Le ciel est bleu sur la Koutoubia, les palmiers dansent doucement au rythme d’un vent tiède venu de l’Atlas. Dans les souks tout proches, les vendeurs affichent leur enthousiasme «La
Coupe d’Afrique des nations (CAN) arrive, madame. On attend tout le monde ici !», sourit Jamal, guide touristique depuis plus de dix ans à Marrakech. Comme lui, ils sont des milliers à espérer profiter de l’élan économique promis par la Coupe d’Afrique des nations 2025, un rendez-vous continental qu’accueillera le Maroc du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, en pleine saison touristique et fêtes du Nouvel An. Des stades rénovés, des axes routiers renforcés, une offre hôtelière qui s’étend et des campagnes de promotion touristique qui visent le continent africain, l’
Europe et la
diaspora. À Rabat, Casablanca, Fès, Tanger ou Agadir, les ouvriers s’activent. Les premiers chiffres sont prometteurs : 1,2 million de touristes ont visité le pays en janvier 2025, selon les dernières données du ministère du Tourisme, en hausse de 27% par rapport à janvier 2024, soit 272.000 arrivées supplémentaires, chiffres montrant qu’elles continueront à être plus importantes durant la CAN. Mais dans les cafés, sur les réseaux sociaux, dans les cercles privés, un autre sujet anime les conversations : faut-il instaurer un visa pour les Algériens ? La question peut paraître anodine, mais elle cache un malaise réel vu le discours agressif tenu par le voisin de l’Est à l’égard du Royaume, du moins sur le plan officiel et sur les réseaux sociaux.
Un incident, une onde de choc
Le 18 mars, l’homme d’affaires et politicien algérien Rachid Nekkaz est arrêté à Marrakech, quelques heures après avoir publié une vidéo tournée devant la Koutoubia, dans laquelle il accuse le Maroc de «voler l’histoire», évoque une «construction algérienne» de la célèbre mosquée et brandit une carte tronquée du Royaume. Ultime provocation. Il n’en fallait pas plus pour qu’un tollé se déclenche. «Ce n’était pas une bourde, c’était planifié», affirme Fouzia, active sur X (anciennement Twitter). «On ne peut pas investir des milliards pour accueillir l’Afrique et ouvrir grand les portes à des agents provocateurs.» Le parquet ordonne son expulsion, mais l’incident agit comme un révélateur. En quelques heures, des dizaines de messages affluent en ligne, demandant au Maroc d’agir. «Pourquoi acceptons-nous ce qu’eux nous refusent ? L’Algérie impose un visa aux Marocains depuis le 26 septembre 2024. Il est temps de faire pareil», publie un autre sur la même plateforme.
Le risque d’un pays ouvert
Depuis la rupture unilatérale des relations diplomatiques en 2021 par Alger, les gestes hostiles se sont multipliés : fermeture de l’espace aérien, suspension de l’ambassade, soutien accru au polisario, campagnes médiatiques systématiques contre le Royaume. Pourtant, le Maroc a toujours évité l’escalade. Mais pour le professeur universitaire
Abderrahim Benhammou, spécialiste des relations internationales, la donne a changé. «Le régime algérien est passé de la passivité à la nuisance active. Ce n’est plus une divergence politique classique, mais un plan stratégique d’hostilité multiforme», explique-t-il au Matin. «Lorsqu’un individu comme Nekkaz arrive avec une carte falsifiée, une rhétorique de division et une caméra à la main, ce n’est pas anodin. C’est une tentative de sabotage symbolique.» «Et cela va se répéter. Car ils savent que la CAN est une vitrine pour le Maroc. Ils ne viennent pas pour faire la fête, ils viennent pour la gâcher», explique le professeur.
Visa : mesure protectionniste ou souveraineté assumée ?
La CAN 2025 coïncidera avec les fêtes de fin d’année, période de très forte affluence touristique. Plus d’un million de visiteurs sont attendus, parmi lesquels une part non négligeable de ressortissants africains et maghrébins. Le tourisme, secteur clé de l’économie marocaine, représente plus de 7% du PIB, selon Bank Al-Maghrib, et emploie plus de deux millions de personnes à travers le Royaume. Une mesure de restriction, telle que l’instauration d’un visa pour les ressortissants algériens, pourrait susciter des réticences dans certaines régions frontalières, notamment l’Oriental, Oujda ou encore Saïdia, historiquement fréquentées par des familles algériennes. Mais dans les faits, la majorité des visiteurs algériens au Maroc ne sont pas concernés par la politique officielle de leur régime. «Filtrer ne veut pas dire fermer», résume Soufiane, sur la plateforme X. «On veut accueillir les Algériens comme des frères, mais pas ceux qui viennent avec des micros et des drapeaux séparatistes.» Car malgré les tensions diplomatiques, de nombreuses figures algériennes publiques et populaires continuent de choisir le Maroc comme terre d’accueil ou de villégiature. En décembre 2022, Enzo Zidane, fils de Zinédine Zidane, célébrait son mariage à Marrakech, entouré de sa famille, dans un cadre féérique. Quelques mois plus tard, Riyad Mahrez, capitaine de la sélection algérienne, et son épouse Taylor Ward, mannequin britannique, publiaient des clichés de leur escapade marocaine. Et au-delà des séjours touristiques, plusieurs célébrités ont même élu domicile au Maroc : Cheb Khaled, légende du raï, y vit depuis plusieurs années, tout comme Cheb Faudel, autre icône musicale franco-algérienne. Des choix individuels, mais symboliques, qui illustrent à quel point le Maroc conserve une forte attractivité dans l’imaginaire collectif algérien, bien au-delà des discours officiels.
Un compromis possible
Plutôt qu’un visa classique, certains suggèrent une autorisation électronique temporaire, à la manière du Qatar pendant la Coupe du Monde 2022. Objectif : contrôler, identifier, sans restreindre inutilement les flux. Cette solution permettrait d’éviter les provocations, sans toucher au cœur du tourisme. Le Royaume doit-il rompre avec sa diplomatie d’ouverture au nom de sa souveraineté ? La question reste entière. Mais pour le politologue Benhammou, elle ne peut plus être éludée. «La noblesse des gestes marocains ne doit pas être prise pour de la naïveté. Nous ne devons pas tomber dans leur piège, mais nous devons rester vigilants. La CAN est un test pour notre solidité. À la joie d’accueillir, il faut ajouter la lucidité de protéger.»