et un système partisan perçu comme figé, incapable de refléter ses aspirations. Ce déséquilibre structurel alimente la défiance et accentue la fracture entre gouvernants et gouvernés.
Un gouvernement plus ouvert à la société civile
Si la défiance à l’égard du politique demeure profonde, M. Heddan reconnaît néanmoins une évolution notable dans la posture de l’Exécutif actuel. Contrairement aux mandatures précédentes, ce gouvernement, estime le militant associatif, a montré une certaine ouverture aux initiatives de la société civile. «Nous avons pu organiser des cafés citoyens avec des ministres, y compris le Chef du gouvernement», souligne-t-il, mettant en lumière la valeur symbolique et pratique de ces rencontres.
Ces moments de dialogue direct, sans filtre ni formalisme, constituent à ses yeux un signe encourageant : celui d’une volonté d’écouter et de restaurer un lien fragilisé entre responsables publics et citoyens. Ils témoignent, selon lui, qu’un espace de confiance peut encore être reconstruit, à condition que cette disponibilité se traduise dans la durée par des actes et des réformes tangibles.
Ces moments de dialogue direct, sans filtre ni formalisme, constituent à ses yeux un signe encourageant : celui d’une volonté d’écouter et de restaurer un lien fragilisé entre responsables publics et citoyens. Ils témoignent, selon lui, qu’un espace de confiance peut encore être reconstruit, à condition que cette disponibilité se traduise dans la durée par des actes et des réformes tangibles.
Les élections de 2026, un tournant décisif
À l’horizon du scrutin législatif de 2026, M. Heddan appelle à un véritable sursaut démocratique. «Ces élections seront capitales. Elles doivent être transparentes, inclusives et marquer la fin du clientélisme et du poids des notables», avertit-il. Pour lui, ce rendez-vous ne saurait se réduire à un exercice institutionnel de plus. Il doit représenter une opportunité historique de rétablir la confiance des citoyens, et tout particulièrement des jeunes, dans le jeu politique. La condition en est claire : renouveler les élites, instaurer une véritable culture de la redevabilité et mettre un terme aux pratiques qui discréditent les institutions. D’autant plus que le contexte de la Coupe du monde 2030 nécessite une mobilisation accrue. Pour l’invité de Rachid Hallaouy, ces élections doivent être le point de départ d’un projet national plus ambitieux, où la démocratie, la justice sociale et la participation citoyenne deviennent les véritables leviers du développement.
«Rebâtir le nous»
En définitive , Anace Heddan appelle donc à un sursaut collectif. «On ne peut pas organiser la Coupe du monde 2030 sans cohésion sociale», affirme-t-il, rappelant que les grands projets nationaux ne peuvent prendre tout leur sens que s’ils s’accompagnent d’une vision inclusive et d’une solidarité effective. L’invité insiste sur l’urgence de restaurer un lien de confiance et de refonder le vivre-ensemble sur des bases de dignité et de justice sociale.
Cet appel se trouve d’ailleurs au cœur d’un projet éditoriale qu’il compte concrétiser prochainement : un ouvrage intitulé «Rebâtir le nous», consacré à la crise du civisme et aux voies possibles pour réinventer une citoyenneté partagée. À travers ce livre, Anace Heddan invite les forces vives du pays, institutions, partis, société civile et citoyens, à dépasser les clivages et à œuvrer ensemble à la construction d’un Maroc unifié et solidaire. Car, souligne-t-il, l’avenir du pays ne pourra se dessiner qu’en conjuguant les aspirations de la jeunesse et la volonté politique de bâtir un horizon commun.
